
CENTRE POMPIDOU, Paris, 22 septembre 2010 – 10 janvier 2011
Quoique le Centre Pompidou accorde à mes yeux une trop grande place aux nouveaux réalistes, les expositions monographiques sont souvent l’occasion de découvertes et éveillent une certaine curiosité. Le musée tourne son regard sur Arman, l’un des membres fondateurs du mouvement qui use comme matière première de son art des objets produits par la société de consommation et de l’accumulation comme geste artistique, faisant surgir la différence de la répétition, de la quantité. Tandis qu’en 1958, un autre éminent représentant du mouvement, Yves Klein, exposait le vide, deux ans plus tard Arman emplit de déchets la galerie d’Iris Clert, perturbant le monde et le marché de l’art.
Si nombre de ses créations ne m’ont guère enthousiasmée, certaines périodes de son travail se révèlent étonnantes sinon intéressantes, notamment celle des colères et des combustions.

Arman, orchidée blanche, 1962 
Arman, Feu Louis XV, 1985
Le travail d’Arman, s’il descend de la pratique de Dada et des ready-made de Duchamp –où l’artiste décide de ce qui est de l’art-, est ancré dans la pratique du peintre.
J’ai commencé comme peintre. (…) J’ai besoin physiquement, pratiquement, physiquement de toucher la couleur. Ayant trouver ce système pour capturer la peinture qui sort des tubes, en la prenant dans le Plexiglas ou le polyester, elle devient objet. La couleur devient objet. Je me suis beaucoup amusé avec ça. J’ai fait des oeuvres monochromes, d’autres très colorées : j’ai refait le peintre.
Arman, Entretien avec Daniel Abadie, « l’archéologie du futur » (catalogue du Jeu de Paume, 1998)

Arman, Cachet, Oeil de tigre, 1959 
Arman, allure d’objet
Peintre de formation, Arman délaisse toutefois le pinceau dès 1955 pour le tampon, avec lequel il imprime la surface de la feuille ou de la toile par des gestes automatiques et énergiques, répétant une suite de signes, marqué par des artistes tels que Kurt Schwitters, Pablo Picasso ou encore la musique concrète d’un Pierre Schaeffer et la pratique des arts martiaux (Cachet, Oeil de tigre, 1959). Il induit des objets de peinture, déposant leur trace sur la toile (Allures d’objets), non sans évoquer Klein ou même Pollock. Il opte par ailleurs rapidement pour le grand format et la composition en all over des expressionnistes abstraits américains quoique les nouveaux réalistes entendent s’en détacher.
Il y avait l’idée de la trace, de la marque, de l’instantané, du désordre, plus que de l’empreinte.
Arman
Ses dernières années seront par ailleurs marquées par un retour à la peinture, une peinture toutefois perçue comme un objet, incluant des tubes de peintures et coulées de matière, de couleurs (Rich in colors, Encoragie, La nuit étoilée, évocation de Van Gogh, figure majeure pour Arman).

Arman, Portrait robot de Mozart, 1985 
Arman, Poubelles des Halles – 1961
Arman n’en quitte pas moins rapidement la bi-dimensionnalité de la toile pour la tridimensionnalité de la boîte, de la vitrine et remplit des boîtes transparentes de multiples exemplaires d’un même objet, réalise des portraits à partir d’effets personnels (« portrait robot d’Iris », 1960, « portrait robot de Mozart », 1985).
Dès lors l’accumulation, -« un objet placé dans une situation de répétition et de variation, une série de perspectives qui en transforme notre perception »- qui relève alors pour l’artiste de la monochromie, constitue d’un de ses principes de création fondamentaux et peu à peu l’objet entre dans son processus de création, considéré par Arman comme « fait plastique », des objets issus de la société de consommation et de la production industrielle (Janus, 1981, accumulation de scies en forme de tableau). Fin 1959, l’artiste réunit des déchets dans une vitrine, rejetant le principe de préciosité, de valeur de l’art. (« Poubelles »)
L’homme est confronté avec ce qui le dégoûte : l’odeur, le gluant du toucher, la décomposition.
Arman
Mais Arman ne se réduit pas à cette pratique de l’accumulation. Il détruit également des objets (des meubles Henri II, des instruments de musique, des voitures, des postes de télévision), usant dès 1961 de la colère comme geste artistique donnant lieu à une performance. La destruction passe également par le feu, la combustion, dont témoigne de fascinantes pièces telles que le remarquable « Fauteuil d’Ulysse » ou le saccage d’un appartement dans « Conscious vandalism », 1975 évoqué dans l’exposition par une pièce calcinée, noir sur noir, avec des bris de meubles du XVIIIe siècle ça et là. Si l’objet détruit garde son identité, il n’en évoque pas moins, fragilisé, l’esthétique de la ruine, du temps qui passe, entre création et destruction.
Arman intervient ensuite sur la forme des objets par leur coupe à la scie américaine et leur réassemblage sur un plan. Les colères et les coupes constituent deux démarches complémentaires, les unes relevant d’un élan fracassant, d’un emportement brûlant (« Colère de contrebasse », « Banjo solo », « Orchidée blanche », 1962, voiture dynamitée du photographe Allemand Charles Wip), les autres d’un traitement froid et analytique (« Solex, ici et là », « Endless variations » 1967-68). Cette dernière pièce, blanche, épurée, fait dialoguer le vide et le plein. Quatre des faces du cube sont découpées en cadres articulés qui peuvent se déployer à l’infini, entre déconstruction et recomposition. Etant donné la fragilité de ces pièces, l’artiste s’est efforcé de trouver des techniques de conservation : plastique, bronze, béton. En 1970, la résine de polyester permet à l’artiste d’intégrer de plus gros volumes comprenant des déchets périssables (« Grande bouffe », 1973).
Une sorte de memento mori désespéré, l’accumulation d’objets poussée jusqu’à l’absurde nous renvoyant à notre monde du jetable, de l’objet périssable et à sa vanité.





