
Réalisée en 1507 pour Atalanta Baglioni, en mémoire de son fils assassiné, la mise au tombeau ou Déposition Borghese (conservée à la Galleria Borghese, Rome) apparaît comme le premier grand effort de Raphaël pour exprimer le mouvement. L’artiste représente le groupe principal de personnages animé d’un remarquable dynamisme, se déplaçant vigoureusement vers la gauche pour placer le corps du Christ dans le tombeau dont on voit l’entrée dans le rocher, à l’extrême gauche. Au centre de la composition, un jeune homme marche, le buste tendu en arrière pour équilibrer le poids de sa charge, avec derrière lui Marie Madeleine qui soutient la main du Christ. Sur la gauche, deux hommes montent, difficilement, les marches creusées dans la roche et tirent le corps vers le haut. A l’opposé, le groupe secondaire des femmes, sur la droite et rejeté en arrière, centré sur la Vierge qui défaille soutenue et entourée par trois saintes femmes aux visages affligés, semble basculer en arrière. Les deux groupes sont toutefois reliés par la posture arquée du porteur central et l’oblique de son bras tendu, le tout sur un admirable fond paysager. La vision de l’espace de Raphaël paraît moins géométrique que la vision florentine, plus libre et plus naturelle.
Ce choix de représenter le portage du corps du Christ mort et non la déposition elle-même rompt avec les représentations antérieures du sujet. La composition est structurée par d’amples diagonales et le mouvement des corps qui se croise au centre de la toile de format carrée. Elle permet par ailleurs d’exprimer la séparation définitive de la Mère et du Fils, sans pour autant renoncer à la grâce propre à l’artiste qui préfère exprimer une forme de résignation douloureuse qu’un violent chagrin. Par-delà l’harmonie d’ensemble et la qualité du trait, ferme et rapide, rehaussé par des coloris clairs d’une grande délicatesse où le vert pâle de certains vêtements rappelle le paysage à l’arrière-plan, le brun des robes des saintes femmes celui de la roche du tombeau, on relèvera l’influence de Michel-Ange (bataille de Cascina) sur le traitement anatomique des corps, particulièrement celui du porteur central et du Christ : modelé des épaules nues du mort et rendu précis de ses pectoraux, tension musculaire, vigueur formelle et sens de l’espace…influence également perceptible dans la figure féminine sur la droite qui rappelle la Vierge du Tondo Doni (1504-06). Le corps affaissé du Christ et les deux porteurs latéraux s’inspirent par ailleurs d’un sarcophage antique représentant les funérailles de Méléagre. La prédelle du retable Baglioni, représentant en grisaille, sous la forme de tondi, des allégories de la Foi, l’Espoir et la Charité flanquées d’angelots, est conservée au musée du Vatican.

Près d’un siècle plus tard, un autre chef-d’œuvre prend pour sujet la mise au tombeau, sous le pinceau de Caravaggio (1602-1603, pinacothèque vaticane). L’œuvre résulte d’une commande de Girolamo Vittrice pour sa chapelle familiale à Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova) à Rome. Caravaggio réalise une composition extraordinaire, d’une monumentalité sculpturale, construite en arc de cercle avec la pierre de l’Onction, soit la pierre tombale qui ferme le sépulcre, bien en évidence dans la partie supérieure, pierre rappelant celle de l’autel (le corps du Christ offert au fidèle renvoyant au sacrement de l’eucharistie) et dont le coin saillant, formellement, fait contre-poids au coude du porteur qui soulève les jambes du Christ. L’arc de cercle est dessiné par les corps et la puissante gestuelle des six personnages de la scène. La composition les lie depuis le linceul tombant à la verticale sur la gauche, qui redonde ainsi l’abandon du corps du mort, jusqu’aux bras levés au ciel, dans un geste d’une grande intensité dramatique, de la femme désespérée, sur la droite, identifiée comme Marie de Clopas, en passant par les deux porteurs (Nicodème et Jean) et la Vierge flanquée de Marie-Madeleine qui, penchée, sèche ses larmes. La composition est par ailleurs sublimée par la puissance des coloris délibérément dissonants (rouges, orange, outremer, vert) et le chiaroscuro, le corps du Christ, dont le mouvement s’inspire de la Lamentation sur le Christ mort de Giotto (chapelle Scrovegni, Padoue) est baigné de lumière, de même que les visages de la plupart des protagonistes, révélant ainsi l’expression de leurs visages, dont certains semblent toutefois sortir de l’ombre.
Le mouvement est suspendu, le groupe s’immobilisant avant de porter le corps dans le tombeau : Caravaggio rompt avec la représentation traditionnelle d’une Mise au tombeau ou d’une Déposition en ne représentant pas le moment véritable de la mise au tombeau mais celui où Nicodème et st Jean s’apprêtent à l’allonger sur la pierre de l’Onction. L’artiste se singularise également par le choix d’un point de vue assez bas et surtout par le réalisme et la vitalité de ses personnages, courbés, voûtés, témoignant de l’effort physique, du poids du corps du Christ, ou encore le front veiné de rides, en rupture avec l’idéalisation renaissante.



