CENTRE POMPIDOU, Paris, Juin – Août 2018

Coder le monde se révèle une exposition des plus intéressantes sur les interactions entre le développement des technologies informatiques et la création. Construite autour de six chronologies consacrées aux thématiques suivantes : nombres, codes et programmes, les algoristes, littérature et numérique, musique et numérique, architecture/design et numérique, corps et code, elle permet la découverte d’œuvres rarement exposées, même si l’on rencontre également au fil du parcours des artistes de renom tels que François Morellet, Peter Campus -dont le travail a fait l’objet d’une remarquable exposition au jeu de Paume en 2017 (https://www.facebook.com/instantartistique/posts/405631876437232 et dont on peut à nouveau contempler « a wave », 2009)-, Othoniel, Farah Atassi.
Les approches les plus pertinentes à mes yeux relèvent d’animations et de projections réalisées à partir de la force de calcul de l’ordinateur -définition même du « computer art »-. Le duo d’artistes Driessens & Verstappen propose ainsi, outre quelques sculptures réalisées par impression 3D, une fascinante animation, « e-volved cultures, tiplet#7, 2011. Il s’agit d’un système informatique créé par un logiciel et qui produit un paysage artificiel qui se développe en temps réel. Un « art génératif » qui évoque certains processus naturels et d’une réelle qualité esthétique.
https://www.sciencesetavenir.fr/…/centre-pompidou-coder…http://digicult.it/…/morphoteques-intervista-a-erwin…/
L’artiste japonais Ryoichi Kurokawa propose, dans « unfold.alt », 2016, une installation sonore et visuelle d’une grande force et tout aussi captivante réalisée à partir des données d’un télescope spatial, notamment sur le rayonnement infrarouge, qu’il restitue par simulation numérique. Le son, d’une grande efficacité, accompagne magistralement les ruptures brutales de l’image ou ses développements.
http://woodstreetgalleries.org/…/ryoichi-kurokawa…/https://digicult.it/…/making-sense-interview-ryoichi…/
Dans 1911 (World encyclopedia), 2008-2018, Charles Sandison -auteur de la rivière de mots du musée du quai Branly- crée une remarquable projection vidéo générée par ordinateur par code C++ à partir de la 11ème édition de l’Encyclopédie Britannica publiée en 1911. Les mots de l’encyclopédie constituent la base d’un programme informatique et se déploient inlassablement selon la forme d’un crâne. « Mon pinceau, c’est le langage informatique. J’invente des programmes que je projette ensuite dans des environnements. » « La vidéo, c’est une projection finie comme un film de cinéma. On ne revient pas dessus. Alors que les ambiances que je crée sont en perpétuelle évolution »
https://www.telerama.fr/…/charles-sandison,-lartiste…
On peut noter également les animations de OpenEndedGroup à partir d’une danse de Merce Cunningham (« loops » 2001-2018), les mouvements du danseur générant des images 3D et sa voix de la musique ; « Predictive art bot », 2017, de Disnovation.org, qui, à partir d’un algorithme appliqué à des données publiées sur twitter, s’efforce de prédire, de manière absurde, les tendances artistiques à venir ou encore l’impressionnante « Pixillation » de Lillian F Schwarz, pionnière dans l’usage de logiciels informatiques dans la création. L’artiste y mêle singulièrement formes organiques et numériques, images de synthèse en noir et blanc et animation coloriée à la main. Les formes se développent, accompagnées des sons synthétiques de Gershon Kingsley, jusqu’à éprouver le spectateur par leur intensité, leur violence de coloris et leur clignotement. Un univers où s’immerger longuement d’ici le 27 aout…
Le centre Pompidou présente simultanément « Continuum » de l’artiste japonais Ryoji Ikeda, paysage acoustique et/ou visuel (dans « code verse ») où le code, les fréquences, les ondes sinusoïdales et le bruit blanc deviennent matériaux de création. http://next.liberation.fr/…/ryoji-ikeda-l-information…
Je suis passée très vite sur les expositions consacrées à l’Union des Artistes Modernes -sélection axée principalement sur le design et l’architecture dont la modernité est avant tout question de forme, de matériaux (le béton et le métal étant privilégiés) et de fonctionnalisme malgré quelques toiles de Vuillard, Léger, Delaunay ou Matisse-, et à Jean-Jacques Lebel dont la peinture, les collages et les happenings se nourrissent de surréalisme et plus encore de radicalité dadaïste mais dont le résultat esthétique ne m’a guère convaincue.

En revanche, le musée présente une admirable sélection des dernières acquisitions de son cabinet d’art graphique. Des propositions d’une grande diversité qui reflètent parfaitement le renouveau du dessin dans la création contemporaine et la capacité des artistes à renouveler un médium traditionnel par une remarquable liberté de création. Du côté de l’art moderne, outre un impressionnant portrait de Giacometti, j’ai relevé un admirable « nu avec tête », de 1955, où le modèle, représenté au fusain par un modelé fantomatique, apparaît en lumière, de dos et, dans l’ombre, de face, se reflétant dans un miroir, et une nature morte (« table à palette », 1954) de de Staël. Une suite de dessins à l’encre réalisés par Bram Van Velde emprisonné à Bayonne, en 1938, et quelque peu marqués par le cubisme. Une remarquable « dormeuse, lion, cheval invisibles » basée sur le principe des « images doubles », de Dali, réalisée à l’encre et à la mine en 1930 et qui donnera lieu à plusieurs toiles.
Les avant-gardes de l’après-guerre sont représentées par des artistes plus méconnus mais dignes d’attention tels que Djoka Ivackovic, entre l’abstraction gestuelle d’un Soulages et l’action painting américaine de part l’implication physique singulière de l’artiste dans son œuvre, l’improvisation à l’œuvre dans le processus créatif, le coloris ou encore une encre de René Laubiès.

Pierrette Bloch, sans titre, 2012 
Silvia Bächli, rhomb (n°1), 2015
Du côté de la contemporanéité, on peut noter une très belle suite de dessins de Pierrette Bloch, « sans titre », 2012, qui mêlent de façon novatrice pastel et fusain et rompt ainsi avec son usage prédominant de l’encre de chine. « Sans titre », du danois Per Kirkeby, 1983, suite de dessins nerveux en noir et blanc, en technique mixte (encre, craie, mine) et quasiment abstraits. « Les bourgeois passent… », 1968, où l’artiste américaine Nancy Spero rend hommage à Jean Genet tout en reprenant des motifs d’œuvres antérieures réalisées contre la guerre du Vietnam tels que des victimes rampant. « Rhomb (Nr. 1) », 2015, assemblage de quatre gouaches de Silvia Bächli produisant une composition complexe à partir de la répétition d’un même motif. Une très belle série de fusains de l’artiste iranien Ali Banisadr, au trait dense et quelque peu inquiétant et où se fondent de multiples références (miniature persane, graffiti ou bande dessinée…). Une suite de dessins de John Cage réalisés à partir de l’empreinte de cordelettes encrées sur le papier et dont les caractéristiques s’inspirent d’un livre de divination chinois…A voir !

Carl Andre, 144 Tin square, 1975 
Larry Bell et Donald Judd
De même que l’accrochage actuel des collections permanentes et notamment un bel ensemble d’œuvres minimalistes et d’Arte Povera dont le « 144 Tin square », 1975, de Carl Andre qui nous accueille à l’entrée du musée contemporain et que pourtant bien peu de visiteurs remarquent.
























































