GALERIE LA FOREST DIVONNE, Paris, Avril – Mai 2019
GALERIE ROPAC, Paris, Avril – Juin 2019
Belle découverte à la galerie Forest Divonne. Le travail de Bernadette Chéné, quoique marqué par l’art minimal et l’arte povera, se révèle tout à fait singulier par l’emploi récurrent et original du papier journal, un matériau dont elle exploite avec beaucoup de délicatesse et de dextérité tout à la fois la fragilité, les décolorations témoignant du passage du temps, et le rapport au quotidien et à l’écrit. Matériau qu’elle inscrit par ailleurs, par le recours à des pièces métalliques, dans des formes rigoureuses et épurées, s’inspirant d’une géométrie primaire (triangle, cercle, colonne…). Le journal évoque par ailleurs, étymologiquement, l’unité de mesure d’une journée du travail, autre référence au temps, essentiel dans ces pièces. On retrouve la même capacité à sublimer le matériau dans ses pièces en bois, la chaleur de ce-dernier se mariant à merveille avec la froide obscurité du métal. Des pièces épurées, belles, et chargées de mémoire. « Autant se mettre en bonne intelligence avec le temps plutôt que de lutter contre ses effets. Bonifier avec lui. On a l’âge de son énergie ».
Un intéressant préambule à l’exposition consacrée à l’un des fondateurs de l’art minimal, Donald Judd, à la galerie Ropac, par son fils, directeur artistique de la Judd Foundation. Une pratique caractéristique de ce courant par le recours à des processus de production et des matériaux industriels (contreplaqué, aluminium, plaques d’acrylique), la sérialité, la littéralité d’œuvres rejetant tout illusionnisme, toute narrativité et toute hiérarchisation, le dépouillement formel caractérisé par le recours à la géométrie et à la monochromie, la place donnée à la perception matérielle de l’œuvre et son inscription dans l’espace d’exposition, particulièrement sensible dans une pièce comme « untitled » 1989, vaste cube ouvert d’un mètre de haut, en aluminium traité pour obtenir des effets réfléchissants, avec un bleu profond à l’intérieur où se mire ainsi la verrière de la galerie. Après des débuts comme peintre, Judd privilégie les objets tridimensionnels (« specifics objects ») entre peinture et sculpture. Un passage vers l’espace réel. « L’espace réel est intrinsèquement plus puissant et spécifique que la peinture sur une surface plane » (Donald Judd, Complete Writings 1959-1975. New York: New York University Press, 1975).
Pas de « stack » dans cette sélection (contrairement à l’exposition récemment présentée sur le site de Pantin et consacrée à l’art minimal), soit ces pièces faites d’une série de boîtes en métal fixées verticalement au mur, à intervalles réguliers mais à distance du sol pour ne pas évoquer l’un des éléments structurels de l’architecture, la colonne, mais des pièces au sol et murales témoignant de la prégnance de la couleur dans les expérimentations de l’artiste, d’une grande sobriété tout en mettant l’accent sur le volume, la simplicité formelle, la clarté structurelle. Parmi ces pièces, une remarquable « progression » de 1970 (« untitled ») constituée d’un tube central en aluminium, de plus de 6 m de long, surmontant huit boîtes en aluminium violet de longueur croissante selon une double progression de Fibonacci. Une pièce tout en épure et structurée sur le vide, intelligible, les effets de composition diluant, selon l’artiste, le pouvoir de l’œuvre. L’exposition réunit par ailleurs un ensemble d’œuvres sur papier (aquatintes, sérigraphies, gravures sur bois) ainsi que le « Plywood bench 76 », pièce de mobilier. Un art qui se veut « tout à la fois », sans contradiction interne, ouvert aux possibles en dépit de son indéniable austérité. Un art du présent, traitant directement le réel, sans l’adapter à l’homme et dont la clarté pourrait refléter celle de la pensée.
