Art Paris 2018

GRAND PALAIS, Paris, 5-8 avril 2018

Laura Nillni_Galerie Victor Sfez

Pour son 20e anniversaire, la foire Art-Paris propose une très belle édition 2018, avec un focus somme toute discret à la Suisse et surtout une mise en exergue de la scène française. En quelques mots : de très belles découvertes, beaucoup d’artistes présents sur les stands hier après-midi soit de très belles rencontres, ce dans une atmosphère singulièrement peu saturée par les visiteurs et donc tout loisir pour contempler les œuvres, beaucoup de solo shows -format toujours pertinent pour l’œil et une attention des plus sollicitées-. A noter par ailleurs la participation du commissaire d’exposition François Piron qui nous présente au fil du parcours une sélection d’œuvres. Certes, il est des galeries et des propositions qu’on s’étonne de trouver dans une foire d’art contemporain mais je préfère me concentrer sur mes vrais coups de cœur.

Laura Nillni_Galerie Victor Sfez

Mon plus grand coup de cœur s’est porté sur la proposition tout à la fois musicale et plastique de Laura et Ricardo Nillni, galerie Victor Sfez. Un ensemble de suspensions, photographies (captures issues de travaux vidéo également projetés sur le stand de la galerie), partitions quittant leur fonction première de simples notations musicales pour devenir un véritable objet plastique avec des jeux de transparences, de superpositions, même si la musique qui ponctue toute l’installation nous rappelle qu’il s’agit bien ici de composition à l’œuvre. Le son et l’image se mêlent, dialoguent et s’équilibrent admirablement et semblent avoir une cohérence intrinsèque assez inédite. Le langage épuré et géométrique, les jeux de structures et de quadrillages, de cercles parfois ponctués de textes de Borgès, de Laura Nillni, s’enrichit des compositions tout aussi épurées et minimalistes de son compagnon. Le mouvement qu’introduit par ailleurs l’image vidéo, les glissements de calques, les jeux de transformation des formes, de déconstructions et de reconstructions, apportent une légèreté, une respiration, à ce qui pourrait être sans cela un langage géométrique assez strict.

https://vimeo.com/222799115

https://vimeo.com/222074899

Justin Weiler et Clement Fourment_School gallery

La School gallery expose un très bel ensemble de pièces de Justin Weiler, découvert pour ma part tout récemment dans l’exposition 100% beaux-arts à la Villette. Sa « tulipomanie » revisite tout comme le « bouquet pour Annie » la peinture florale classique dans un parfait équilibre entre le sensible, l’incroyable maîtrise technique et l’idée. Le titre peut s’envisager comme un clin d’œil à la vogue de la tulipe que connu le XVIIe siècle, la peinture jouant parfois le rôle de substitut d’une fleur particulièrement onéreuse et luxueuse aux yeux des collectionneurs. Un ensemble de « mapps » de petite taille s’expose par ailleurs, d’aspect fragmentaire, avec une grande force de texture et nuance de teintes.

https://www.facebook.com/instantartistique/posts/595713510762400

Dominique Lacloche, sans titre impression gélatino bromure sur feuille végéale de gunnera_Loo & Lou gallery

Les impressions abstraites de Dominique Lacloche, réalisées à partir de fragments de négatifs sur feuille de gunnera, Loo & Lou gallery, sont particulièrement impressionnantes tant la fragilité du support s’harmonise avec la délicatesse du « dessin », tant le processus de création se devine aléatoire. Fascinée par cette plante issue du jurassique et au feuillage spectaculaire, l’artiste y expérimente toute sorte de techniques, prolongeant dans ses compositions abstraites celles que proposent la nature, cartographie de veinules où circule la sève, de déchirures, de creux et de reliefs, de signes abstraits et d’ombres, aux contours irréguliers.

Le Misk Art Institute (Arabie Saoudite), présente d’intéressants travaux, tout particulièrement une remarquable installation d’inspiration minimaliste d’Ayman Zedani, 5, 2016, ensemble de cubes géométriques noirs régulièrement, systématiquement espacés et délicatement incisés pour recueillir de l’encre. La rigueur du dispositif est infléchie par l’irrégularité des incisions, tout comme le contraste du noir des cubes et du blanc des feuilles de papier sur lesquelles ils sont déposés est adoucie par les jeux de reflets du liquide à la lumière. A noter également l’installation « 100 photo », d’Halah Alfadl, impressionnante série de « regards » de femmes saoudiennes ayant vécu en dehors de l’Arabie Saoudite et emblématique de cette quête d’indépendance et de parité à laquelle s’intéresse l’artiste. Ces regards, ou plutôt ces yeux, font l’objet de correspondances formelles avec toute sorte d’objets, tasse de café, roue de voiture etc., ponctuant cette série d’yeux scrutateurs, ménageant une pause visuelle tout en renforçant leur puissance expressive.

