Autocensure au musée d’art moderne : Larry Clark

Larry Clark, dead, 1970 (Tulsa, 1968)

MUSEE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS, Octobre 2010- Janvier 2011

Interdite au moins de 18 ans, l’exposition Larry Clark au musée d’art moderne de la ville de Paris présente les séries les plus fortes de l’artiste. Certes, ses images brutales, fortes et directes, sans jugement moral, sans compromis ni distanciation s’agissant du monde de la drogue et du sexe, de la délinquance adolescente qui est le sien, d’une jeunesse tout à la fois belle, inconsciente et sauvage, sur laquelle plane la mort, peuvent troubler un jeune public mais n’est-ce pas aux parents d’éloigner leur progéniture d’une violence trop littérale et non aux institutions, d’autant que par-delà la violence, le contraste entre des symboles d’innocence et des symboles de mort, il y a une vraie qualité esthétique, une vraie beauté de ces photographies, aux cadrages et à la lumière déjà cinématographiques avec des jeux d’ombre et de plongée, une monochromie brute et granuleuse que reprendra après lui Nan Goldin ou Antoine d’Agata ?

Il est en empathie totale avec son sujet, dans une approche horizontale novatrice à l’époque.

Balthazar Lovay, directeur de Fri Art

Une décision inédite et préoccupante quant à la liberté de création et d’expression artistique de la mairie de Paris préférant l’excès de prudence et une application stricte du code pénal en matière d’image pédo-pornographique à des années de contentieux éventuels à l’image des commissaires de l’exposition « Présumés innocents » qui s’est tenue au musée d’art contemporain de Bordeaux en 2000, attaqués en justice en raison de la présence d’œuvres représentant des enfants nus (accusation qui a toutefois conduit à un non-lieu).

Première rétrospective en France consacrée à Larry Clark, « Kiss the past hello » présente des photographies de ses séries « Tulsa », 1971, « Teenage lust », 1983, « Larry Clark, 1992 », « The Perfect Childhood », 1993, « punk Picasso », 2003, « Los Angeles », 2003-2010…Il y dépeint, entre voyeurisme et reportage intime, le quotidien d’adolescents marginaux, à la dérive, en quête d’eux-mêmes, expérimentant drogues, sexe et armes à feu, tout en passant du noir et blanc des débuts aux grands formats en couleur et en nous entraînant dans une relation ambigüe avec ses images, ambiguïté à l’origine même de leur inquiétante puissance. Loin toutefois de chosifier ses modèles, de les réduire à des objets exploités aux réactions standardisées, Clark se veut leur complice et l’on ressent l’empathie à l’œuvre entre le photographe et ses sujets.

I always wanted to be the people I photographed […] I should have been a teenager when I did [Tulsa]. Even in Tulsa when I was photographing my friends, I wanted to be my friends—anybody but myself. (…)

Mike Kelley, In « youth is pleasure », interview with Larry Clark, 1992

La série « Tulsa », du nom de la ville natale de l’artiste dans l’Oklahoma qui s’est développée trop vite au rythme du forage pétrolier, dépeint, dans une noirceur à la W. Eugene Smith dont Clark découvre les photographies dans le magazine Life, une spontanéité à la Robert Frank et une tendresse de l’artiste à l’égard de ses compagnons de marginalité, la réalité nue –sans les filtres et déformations habituelles- d’une Amérique rurale et profonde, le désarroi, l’ennui et la violence d’une génération. Des adolescents au volant d’une voiture, en pleine acte sexuel, d’autres se droguant, aiguilles plantées dans les bras ou les mollets, grimaçant de douleur ou d’extase, autodestructeurs, à l’image de Clark qui a connu une histoire familiale difficile, s’est drogué dès l’âge de 16 ans pour ensuite se former rapidement à l’école des beaux-arts de New-York, partir deux ans au Vietnam et revenir vivre à Tulsa, à 20 ans, héroïnomane, avec une prostituée. Il s’agit toutefois moins pour lui d’un rapport à la vérité –même s’il s’efforce de tendre un miroir aux adolescents qu’il capture- que d’un rapport au temps.

I was born in Tulsa, Oklahoma in 1943. When I was 16, I started shooting amphetamine. I shot with my friends every day for three years and then left town, but I’ve gone back through the years. Once the needle goes in, it never comes out.

Larry Clark, texte introductif de « Tulsa », 1971

« Teenage Lust », suite de « Tulsa » plus explicitement sexuelle, revient sur les années de jeunesse de Clark mais comprend également des photographies plus tardives de jeunes et de prostitués qu’il côtoya à New-York à la fin des années 1970. Pour sa série « Larry Clark 1992 », le photographe fait poser des jeunes en studio, épuisant obsessionnellement toutes les possibilités de pose en cherchant à pénétrer l’intériorité de ses modèles. De même, « PunkPicasso », en 2003, réunit des images et collages de l’époque de Tulsa et des œuvres récentes axés sur le sport de la rue : des portraits de skateurs. Parmi eux se détache un jeune rocker vénézuélien du centre-sud de Los Angeles, Jonathan Velasquez, qu’il accompagne de l’adolescence à l’âge adulte dans sa série « Los Angeles 2003-2006 ». Cette-dernière se caractérise par son ambiance californienne, des tirages saturés à l’encre pigmentée et en grand format.

Larry Clark, Jonathan Velasquez, 2004

Tout son œuvre, photographique comme cinématographique, s’attache à un thème récurrent, obsessionnel : l’adolescence, telle que l’Amérique la produit comme le sommeil de la raison produit des monstres pour reprendre les mots de Dominique Baqué en référence à la remarquable gravure de Goya homonyme (« les Caprices », 1799). Une adolescence charnelle, incarnée par des corps souvent en couple ou en groupe, renvoyant moins à l’âge des possibles qu’à celui des désillusions.

Facebookrss
Facebookmail

Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *