Art Paris 2021

GRAND PALAIS EPHEMERE, Paris, 9-12 Septembre 2021

Genevieve Asse

Tandis que le Grand Palais, vétuste et morcelé, est en cours de restauration et ne réouvrira ses portes qu’en 2024-2025 après une mise aux normes, un rétablissement des circulations traversantes et des décors d’origine, une réouverture des perspectives entre la Nef et le Palais de la découverte, les Champs-Elysées et la Seine etc., le Grand Palais éphémère, construit sur le Champ de Mars, entre l’Ecole militaire et la Tour Eiffel, accueille ses premières manifestations.

2021-09-10 Art Paris, grand palais éphémère

Annulée en 2020, reportée au printemps 2021 en raison de la pandémie, Art Paris  a donc établi ses quartiers ce week-end dans le nouvel espace conçu par l’architecte Wilmotte sur une ossature de bois et une structure modulaire recouverte d’une toile de polymère d’origine minérale. Un bâtiment assez élégant et discret, écologique, qui permet, quoiqu’il n’ait ni l’envergure ni la souplesse du chef d’œuvre architectural créé pour l’exposition universelle de 1900, de disposer d’un vaste espace d’expositions le temps des travaux et à vrai dire, cela fait plaisir de retrouver l’atmosphère des foires d’art contemporain à Paris.

Quant à cette session 2021 d’Art Paris, mes impressions demeurent assez mitigées. Est-ce le fait de longues années à côtoyer l’art dans les musées, galeries et autres espaces d’expositions, un plaisir manifeste à revoir des œuvres que j’admire (Soulages, Venet, Music, Frydman, Tapies, Pierrette Bloch…, quelques toiles de Hantai tout à fait fascinantes chez Jean Fournier notamment) ou un resserrement croissant du marché de l’art autour de quelques noms attendus, demandés, qui rendrait plus frileux les galeristes quant au soutien d’artistes plus confidentiels ou à la marge du goût sinon dominant, du moins dicté par les collectionneurs les plus fortunés ? Je ne saurais le dire mais les découvertes et les prises de risque me semblent de plus en plus rares, année après année. Certes, je nuancerais cette assertion : qu’ils remportent ou non mes suffrages par leurs choix esthétiques, il demeure des galeristes passionnés et engagés, prêts à défendre des artistes encore en attente de reconnaissance, mais ils m’ont semblé assez peu nombreux dans l’ensemble (Hollan chez la Forest Divonne, Maussion chez Bernard Bouche, Li Chevalier chez Raibaudi Wang Gallery, Lucas Leffler, galerie Intervalle…). Peu importe, dans la multitude des propositions, on parvient toujours dans ce type de manifestations à se frayer un chemin digne d’intérêt parmi les œuvres.

Genevieve Asse

Plusieurs galeries proposent un bel hommage à Geneviève Asse, décédée cet été, dont l’œuvre se caractérise par une abstraction des plus minimales et sensibles. Passée de la figuration à l’abstraction après la guerre, elle tend de plus en plus à l’épure, la simplification, optant après le non-formel pour le non-couleur : le blanc, puis un bleu-gris poétique de plus en plus synonyme de son travail.

Parmi les œuvres qui ont retenu mon attention, la toute jeune galerie Marguo présente une déclinaison de Zhang Yunyao sur la Méduse de Bernini tout à fait intéressante, passant du dessin le plus réaliste et précis à une œuvre quasiment abstraite. L’artiste chinois s’intéresse à la nature temporelle de la peinture, à l’instabilité et aux intersections de la mémoire collective et personnelle. Usant de techniques non traditionnelles et imprévisibles, comme le graphite et le pastel sur feutre, il obtient, parfois par frottement et superpositions, des œuvres brumeuses, flottantes, d’une matérialité et d’une épaisseur temporelle tout à fait singulières.

Naoya Egawa, silence enneige_galerie Tamenaga

Le « silence enneigé » du peintre japonais Naoya Egawa, présenté par la galerie Tamenaga, témoigne d’une grande qualité graphique empreinte d’une sentimentalité quelque peu lyrique et dévoile la nature comme une illusion et une force fascinante, la neige incarnant par ailleurs pour lui une beauté éphémère permettant un jeu subtil de noir et de blanc. Marqué par la tradition picturale asiatique, et notamment les peintures à l’encre des fusama, panneaux coulissants de l’habitat traditionnel japonais, Egawa applique des pigments naturels sur du papier de chanvre, ce qui crée d’admirables effets de brume et une texture singulière.  Il mêle par ailleurs admirablement le souci du détail et une palette réduite.

Bao Vuong, the crossing XKII 2021_A2Z Art Gallery

Une superbe toile de Bao Vuong, the crossing XKII 2021, est présentée par A2Z Art Gallery (https://www.baoartworks.com/chapiter2). Pièce de la série The Crossing, inspirée du vécu de l’artiste, boat people exilé à un an du Vietnam, ce travail n’est pas sans écho avec l’actualité douloureuse des migrants : la peinture comme réappropriation d’une mémoire, d’un inconscient meurtris, exutoire. D’ailleurs, l’artiste se réfère plus aisément à Boltanski qu’à Soulages, et au travail mémorial du premier sur la Shoah.  

