Réalisée entre 1787 et 1800, « Psyché ranimée par un baiser de l’Amour » est indiscutablement le chef-d’œuvre d’Antonio Canova. Commandée par le collectionneur anglais Campbell, acquise par Joachim Murat et désormais conservée au musée du Louvre, elle est emblématique du néoclassicisme de la fin du XVIIIe siècle. Elle s’inspire, quant au récit mythologique, d’Apulée, quant à la composition, de références tant antiques (une peinture romaine vue par l’artiste à Herculanum) que modernes (Apollon et Daphné de Bernini). Canova choisir de représenter l’instant où l’Amour réveille et enlace Psyché, au bord de la mort après avoir respiré les effluves rapportés dans un flacon des Enfers pour Vénus, flacon qu’elle avait interdiction d’ouvrir-.
La composition est tout à fait époustouflante, comme le traitement virtuose du marbre et la beauté de l’œuvre. Psyché est étendue sur un drapé délicat et sensuel qui lui enserre le bas des hanches, soulevée par l’Amour qui lui tient tendrement les cheveux et rapproche son visage du sien. S’abandonnant doucement vers l’arrière, Psyché entoure, d’un geste alangui, la chevelure aux boucles finement ciselées de son amant. Les courbes du bas du corps de Psyché et de ses 2 bras s’équilibrent parfaitement et l’aile droite de l’Amour prolonge la courbe du corps de Psyché tandis que son aile gauche se poursuit dans la jambe droite du jeune dieu. L’oeuvre se fonde sur l’emboîtement des 2 figures, la fugacité de l’instant, l’instabilité de l’étreinte, l’écart entre les visages des amants renforçant l’intensité, la charge émotionnelle et sensuelle du groupe. Un X, chiasme expressif et équilibré, divise l’espace mais est rompue par le jeu des courbes, la tension intérieure à l’œuvre, une contradiction harmonieuse entre la construction rigoureuse et les éléments qui la contredisent (quand on tourne autour du groupe, la régularité des lignes se brise, la structure se dissout en un enchevêtrement de courbes). La jambe fléchie de l’Amour, ses ailes redressées, le torse soulevé de Psyché donnent une élévation inédite à la composition. La position des jambes de Psyché et de l’Amour délimite un volume pyramidal qui assoit solidement la composition. Mais l’artiste perturbe admirablement cette stabilité par une rotation complexe et dynamique, un mouvement partant du pied droit de l’Amour et suivant l’enlacement des bras qui soulèvent Psyché.
Canova parvient, à partir d’un seul bloc de marbre, à créer une incroyable illusion de mouvement, de vie, le marbre lisse se fait chair, la surface vibre, dans une tradition tout à la fois baroque et néo-classique. Illusion renforcée par les jeux de pleins et de vides, d’ombres et de lumières, la pluralité des points de vue induite par le socle tournant de la sculpture. De Bernini, Canova retient ce travail extraordinairement subtil et diversifié du marbre, laissant sciemment des traces de gradine sur la surface du rocher, traitant les chairs avec des râpes de plus en plus fines pour simuler la peau sensuelle, douce et délicate, usant des différences de grain pour distinguer le drapé au sol de la légère mousseline qui couvre l’intimité de Psyché, dessinant les ailes dans l’espace avec une telle dextérité qu’elles sont tout à la fois translucides dans la lumière et d’une remarquable matérialité. En revanche, la faible individualisation des corps adolescents quelque peu asexués et un retour au beau idéal relèvent du néo-classicisme.
L’œuvre a fait l’objet de nombreuses études, dessins ou modelages, modèles en plâtre (Metropolitan Museum), dégageant peu à peu l’enlacement des corps, la position des bras, l’échange de regards. Un bozzetto de terre cuite témoigne d’une version beaucoup plus violente de l’étreinte, l’artiste étudiant la relation entre deux figures qui s’embrassent. L’artiste a traité plusieurs fois ce thème puissant -par-delà l’amour juvénile- de la rencontre entre l’âme humaine -dont Psyché deviendra la déesse, son histoire symbolisant à merveille les épreuves que l’âme doit franchir pour atteindre le bonheur et l’immortalité, – et l’amour céleste, mais dans l’œuvre du Louvre il atteint une force, une expressivité et une épure incomparable qui seront admirées dès son vivant. Le prince Youssoupov lui commandera une version plus pudique de l’œuvre, actuellement au musée de l’Hermitage (1796). Canova a également traité le thème de l’Amour et Psyché en les représentant debout (1797), très jeunes, jouant avec un papillon –symbole de l’âme-, d’après un modèle antique des Offices. On peut enfin considérer la toile homonyme de Gérard du Louvre (1798) comme son équivalent pictural…