Blek le Rat_galerie Ange Basso

Parmi les propositions de François Piron, j’ai retenu l’admirable solo show consacré par la galerie Ange Basso au précurseur de l’art urbain Blek le Rat, ancien étudiant des beaux-arts de Paris s’exprimant dès le début des années 80 au pochoir sur les murs de la ville, tout en reprenant parfois ses créations sur papier à l’atelier. La galerie présente des pièces issues des palissades du chantier de la pyramide du Louvre et s’inspirant de chefs-d’œuvres de l’histoire de l’art tout en les ponctuant de signes et de brèves formules polémiques dans l’héritage des ateliers de mai 68 : « St Sébastien » de Rubens, les Trois grâces du « Printemps » de Botticelli, l’Hippomène d’ »Atalante et Hippomène » de Guido Reni, « David » de Michel Ange, « la Vénus de Milo » etc.

Dans la section « promesses » consacrée à de jeunes galeries, j’ai noté la galerie romaine Anna Marra qui présente des photographies de Claudia Peill et Davide Bramante. La première travaille sur le double, sans hiérarchie entre peinture et fragments d’éléments photographiés et décontextualisés, entre forme et couleur, entre éléments architecturaux témoignages de l’histoire et peinture abstraite, symbole du chaos de signes qui constitue la ville contemporaine tout en dépassant le clivage entre des médias artistiques qui se complètent dans son travail plus qu’ils ne se substituent l’un à l’autre. Le second procède par superpositions et jeux d’expositions, à l’argentique, mêlant différents temps et récits, perturbant la perception du réel.

Li Chevalier_galerie Albert Benamou

Le solo show que la galerie Albert Benamou consacre à Li Chevalier, entre cultures occidentale et orientale, revisite l’art chinois bien que l’artiste, également musicienne et philosophe, ne se limite par à la peinture. De ses paysages singuliers, il émane une étrange beauté, une poésie mélancolique faite de doutes et de solitude, une ouverture vers la méditation. L’artiste procède sur toile et non sur le papier de riz traditionnel, bien qu’elle travaille avec une encre de chine fortement diluée et donnant lieu à une vaste nuance de gris, qu’elle complète de textures (sable, quartz, colles…) afin de créer du relief.

La galerie Pascal Vanhoecke propose quant à elle un très bel accrochage mettant en résonance des œuvres historiques et des artistes de la galerie (François Calvat et Mimmo Jodice, Michael Burges et Victor Vasarely …), tandis que la galerie Eric Dupont présente le travail consacré par Pascal Convert aux falaises de Bamiyan, 2017 suite à la destruction des bouddhas par l’Etat islamique, en résistance à l’obscurantisme.

A noter quelques autres propositions intéressantes remarquées au fil du parcours : le « profil vu de fesse » des plus abstraits de Bucher Csajko (Perpitch & Bringand) ; les étonnantes réalisations de Cherel, au brou de noix et à l’encre sur papier marouflé, galerie Felli : des visions -plus que des paysages- quasi abstraites, mêlant air, terre et eau dans une surprenante indistinction, nous tenant à distance par leur solitude, leur mélancolie et leur déroutante étrangeté ; les fusains et peintures fortement diluées du hongrois Alexandre Hollan, galerie la Forest Divonne ; les dessins de Nikolas Fouré galerie des petits carreaux, portion de nuages ou de ciels réalisée selon un protocole régulier, des « gestes répétés à des fins contemplatives », « des fils de temps » ; l’intéressante série photographique de Jocelyne Alloucherie, participant de « Sols », galerie Françoise Paviot ; les images tout à la fois réalistes et déroutantes, d’une grande richesse de couleurs, d’une lumière puissante, que consacre Todd Hido à l’Amérique et obtenues sans artifices sinon un long temps d’exposition, à la Galerie Particulière. Et puis toujours un plaisir à revoir ça et là de belles pièces de Shafic Abboud, Béatrice Helg, Tapies, Norman Dilworth, Erwin Olaf, Sol Lewitt, Sam Francis, Popova etc.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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