Les musées ont été parmi les 1ers lieux à fermer, considérés comme « non indispensables ». Est indispensable ce dont on ne peut se dispenser, l’ensemble des choses essentielles, vitales. Considérant la présence et la confrontation à l’art comme vitales et néanmoins désormais privée de cette présence, je remplacerai le contact régulier avec les oeuvres par quelques lignes quotidiennes sur une toile, une sculpture, une installation…Honneur à Raffaello Sanzio pour débuter, le maître de la Renaissance italienne dont on célèbre cette année le 500e anniversaire de la disparition, génie s’il en est, toujours capable de se renouveler tout en assimilant tant la leçon de l’antique que les apports de ses contemporains (Vinci, Michel-Ange…) sous des pinceaux d’une grâce et d’une vitalité tout à fait époustouflantes.
Difficile de choisir une œuvre parmi la succession de chefs d’œuvres dont il est l’auteur, de l’Ecole d’Athènes et l’Incendie du Bourg des stanze du Vatican aux nombreuses Vierge à l’enfant présentes dans les plus célèbres collections de peinture dès son vivant et aujourd’hui dans les plus grands musées, en passant par l’impressionnant carton de tapisserie de la pêche miraculeuse…
Je retiendrai toutefois une oeuvre qui m’a totalement éblouie lorsque je l’ai contemplée à la pinacothèque Vaticane, de part la grâce et la lumière qui émane de son principal protagoniste, l’incroyable expressivité de chaque personnage de la scène, la complexité remarquablement maîtrisée de la composition. La Transfiguration, dernière toile peinte par Raphaël (1518-1520), a été commandée par le cardinal Jules de Médicis pour la cathédrale de Narbonne dont il était l’évêque. Il dépeint deux épisodes décrits successivement dans l’Evangile selon st Matthieu, la Transfiguration et la rencontre des Apôtres avec l’enfant possédé que Jésus guérira à son retour du Mont Thabor.
Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques, et Jean son frère, et les emmène, à l’écart, sur une haute montagne.Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.Pierre alors, prenant la parole, dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ; si tu le veux, je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »Comme il parlait encore, voici qu’une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu’une voix disait de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le. »À cette voix, les disciples tombèrent sur leurs faces, tout effrayés.Mais Jésus, s’approchant, les toucha et leur dit : « Relevez-vous, et n’ayez pas peur. »Et eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul.[…] »« Comme ils rejoignaient la foule, un homme s’approcha de lui et, s’agenouillant, lui dit : »Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique et va très mal : souvent il tombe dans le feu, et souvent dans l’eau.Je l’ai présenté à tes disciples, et ils n’ont pas pu le guérir » — »Engeance incrédule et pervertie, répondit Jésus, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand ai-je à vous supporter ? Apportez-le-moi ici. »Et Jésus le menaça, et le démon sortit de l’enfant qui, de ce moment, fut guéri.Alors les disciples, s’approchant de Jésus, dans le privé, lui demandèrent : « Pourquoi nous autres, n’avons-nous pu l’expulser » ? »Parce que vous avez peu de foi leur dit-il. Car, je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : Déplace-toi d’ici à là, et elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible. »Comme ils se trouvaient réunis en Galilée, Jésus leur dit : « Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes,et ils le tueront, et, le troisième jour, il ressuscitera. » Et ils en furent tout consternés.
Raphaël sépare strictement les registres céleste et terrestre -le Ciel symbole de Rédemption et l’Humanité envahie par le mal-, tout en assurant un lien magistral, par la couleur, la géométrie, la gestuelle, le rythme, entre les deux registres par la présence des 3 apôtres placés dans une forme en amande, à l’intersection de deux cercles. Il les fait contraster harmonieusement : l’immobilité de la scène représentée dans les cieux s’opposant à une foule turbulente sur terre dont les corps expriment la diversité des réactions, dont les bras levés et convergeant vers le Christ participent de l’unité de la composition ; la lumière blanche et la clarté de l’une s’opposant aux couleurs plus vives, aux volumes dessinés par un fort clair-obscur, de l’autre ; la beauté idéale du Christ s’opposant aux traits déformés du groupe entourant l’enfant dominé par une figure de dos, tournante, d’une incroyable audace plastique, au 1er plan, une femme qui désigne aux apôtres l’épileptique et unie ainsi les deux groupes du registre inférieur.
La composition, d’une redoutable inventivité, est en réalité structurée selon trois registres : les apôtres, en bas du Mont Thabor, en plein désarroi (les bras tendus, les bustes penchés), incapables de guérir le jeune épileptique, aux yeux révulsés ; Pierre, Jacques et Jean, au sommet du Mont, terrassés par la lumière ; le Christ en gloire, au centre du registre supérieur, les bras ouverts rappelant quelque peu la Crucifixion, en contrapposto. Vision de béatitude, tout de blanc vêtu, flanqué des prophètes Moïse et Elie, ce-dernier se déploie dynamiquement dans des nuées blanches, magnifié par le flottement des drapés et des cheveux, le contour de sa silhouette soulignée par la lumière irréelle qui l’entoure tout en frappant d’éclat le spectateur.