
Parmigianino a représenté à plusieurs reprises le thème, inspiré de la Légende Dorée, du mariage mystique de sainte Catherine avec l’Enfant Jésus. La version réalisée vers 1525 et conservée à la National Gallery de Londres se distingue toutefois par l’audace de la composition, la grâce époustouflante qui émane des figures féminines, la touche rapide qui anime la surface et tend à dissoudre les formes. La version antérieure réalisée pour l’église santa Maria de Bardi (1521), semble beaucoup plus hiératique -quelle que soit l’influence déjà sensible de Correggio-, structurée sur des verticales beaucoup plus que sur les courbes qui s’affirmeront par la suite. Quant à la version ultérieure et inachevée du Louvre (1527), elle s’inspire de « la Madone Aldobrandini » de Raphaël dont elle reprend la structure pyramidale et l’attitude de la Vierge.
La toile de Londres représente l’enfant Jésus se tournant vers sa mère tandis qu’il passe un anneau au doigt de Sainte Catherine, geste qui constitue le point focal de la composition, en son centre, au croisement des deux diagonales dessinées par les figures. La Vierge et la sainte sont de profil, la lumière soulignant la nuque et le long cou élégant de la Vierge -dont le visage reste toutefois dans l’ombre- et baignant la gorge généreuse de la sainte. Au 1er plan gauche, l’artiste a étrangement placé la tête d’un homme âgé et barbu, probablement saint Joseph, couronné d’un halo à la différence des autres figures saintes. La sainte est identifiée par l’attribut de son martyre, une roue à pointes de fer.
Correggio, mariage de ste Catherine, Capodimonte, vers 1518 il Parmigianino, madonna dal collo lungo 1534 40_Uffizi juin 2019.
Parmigianino s’inspire du « Martyre de sainte Catherine » de Correggio (Capodimonte), 1518, mais il place la scène dans un intérieur, une pièce éclairée par un oculus tandis qu’à travers une porte à l’arrière-plan, au centre de la toile, une autre pièce se dessine avec une fenêtre rectangulaire lumineuse et deux personnages non identifiés. S’il reprend des éléments de la composition de Correggio : la remise de l’anneau au centre de la composition, le regard de l’Enfant vers sa Mère, il la réinterprète profondément pour créer une image plus étrange et élégante. Il renonce par ailleurs aux primaires pour des couleurs acidulées, opte pour des drapés plus raffinés, quelque peu translucides, qui dessinent les courbes féminines, des corps contorsionnés aux membres et aux doigts anormalement allongés, traits typiquement maniéristes qui annoncent les innovations plastiques de « La Vierge au long cou » (Florence, musée des Offices, 1534-40), réalisée pour l’église Santa Maria dei Servi de Parme et qui développe le thème de la Vierge comme représentation allégorique de l’Eglise. Le mariage de Londres révèle par ailleurs l’influence des œuvres les plus novatrices de Raphaël (« l’Incendie du Bourg », 1517) et de Michel-Ange (figure serpentine, pyramidale et fougueuse, qui culminera dans « le Génie de la Victoire », 1532-34) dont la fusion, selon Pinelli, constitue la Manière (Antonio Pinelli, La belle manière. Anticlassicisme et maniérisme dans l’art du XVIe siècle, le Livre de Poche, 1996), même s’il ne va pas jusqu’à considérer la maniera comme un art né de l’art, dépendant du style d’autrui, comme Cennini : l’influence des maîtres n’interdit pas toute innovation formelle et iconographique.
De fait, Parmigianino est un artiste emblématique de ce courant perçu au XIXe siècle comme un art décadent, puis, dans les 1r décennies du XXe siècle, comme un art de crise (le maniérisme se diffusant particulièrement en Europe après le Sac de Rome) pour apparaître depuis les années 1960 comme un langage artificiel et cultivé, brillant, hermétique, intime et sensuel, s’éloignant de la nature tandis que l’art classique s’y référait tout en idéalisant. Un art privilégiant quelque peu la forme sur le fond. Le beau maniéré n’est de fait plus dans la vérité des formes imitées de la nature mais une réinterprétation personnelle guidée par une quête d’harmonie ou de rythme plus libre, plus arbitraire. C’est ainsi que Vasari définit la maniera : un style individuel, subjectif, par opposition à la fidèle imitation de la réalité. L’étirement des membres, en rupture avec le canon classique de 1/8-1/9 pour un canon de 1/10 voire 1/12, témoigne d’un sens esthétique des rythmes. La gestuelle, les membres entrelacés reflètent la même rupture avec les règles antérieures. Les compositions privilégient les dispositions en diagonale avec des personnages en coulisse, des figures violemment raccourcies ou tronquées qui impliquent le spectateur dans l’œuvre, des protagonistes en pleine lumière, lieu de convergences des lignes perspectives, tandis que des témoins sont à contre-jour. Le maniérisme de Parmesan est toutefois davantage marqué par Correggio que par Michel-Ange et se révèle tout à fait singulier et admirable. Sa palette privilégie ainsi un ton verdâtre dominant d’une grande douceur ponctué de tons locaux, un éclairage enveloppant, un traitement peu orthodoxe de l’espace, une représentation anticanonique des personnages, souvent accentuée par une verticalité marquée (madone au long cou), un aspect rythmique très personnel de sa peinture.