L’art, que ce soit la littérature, le cinéma, la photographie ou la peinture, nous amène à nous positionner différemment face à la réalité. A travers l’art, elle nous touche autrement, et voilà pourquoi il est si important. N’en déplaise aux temps de confinement, l’art est une nécessité.   

Bao Vuong

The Crossing XKII est un grand monochrome noir fait de couches épaisses de peinture à l’huile, pesantes, comme un magma sombre, symbole d’une peur viscérale de la noyade, de la mer infinie, dangereuse et puissante, d’un traumatisme collectif. La partie supérieure est lisse et opaque, la partie inférieure d’une incroyable densité de matière, striée de vagues noires, chargée d’émotions et cependant lumineuse, la peinture reflétant la lumière comme dans les toiles de Soulages.

Niyaz Najafov

La peinture dense, tourmentée mais vibrante de couleurs de Niyaz Najafov, représentant de l’Azerbaïdjan à la Biennale de Venise de 2009, ancien soldat et sportif devenu artiste en autodidacte, en 2003, se singularise par sa charge dramatique, expression d’une angoisse existentielle. Expressionniste contemporain, il donne à ses sujets une intensité exceptionnelle par la déformation des formes et la puissance des couleurs.

Jessie Homer French, november 2008_Massimo de Carlo

Quelques toiles de Jessie Homer French, particulièrement « november 2008 », exposées chez Massimo de Carlo, se distinguent quant à elles par une approche très personnelle de la Californie rurale et un certain humour noir sur la mort et la mortalité. Sa pratique se caractérise par une planéité abstraite et le goût du détail intime, une touche précise, sinon obsessionnelle, assez fascinante ainsi qu’une palette assez raffinée.

Le photographe Lucas Leffler développe une série en argentique, Ziverbeek, réalisée avec la boue issue de la rivière d’argent, cours d’eau pollué par les sels d’argent rejetés par une usine de papier photographique près d’Anvers. Un travail expérimental qui donne lieu à des images puissantes, ténébreuses, terreuses, qui ne sont pas sans donner lieu à méditer notre impact dévastateur sur la nature. A noter également une pièce intéressante de la série « compositions catalytiques, de Laurence Aegerter, 2021, récemment exposée au Petit Palais. Photographe de tableaux, l’artiste occulte ou perturbe notre vision, faisant ainsi disparaître la terre, par un miroir, d’une toile de Ruysdael.

La galerie Ropac présente un nouvel ensemble de vanités de toute beauté de Yan Pei-Ming où la palette cendrée habituelle au peintre, à dominante de gris et de blanc, est ponctuée de couleurs plus vives, un violet intense mettant en exerce les volumes sombres d’un crâne, quelques touches jaune d’or ou brunes lorsqu’il déploie ses crânes dans les recoins d’un meuble en bois à tiroirs. Cet ensemble voisine avec des aquarelles et céramiques assez flamboyantes de Barcelo et le détonnant Marengo de Martha Jungwirth, 2021. L’artiste autrichienne actuellement exposée dans l’espace parisien de la galerie propose des toiles des plus expressives et poétiques, quasiment abstraites, d’une grande liberté gestuelle qui n’est pas sans rappeler certaines œuvres de Cy Twombly ou Joan Mitchell et dans son habituelle palette vive de rouges, violets, jaunes ; des toiles quasiment performées et cependant retenues, réalisées pendant le confinement. Si les références mythologiques abondent dans son œuvre, Marengo évoque –tout comme Pascal Convert aux Invalides (https://www.instantartistique.com/napoleon-encore/)- le légendaire cheval de Napoléon telle une silhouette fragile, intemporelle, squelettique. Le cheval n’est pas un rappel d’un passé glorieux mais un témoin sacrifié de la violence des hommes, auquel font écho les images récentes des animaux périssant dans les incendies en Australie. Un « chaos contrôlé ».

Erwin Olaf, im wald 2020_galerie Rabouan Moussian

Si la dernière exposition consacrée par la galerie Rabouan Moussion à Erwin Olaf était d’une remarquable qualité et que sa dernière série sur le monde du confinement m’avait particulièrement impressionnée, les nouvelles photographies exposées dans le cadre d’Art Paris (Im wald) m’ont plutôt déconcertée, l’artiste délaissant ses portraits à la qualité picturale, d’une incroyable dextérité technique pour de vastes paysages aux teintes mélancoliques de gris et de blanc –d’ailleurs pour partie inspirés par Friedrich-, comme surexposés. Réalisée dans les forêts de Bavière où l’artiste est surpris tout à la fois par le silence et la puissance indifférente de la nature, la série s’interroge sur les conséquences de l’exploitation de la nature et des mouvements constants de l’homme sur cette-dernière, son arrogance. Il ne sonde toutefois pas un lointain futur comme le peintre romantique mais la finitude de plus en plus manifeste d’un monde voué à sa perte.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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