FONDATION PINAULT, Paris, Mai-Décembre 2021

Après trois ans de travaux -et la tentative avortée d’implantation sur l’île Seguin-, la fondation Pinault vient d’ouvrir ses portes à quelques pas du Centre Pompidou. Quoique loin d’être une inconditionnelle du béton, l’intervention de l’architecte japonais Tadao Ando se révèle sobre, discrète et plutôt respectueuse de l’imposant bâtiment de la bourse du commerce élevé en 1889 –sur le lieu de l’ancienne halle au blé construite par Nicolas Le Camus de Mézières au XVIIIe siècle dont ne reste qu’un admirable escalier à double révolution-, édifice en rotonde orné d’une fresque monumentale représentant les échanges commerciaux (1886-1889) et surmonté d’une coupole en fer conçue par François-Joseph Bélanger et Jacques Ignace Hittorff (1813) qui offre une superbe lumière zénithale grâce à sa vaste verrière.
L’extérieur est inchangé tandis que l’architecte a manifestement souhaité qu’ « un nouvel espace s’emboîte à l’intérieur de l’existant » en élevant un cylindre de béton au cœur de l’édifice tandis que des espaces d’exposition généreux, prêts à accueillir de vastes toiles ou installations contemporaines, se déploient au pourtour de la rotonde, offrant de remarquables points de vue sur l’église st Eustache voisine et le plateau du Centre Pompidou.
De fait, on note un désir manifeste de transparence (ouvertures dans le voile circulaire de béton de 9 mètres de haut et de trente mètres de diamètre pensé par Ando, garde-corps en verre…), l’escalier aérien donnant accès aux étages des salles d’exposition permettant d’approcher peu à peu la fresque et la verrière tout en ménageant des regards sur le foyer, les salles du pourtour, la rotonde.
Un bel espace dédié à la création contemporaine…à ceci près que les œuvres ne sont pas à la hauteur. Certes, s’agissant d’une collection privée, la sélection reflète les goûts de son auteur et non un regard « objectif » sur la scène artistique actuelle. Rares sont les propositions qui méritent à mes yeux le détour. Urs Fischer investit la rotonde avec emphase (untitled, 2011-2020) en plaçant au centre une copie d’une œuvre emblématique du maniérisme italien, l’enlèvement de la sabine de Giambologna (1579-82), dont l’original se trouve à la Loggia dei Lanzi de Florence. On relève toutefois sur le groupe sculpté des coulures de cire…ça et là, l’artiste a par ailleurs disposé des sièges incarnant différentes cultures et évoquant la mondialisation : siège d’avion, assises africaines traditionnelles, chaise de jardin…Au début de l’exposition, l’artiste a allumé les mèches fichées dans ses pièces de cire pigmentaire et peu à peu le formel devient informe.
Autre intervention remarquable : The Guardian de Tatiana Trouvé, dispersion au sein de l’espace de la fondation d’une suite de chaises rendues tangibles par l’usage de matériaux nobles : marbre, bronze, cuivre, onyx. Les chaises, gardiennes des espaces, portent les traces de présences disparues. Elles évoquent notre façon d’habiter le monde et font appel à l’imaginaire pour combler le vide de l’absence.
L’exposition inaugurale propose par ailleurs un ensemble significatif de pièces de l’américain David Hammons réalisées à partir de matériaux de récupération assemblés, suspendus, détournés en une démarche militante évoquant avec une grande radicalité une mémoire collective chargée.
Cindy Sherman, untitled film still, 1977-79 Marlene Dumas, skulls, 2011-2015 Luc Tuymans
Par-delà une belle série de photographies de Cindy Sherman interrogeant certains stéréotypes sociétaux, le plaisir de revoir une œuvre envoûtante, en perpétuelle métamorphose, voisine de celle exposée en 2013 (« l’Expédition scintillante ») au Centre Pompidou, « Offspring » de Pierre Huygue, 2018, qui en est la déclinaison, système auto-génératif pour son et lumière variant au gré de la température, de l’humidité et des mouvements des visiteurs, j’ai surtout relevé, du côté de la peinture, l’impressionnante série « skulls » de Marlène Dumas. L’artiste sud-africaine réduit à l’essentiel ses figures, dépourvues de tout détail anecdotique ou arrière-plan, afin de sonder la complexité de l’image, son ambivalence, et use de la sérialité, de la variation, pour évoquer l’aspect fragmentaire du sens de nos jours. Si le regard se concentre sur chaque crâne individuellement, la série évoque la condition universelle de l’homme, sa mortalité.
En dépit de cette première exposition bien peu stimulante, -trop d’oeuvres relevant d’une forme d’éloge de la laideur, de primitivisme, du nouveau dogmatisme pour toute forme d’engagement, d’identité -sexuelle ou culturelle-, de pratique marginales, on ne peut que se réjouir de disposer d’un nouvel espace d’exposition de cette ampleur au centre de Paris et espérer que les expositions temporaires, les commandes, le fruit des partenariats contractés avec d’autres institutions permettront d’en faire un véritable pôle d’intérêt artistique susceptible de rehausser un peu l’image et la qualité de ce quartier des halles devenu le royaume des skateurs et autres squatteurs…



