Boltanski au Centre Pompidou

CENTRE POMPIDOU, Paris, Novembre 2019 – Mars 2020

Christian Boltanski, réserve les suisses morts, 1991_Centre Pompidou, Paris, 8 mars 2020

Il est décidément à craindre que la nouvelle tendance en terme de commissariat d’exposition soit de bannir le texte : la catastrophique « Carambolages » de Jean-Hubert Martin en 2016, l’exposition Bacon en cours au centre Pompidou et à présent celle consacrée à Christian Boltanski…La scénographie de cette dernière est toutefois de grande qualité : des murs sombres, des espaces faiblement éclairés par des ampoules nues au bout de leurs fils -, « l’important est que l’on ne soit pas devant, mais dedans. On est à l’intérieur d’un truc dans lequel on erre », rappelle l’artiste, l’atmosphère soulignant la force particulière et résultant pourtant plus de la suggestion et de la mémoire convoquée -individuelle et collective- que de la complexité technique ou conceptuelle des œuvres.

L’artiste use d’objets simples -des ampoules, une multitude d’ampoules, des photographies en noir et blanc – « La photo est la preuve de l’existence de quelqu’un quand il a disparu. Tout le monde se pose la question de la mort. Même lorsqu’on cherche à l’oublier. »-, des boîtes en métal rouillées superposées en forme de ville, de tours menaçant de s’effondrer et ponctuées de photographies -l’une des installations les plus impressionnantes et belles de l’exposition- (Réserve : les Suisses morts, 1991), des vêtements, des ampoules bleu et rouge martelant simplement les mots départ et arrivée à l’entrée et à la fin du parcours…- etc. des objets simples mais au fort pouvoir émotionnel et mémoriel. Mis en scène dans l’espace et dans le temps par l’artiste, ces objets se font reliques ou reliquaires -l’artiste retenant le terme ancré dans la culture religieuse, de même que celui d’autel, dans plusieurs de ses œuvres des années 1990-, convoquant le passé.

Christian Boltanski, autels Chases, 1988

L’écoulement du temps, le trauma -particulièrement celui de la Shoah qui marque l’histoire familiale de l’artiste : « L’art commence avec un traumatisme. Chez moi c’était celui de la guerre, de la Shoah, des amis de mes parents que j’entendais raconter leurs expériences.» (Reliquaire, 1990 ; Autels Chases, 1988)-, la société et ses rites, le temps bref d’une existence, la mort…telles sont des motifs récurrents dans l’œuvre de Boltanski. Des questionnements principalement existentiels et d’une grande profondeur, suscitant une forme de recueillement et cependant exprimés par des moyens tout à la fois pauvres et efficaces, avec parfois de redoutables raccourcis : un tapis d’ampoules qui s’éteignent peu à peu le temps de l’exposition (crépuscule, 2015), des dates inscrites au mur et évoquant d’emblée des plaques funéraires -la vie étant, comme le dit malicieusement l’artiste, un tiret entre deux dates (mes morts, 2002)-, de même que de simples formes en bois drapées de noir convoquent immédiatement l’image de cercueils (les tombeaux, 1996), un triptyque vidéo constitué de l’image d’une baleine nageant dans l’océan, de ses cris reproduits par le vent dans des trompes et de celle d’un squelette de baleine échoué sur le rivage (misterios, 2017), la confrontation brutale -par le recours à une lumière froide interne-d’images de victimes et d’assassins (les portants, 2000), des photographies d’enfants juifs aveuglés par des lampes de bureau rappelant des pratiques de torture, un mur d’images de cadavres voilées de noir qu’un léger courant d’air révèle ça et là-…(les concessions, 1996).

« J’ai été prof aux Beaux-Arts toute ma vie, j’ai beaucoup aimé cela, car c’est un lieu à la fois utile et inutile. Il y a si peu d’endroits inutiles aujourd’hui, c’est formidable qu’il existe encore un lieu hors rentabilité où l’on peut parler d’une tache de couleur, de la couleur du ciel, etc. Je n’ai appris à mes élèves qu’à attendre et espérer». Un espoir -un cœur qui bat- aux allures assez funèbres, quoiqu’il en soit : Faire son temps ne laisse pas indemne et a des allures de vanité contemporaine, les photographies -ces preuves d’existence- transposées sur du calque, des tissus (les Véroniques, 1996), des voiles (après, 2016, les regards, 2011) s’effacent tandis que les clochettes d’Animitas, qui clôturent le parcours, sonnent les esprits des morts.

https://www.lefigaro.fr/…/tous-les-fantomes-de…

Facebookrss
Facebookmail

Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *