MUSEE BOURDELLE, Paris, 6 mai – 19 septembre 2010

L’art c’est l’esprit portant le monde à la matière. L’art c’est l’homme liant la matière à l’esprit. Mais il y a bien plus. L’art c’est l’univers recréé dans un homme.
Bourdelle
Le musée Bourdelle accueille une exposition collective consacrée à la sculpture actuelle et à la diversité de ses pratiques. Une sélection en écho avec les collections et l’espace du musée, le commissaire de l’exposition « En mai, fais ce qu’il te plaît ! » (Juliette Laffon, directrice du musée Bourdelle) ayant donné carte blanche aux onze artistes réunis tout en leur demandant de concevoir ou réinterpréter une de leurs œuvres en résonance avec le maître, ses œuvres, son atelier.
Sous les arcades donnant sur le jardin, Boltanski a installé une dizaine de vieilles chaises en bois équipées de haut-parleurs et adresse au visiteur, lorsqu’il s’assied, une question existentielle le conviant à l’introspection : « Quels sont tes désirs ?« , « Quelle sera ta mort ?« , « Qu’as-tu fait de ta vie ?« , «Quelle est ta tristesse ?», «Qu’as-tu fait de ton talent ?», « Quel est ton amour ? », « Quel est ton remords ? », « Quelles sont tes craintes ? », « Quels sont tes espoirs ? », « Quels sont tes souhaits ? », « Quels sont tes oublis ? », « Quelle est ta maladie ? ». Les humbles chaises de Boltanski, familières, à l’image de celle de Van Gogh ou de celle où Giacometti installait ses modèles, questionnent mais n’apportent pas de réponse. Placées face aux sculptures monumentales du maître, elles les humanisent.
Sur la terrasse extérieure qui domine le jardin, Elisabeth Ballet fait écho à la frise du théâtre des Champs-Elysées réalisée par Bourdelle (les Muses accourent vers Apollon) en s’inspirant de la danseuse Isadora Duncan. Ses tubes d’aluminium (Flying colors, 2010) cintrés comme un virage, colorés de rouge et de jaune, en reprennent les lignes de force tout en exprimant un sentiment de vitesse.
Je cherche à exprimer dans la sculpture un lieu à partir duquel un récit imaginaire et fragmenté s’invente, la sculpture comme moyen d’évasion et la terrasse comme piste d’envol. […) J’ai pensé aux pas de danse, puis aux pas tout court, puis aux traces imaginaires que laissent les feux arrière d’automobiles roulant côte à côte sur une voie rapide la nuit. Je voulais que se perçoivent ces effets d’excitation et de dégagement que provoque la vitesse. Le rouge et le jaune des feux…
Elisabeth Ballet

Orlan, reference et repetitions, 2010 
Jean Luc Moulène
Dans l’espace circulaire du Hall des plâtres se déploie l’énergie baroque d’Orlan à travers « Super Palladium », « Super Or » et « Super White » , trois sculptures en résine relevant de l’oeuvre « Différence(s) et répétition(s) » et peintes en blanc, dorée à la feuille d’or et à la feuille de palladium couleur argent. Des volumes aux contours identiques, entre évocation d’un drapé (et du corps latent) et abstraction, d’une grande légèreté, dynamiques quoique solennels, en contraste avec les œuvres héroïques et guerrières de Bourdelle. Orlan interroge la sculpture comme reproduction à l’identique par le moulage même si ses pièces sont dessinées sans moule à partir d’un modèle en terre agrandi. A proximité, Jean-Luc Moulène se réapproprie des bronzes du maître et développent des formes énigmatiques renvoyant au corps féminin.
Si le « David » en plâtre peint (2006), réduction féminisée de l’œuvre de Michel-Ange par Hans-Peter Feldmann, avec ses cheveux dorés et ses yeux turquoises, laisse plutôt de marbre, les ballots de tissu noir contenant du charbon de Kounellis (sans titre, 2003), placés sur dix piédestaux en aluminium dégagent un puissant effet d’austérité et d’épure. L’opposition entre la rigidité du métal et une forme organique, l’élévation en sculpture et le tassement, une matière inerte et un matériau naturel, irrégulier, en rapport essentiel avec le vivant, n’est pas sans écho avec « l’esprit maîtrisant la matière » de Bourdelle (1910), élève de Rodin, exposée à proximité. Kounellis interroge l’histoire de la sculpture du point de vue des matériaux, de la sérialité et des dispositions de monstration.
On peut également contempler des œuvres d’un représentant de la Nouvelle Sculpture Anglaise, Richard Deacon (« More Free Assembly », 2009, « Two by Two », 2010), des pièces en équilibre précaire, d’une sobriété minimale, assemblage de modules géométriques évidés ou pièce en céramique constituée de volumes pleins.
Construire des structures, c’est être dans le geste plutôt que dans la matière.
Richard Deacon
Avec « sans titre » (Martin, Mac 2000 Performance), Ann Veronica Janssens projette une lumière blanche pulsée, dématérialisant l’œuvre par une lumière singulièrement matérielle tout en plongeant le visiteur dans une expérience sensorielle fascinante : des figures géométriques floues semblent se colorer et se diffuser dans l’espace, nous immergeant dans un halo déréalisant. Kees Visser propose quant à lui de vastes à-plats colorés monochromes, en diptyque.
« Face to Face » (2009), installation vidéo de Tania Mouraud, saisit les bruits et l’activité de la plus importante casse européenne, près de Duisbourg, tout en suscitant une réflexion sur la force de destruction à l’œuvre, le gaspillage et la pollution, l’incertitude pesant sur l’avenir de l’humanité mais également la pratique de la sculpture, le montage créant des effets de rythme qui modèle les déchets comme le sculpteur la matière.
En filmant ces rebuts, leur beauté, leur étrangeté, je souhaite que le visiteur soit à la fois attiré et interpellé par les images et le son. Je souhaite rendre palpable l’accumulation de déchets du quotidien, de notre civilisation de la consommation, montrer le ‘backstage’, ce qu’elle génère sans pathos et sans condescendance.
Tania Mouraud
Claude Lévêque nous convie enfin dans les réserves du musée à travers une installation lumineuse et sonore beaucoup plus poétique et forte que son intervention pour le pavillon français de la dernière biennale de Venise (2009). Le sous-sol, qui abrite des moules à pièces utilisés pour la fabrication des bronzes et des plâtres, des fragments de bustes, est plongé dans une semi-obscurité froide, baignée de mauve, quelque peu funèbre et inquiétante avec l’alternance de bruits de chute et de glas conçus par l’artiste et ça et là des fragments de sculptures mis en lumière. Un regard singulier peut-être issu de la photographie d’Antoine Bourdelle, « Coin d’atelier éclairé de nuit », vers 1889.








