MUSEE GUIMET, Paris, Septembre – Décembre 2010

En collaboration avec le Centre National des Arts Plastiques, le musée Guimet initie une ouverture à l’art contemporain asiatique susceptible de témoigner des permanences et des ruptures entre tradition et modernité. Ainsi quelques pièces de l’artiste chinois Chen Zhen, naturalisé français, dialoguent-elles avec la collection permanente du musée.
Des pièces entre Orient et Occident, imprégnées de philosophie et de médecine chinoise -l’artiste étant issu d’une famille de médecins-qui questionnent la place et le devenir de l’homme, « la circulation multiculturelle », la perte d’identité. Le parcours singulier de l’artiste, élevé en pleine Révolution Culturelle, tandis que Mao Zedong entendait éradiquer les valeurs traditionnelles puis étudiant aux Beaux-arts de Paris, passant ainsi d’un système communiste à un système individualiste et capitaliste, est au fondement de sa réflexion et de son inspiration. Chen Zhen s’efforce de combler le vide entre Orient et Occident en développant un nouveau langage plastique.
Celui ou celle qui approfondit sa connaissance de l’œuvre de Chen Zhen peut faire trois expériences éclairantes : sonder son savoir, le dépassement de l’opposition entre l’objet et son symbole, et finalement observer comment les deux fusionnent en un courant d’ouverture et de sagesse.
Harald Szeemann, Chen Zhen invocation of washing fire, 2003
A partir de 1989, il s’éloigne ainsi peu à peu de la peinture pour des installations mêlant éléments traditionnels et contemporains, chinois et occidentaux, travaillant directement avec l’objet pour interroger les relations entre l’Homme, la société de consommation et la nature.
Chen Zhen, Autel n°9 Chen Zhen, Hibernation divagation, 1990
Pièce la plus ancienne de l’exposition, « La Stèle / Le Cercueil », 1989, dresse un texte illisible, les lettres étant réduites à de simples motifs graphiques, au-dessus d’une machine à écrire impuissante, muette, partiellement immergée dans de l’eau, inhumée, tel une épitaphe dérisoire. Dans la Chine traditionnelle, les stèles relatent l’histoire, histoire d’un défunt à l’entrée d’un tombeau, d’un édifice…Si la stèle de Chen Zhen semble devenue cercueil, il est davantage question dans cette installation de purification, de passage vers un nouveau cycle de vie, que de mise à mort. L’objet, dépourvu de tout usage peut donner lieu à une renaissance immatérielle et méditative.
Sur le même registre « l’Hibernation / La Divagation, 1990, réunit des objets contemporains, machine à écrire, téléphone, écran, inanimés sous un texte indéchiffrable et fragmentaire. Ces objets en hibernation pointent le manque de sens lié au trop plein de communication de notre société mais portent l’espoir d’un renouvellement, d’une divagation. Chen Zhen évoque le paradoxe de la Chine, construite sur des traditions ancestrales mais s’industrialisant à outrance.
Enfin, l’artiste enfouit sous la cendre de l’Autel n°9, 1993, dans des boîtes de verre entourant un cylindre vertical rouge, symbole de vitalité et de renaissance potentielle, des objets modernes comme portés en sacrifice. Chen Zhen propose, par-delà la dialectique du plein et du vide, un transfert du cycle industriel au cycle naturel de la cendre jusqu’au cycle spirituel de la méditation qu’ils suscitent.
Je voudrais laisser l’objet – témoin / victime de notre société – revivre une nouvelle fois spirituellement et dialoguer intimement avec l’homme et la nature…
Chen Zhen
Ces différentes œuvres évoquent la transition, la purification.
Réalisé en 1995, le Berceau évoque la permanence du cycle de la vie – conformément à la philosophie chinoise et au taoïsme- en mêlant naissance et mort :
J’ai transformé en berceau un lit d’hôpital renversé… pour associer la naissance et l’expérience de la mort en un seul circuit.
Chen Zhen
Chen Zhen renverse de fait un lit d’hôpital et crée ainsi un berceau qu’il enveloppe de vêtements et de draps d’hôpitaux. Il y ajoute des haut-parleurs diffusant des vagissements de nourrissons et rires d’enfants et des gémissements de moribonds enregistrés au service des urgences de l’hôpital saint Louis. De l’opposition entre maladie et naissance, plaintes et rires, prend forme sinon une certaine renaissance, du moins une méditation sur la vie.
De la même année date l’une des installations les plus monumentales de l’artiste, créée à l’occasion du 50e anniversaire des Nations Unies, « Round table », table circulaire entourée de vingt-neuf chaises venues du monde entier, symbole de l’humanité et du multiculturalisme, avec gravée en chinois, au centre, la Déclaration des Droits de l’Homme. L’image du cercle, la rotondité de la table, évoquent la convivialité, l’égalité, la fraternité et le respect mutuel entre les peuples, un ordre humain idéal. Toutefois, à rebours de ces idées d’unité, d’harmonie, de communion en référence au « Guanxi » (réseau, relations interpersonnelles), les chaises suspendues au-dessus du sol où nul ne peut s’asseoir ni dialoguer semblent signifier la vanité et la difficulté des dialogues interculturels :
C’est « la métaphore de l’éternel malentendu, née du constat que le désir d’interaction se heurte souvent à l’impossibilité d’un véritable dépassement des différences entre les cultures et les idéologies ».

Des installations non sans force conceptuelle même si assez froides et faibles esthétiquement tandis que leur confrontation aux collections anciennes d’art asiatique aurait pu être menée à bien avec plus de pertinence.



