Après Faust, Natures mortes d’Imhof

PALAIS DE TOKYO, Paris, Mai-Octobre 2021

Anne Imhof, palais de Tokyo, Paris, 3 juin 2021

Ma première confrontation au travail radical d’Anne Imhof remonte à la biennale d’art contemporain de Venise, en 2017, où l’artiste investissait le pavillon allemand et son architecture IIIe Reich aux allures carcérales de sa performance « Faust » pour laquelle lui fut attribué le lion d’or. Une proposition impressionnante et intense, avec ses protagonistes qui rampaient sous nos pieds, se chevauchaient, se dressaient pour mieux se laisser chuter dans un environnement sonore anxiogène et noir…

Le palais de Tokyo nous propose une nouvelle plongée dans l’univers très personnel de l’artiste, où l’on retrouve cette violence des corps contraints, réduits au statut d’images ou d’objets de consommation dans un monde chaotique et sombre où l’amour se fait impossibilité de communiquer, l’être ensemble, solitude, la beauté, angoisse.

Plusieurs films de performances projetés au fil du parcours, notamment Sex, présentée à la Tate Modern en 2019, témoignent de cette tension entre les corps qui se heurtent, se touchent, se tiennent à distance au fil de la performance, de même que la piste d’athlétisme dessinée par des lignes métalliques canalise les corps tout en les poussant à la compétition.

Intitulée avec pertinence « natures mortes », l’exposition se révèle comme une vaste vanité contemporaine. Si la mort est bien présente, dans le choix d’œuvres des invités (tête de mort d’une gouache d’Eva Hesse, 1960, écorché et études anatomiques de Géricault où la musculature semble redonner vie aux fragments de corps, superbe toile de Twombly évoquant Achille pleurant la mort de Patrocle par deux éclaboussures de peinture rouge sang, 1962, ruines de Piranese…) et les signes parsemés ça et là (couronne mortuaire), le terme anglais (still lifes) ou allemand (Stilleben) serait plus juste, Imhof explorant davantage un entre-deux poétique entre la vie et la mort, entre l’immobilité et l’action, entre jouissance et angoisse, qu’un imaginaire véritablement morbide. De fait, c’est davantage le mouvement, la pose d’un corps, le port d’une tête… que la mort qu’elle retient des dessins préparatoires du Radeau de la Méduse de Géricault, de même que le mouvement la fait s’intéresser aux travaux fondateurs d’un Muybridge ou au sprint sans fin du chien de finite infinite de Sturtevant, 2010.

Certes, étant donné la part essentielle de la performance dans son travail, l’œuvre totale que déploie Imhof au palais de Tokyo ne prendra véritablement forme qu’en octobre, lors des performances. L’artiste n’en occupe par moins dès à présent l’espace par ses toiles, ses remarquables dessins, ses  vidéos de performances et plus encore par la prégnance dans l’ensemble de l’espace d’exposition des installations sonores qu’elle a réalisées avec Eliza Douglas et qui circulent, par des enceintes, sur des rails, la présence d’instruments de musique ou symboles de la scène musicale et nocturne à laquelle elle participe, que l’on découvre ça et là : batterie, guitare électrique, micro…Elle nous invite par ailleurs, par ses tunnels, ses bordures de béton et de plinthes métalliques, ses parois de verre taguées –comme un refus du dogme actuel de la transparence-, à un cheminement proche de l’errance, entre enfermement et bifurcation, contrôle et voyeurisme, intérieur et extérieur, dans un espace d’exposition qui reprend le vocabulaire du monde urbain.

Sigmar Polke, axial age, 2005 07

Si l’artiste investit l’ensemble de l’espace architectural, dépouillé, mis à nu, souligné par ses interventions architecturales, animé par ses installations, ses toiles, ses métaphores d’un univers urbain underground et familier (rue, labyrinthe, courbe, grillage…), elle le fait cette fois en dialogue avec une trentaine d’artistes invités et nous révèle ses influences…De fait, au sein de cet étrange labyrinthe de plexiglas fumé et ponctué de graffitis, on croise une admirable toile de Joan Mitchell (« la grande vallée XX, 1983 »), une photographie de Cy Twombly, le remarquable ensemble de panneaux « Axial age » réalisé par Sigmar Polke entre 2005 et 2007 et qui témoigne à merveille de l’intérêt de l’artiste, -entre abstraction et figuration, opacité et transparence-, pour la transformation des couleurs, la forme en devenir. « Polke a été très important pour moi. Ses doutes, sa relation avec sa germanité à l’époque, s’expriment dans son travail. »

Joan Mitchell, la grande vallée XX, 1983
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