Anselm Kiefer à Pantin

GALERIE ROPAC, Pantin, Février-Juin 2018

Kiefer, fleurs du mal 1987 2017_galerie Ropac Pantin_24 février 2018

Il faut du temps pour pénétrer dans la peinture réalisée par Anselm Kiefer ces dernières années. L’effet premier est pesant, sombre. Le plomb investit toute la toile et semble à première vue l’empêcher de respirer, recouvrant d’anciennes oeuvres qu’il dissimule et étouffe tout en les révélant, toute matière végétale (paille, brindille…) fréquente chez l’artiste, a disparu. Des plaques denses sur les 3/4 de la surface, de lourds enroulements déchirant parfois le châssis, tandis qu’une matière picturale épaisse et violente l’accompagne, lacérant la toile de couleurs singulièrement vives et contrastées (« Fleurs du mal », « paysage écorché », « st Barthélémy », 2015-2017). La lumière, la distance travaillent profondément ces images d’une grande intensité au point de transfigurer des œuvres telles que « esprit au dessus des eaux », « Pour Andrea Emo » (2015-2017) et la remarquable « au fond de la Moldau se promènent des pierres » (2008-2017). Seulement une attention soutenue découvre en chaque toile une cartographie complexe et puissante, une peinture-palimpseste, un univers tourmenté de peinture et de métal, que souvent l’artiste laisse les éléments travailler, oxyder, rouiller, sans complaisance, un véritable « paysage écorché », titre de plusieurs toiles de l’exposition.

Les enroulements de plomb donnent forme à une vague d’une redoutable efficacité visuelle, dans le fascinant « au fond de la Moldau se promènent des pierres » 2008- 2017…, les plaques de plomb s’amenuisent parfois aux frontières de la toile pour laisser s’éclore des « fleurs du mal » sanglantes, de toute beauté, dans deux toiles homonymes 1987/88-2017 ou laisser place à un paysage d’une singulière clarté (« paysage écorché », 2014-17) ou d’une réelle chaleur chromatique (« Kundry », 2015-17).

On reconnait certes la mythologie personnelle de l’artiste, chargée d’explorer ici la question de la sédimentation du souvenir, de la destruction et de la régénération au sein même du processus de création. On retrouve ainsi la thématique biblique, mythologique et/ou historique (le serpent du péché originel se faufile dans plusieurs œuvres telles que « péché originel », « snake in paradise », « les argonautes » ; St Barthélémy ou les argonautes affleurent dans d’autres toiles…) mais entremêlée de références nouvelles telles que les « fleurs du mal » inspirées d’une relecture récente de Baudelaire ou la figure du philosophe italien nihiliste Andrea Emo qui donne son nom à l’exposition. Les toiles que Kiefer dédie au philosophe nihiliste Emo questionnent l’idée de destruction et de régénération.

Kiefer, les argonautes 2017

Des vitrines sont également présentées, telles que « la nuit de la st Jean », 2016, au sol craquelé, aux arbustes dorés d’une grande délicatesse contrastant avec la feuille de plomb qui les surplombe, ou encore l’impressionnante pièce « les argonautes », 2017, ponctués d’avions suspendus abîmés par le temps. La photographie rend pauvrement compte de l’incroyable matérialité des œuvres, de leur force, de leur obscure beauté…mais… l’exposition se poursuit chez Taddeus Ropac Pantin jusqu’à la fin du mois de mai avec en prime, en avril, une performance d’Ayumi Paul, « concert en 4 parties », qui, cheminant dans la galerie, interagit avec les œuvres de Kiefer, enrichit la contemplation d’une autre dimension et sonde la notion d’Einklang, séquence de notes chantées et jouées au violon, avec un leitmotiv inspiré du titre de l’exposition. Ayumi Paul interprète également une passacaille de Biber (XVIIe) qui perturbe agréablement l’austérité et les discontinuités quelque peu hermétiques de la composition contemporaine.

Kiefer Anselm_galerie Ropac_21 avril 2018

Tu as pris conscience du fait qu’un tableau éteint toujours le suivant, que c’est un mouvement constant d’abolition de soi et de renaissance.

Anselm Kiefer

Une relecture toutefois bien sombre et personnelle de la peinture de paysage…

http://www.lefigaro.fr/…/03015-20180305ARTFIG00030…

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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