Comme il est difficile de profiter actuellement de ces premiers jours de printemps ensoleillés, je me pencherai ce soir sur quelques œuvres de l’auteur du Printemps, et tout particulièrement une autre de ses œuvres à thématique mythologique, « Mars et Vénus », 1483, commande des Vespucci -peut-être, vu le thème et le format, à l’occasion d’un mariage-, conservée à la National Gallery de Londres. On songe en effet aux « spalliere », œuvres suspendues à hauteur d’épaules dans la chambre de jeunes mariés, espace alors semi-public.
Le sujet du tableau est la victoire de l’amour, victoire sur la force du guerrier. L’artiste représente le couple face à face, en partie allongé, dans la posture des banquets antiques et avec un bosquet de myrte, l’arbre de Vénus, symbole de mariage, en arrière-plan. Vénus est vêtue d’une somptueuse robe blanche qui dessine ses formes, soulignées de surcroît par les tresses dorées de la déesse en guise de parements, symbole peut-être de chasteté -très éloignée de sa représentation dans la « Naissance de Vénus »- dès lors que la robe ne peut plus être ôtée. Sa chevelure blonde et la pâleur de son teint évoquent davantage un idéal de beauté féminine contemporain qu’une référence antique. Elle regarde au loin, détendue et majestueuse, tandis que son amant s’abandonne au sommeil. Le dieu de la guerre a délaissé son armure –avec laquelle jouent de petits faunes- et repose nu sur sa cape, une pièce de tissu blanc recouvrant son intimité, inconscient des jeux bruyants des faunes (l’un d’eux lui souffle pourtant dans l’oreille avec une conque -symbole de Vénus-, au point de perturber un nid de guêpes).
Botticelli a pu s’inspirer de modèles classiques, particulièrement le mariage d’Alexandre et Roxane décrit par le poète Lucien, où des amours jouent avec les armes du conquérant. L’artiste, recevant des commandes des Médicis, alors à la tête de Florence, côtoyait les poètes et érudits de leur cour versés dans la culture antique tels Ange Politien, auteur d’un poème contemporain de la toile évoquant des petits satyres aux pattes de chèvre compagnons d’un berger endormi dans une Arcadie d’amour et de plaisir. Le corps musclé, quoique totalement détendu dans l’œuvre de Botticelli, rappelle des nus virils antiques, de même que son pied gauche pris dans sa cape (cf l’hermaphrodite endormi).
Le mythe de Mars et Vénus était par ailleurs populaire à Florence. Vulcain, l’époux trompé, se vengera des deux amants en les prenant dans un filet quasiment imperceptible et les laissant à la moquerie des dieux.L’œuvre est antérieure à l’arrivée de Savonarole à Florence, laquelle se ressentira dans l’œuvre du peintre si l’on songe à l’écart entre « la Naissance de Vénus » et ses peintures religieuses des années 1490 telles que la surprenante « Vierge à l’enfant avec le jeune st Jean-Baptiste » du Palazzo Pitti (1490-95) dont la sentimentalité, l’allongement formel, la tristesse de la Vierge, l’utilisation de l’espace, font écho à la piété exaltée du temps ou même « l’Annonciation » des Offices (1489-90) où affleure une tension spirituelle nouvelle, le prédicateur condamnant la corruption morale sous toutes ses formes y compris artistiques. Elle est contemporaine de l’une des plus belles et mâtures Vierge à l’enfant de Botticelli : le tondo de « La Madonna del Magnificat », composition audacieuse qui représente une Vierge le visage absorbé et gracieux, -entourée par des anges de toute beauté dans leur physionomie juvénile, leur regard céleste, leur chevelure délicatement bouclée, leurs traits idéalisés, leurs vêtements et leurs gestes d’une incroyable élégance-, en train d’écrire le cantique « magnificat anima mea Dominum ».