De la nécessité de l’Art – 49e jour – Anish Kapoor

Anish Kapoor, le Léviathan, Grand Palais 2011

Œuvre circulaire, espace négatif plein de vie et d’énergie, Descension, 2014, réalisée par Anish Kapoor, interroge le vide. L’artiste use du matériau le plus élémentaire, le plus essentiel et nécessaire à la vie, l’eau, pour donner à voir –et à entendre- un vide tout à la fois terrifiant, puissant et fascinant ; une œuvre singulièrement attirante par la forme enveloppante qui se dessine et l’appel du néant qu’elle incarne. Véritable vortex d’eau sombre tourbillonnante, l’installation présente une excavation, entourée d’une barrière circulaire, d’où une eau teintée en noir jaillit et tourne pour disparaître au centre dans un trou sans fond. Œuvre d’une grande beauté visuelle, frôlant le sublime, elle renvoie au néant précédant le début du monde et à certaines pensées sur les propriétés de l’eau transformée en espace négatif. Il s’agit d’une œuvre qui simule un phénomène naturel, une « sculpture descendante », selon les mots de l’artiste, une sculpture en ce qu’elle naît d’un artifice. Elle déroute par ailleurs parce qu’on ignore son échelle, sa profondeur, tout comme ce qui l’anime et que l’homme cherche généralement une mesure à ce qu’il perçoit. Elle perturbe en outre notre perception de la terre comme élément solide tandis que par sa nature de flux et de mouvement, elle s’affirme comme une force perpétuelle. Pour Kapoor, préserver le mystère d’une œuvre, entre sens et non-sens, le sens n’étant pas d’emblée délivré par l’artiste mais construit avec l’espace alentours et la participation d’autrui, est essentiel. D’aucuns y verront une fenêtre sur le futur ou le passé, la fugacité de notre existence…quoiqu’il en soit, l’artiste s’intéresse à ce que nous échappe, conscience que « la limite de la perception [humaine] est aussi le seuil de l’imagination humaine » (Nicholas Baume)

Je l’ai toujours pensé (le vide)… comme un espace de transition, interstitiel. Cela a beaucoup à voir avec le temps. En tant qu’artiste, j’ai toujours été intéressé par ce premier instant de la créativité où tout est possible et rien n’a encore commencé. C’est un espace de devenir.

Anish Kapoor
Anish Kapoor, descension_Versailles, 10 juin 2015

Les oeuvres d’Anish Kapoor, -qui participe de la New British Sculpture dans les années 1980 avec Richard Deacon, Antony Gormley, Tony Cragg, caractérisée par une remise en cause des pratiques sculpturales en vigueur-, nous détournent de l’apparence vers la recherche de l’être, la conscience de soi et l’être au monde, l’universalité de l’espace et du temps. Elles sondent la puissance de la matière, l’énergie qu’elle contient, métaphore de l’univers, souvent par le biais d’antithèses explorant des dualités métaphysiques : lumière et ombre, positif et négatif, matériel et immatériel, concave et convexe, naturel et artificiel, plein et vide, interne et externe…Ses célèbres miroirs, par exemple, nous renvoie une image distordue du monde, inversant ou déformant ce qu’ils reflètent.

Anish Kapoor, ascension_25 ans galleria continua_le 104, Paris, septembre 2015

Réalisée en 2011, Ascension opte pour la fumée blanche et un mouvement ascendant, la fumée étant aspirée par une grande soufflerie, dessinant une forme de colonne presque palpable dans l’espace, à l’opposé de Descension. Kapoor s’intéresse ici à l’idée de matérialiser l’immatériel. Exposée notamment à la basilique san Giorgio de Venise en parallèle de la biennale de Venise 2011, l’œuvre peut à l’évidence renvoyer à la notion de transcendance, à l’ascension du Christ ou encore à Moïse guidé dans le désert par une colonne de nuée le jour, une colonne de feu la nuit. (Exode, 13, 21)

Jouant entre l’interne et l’externe, l’œuvre créée par Kapoor dans le cadre de Monumenta, au grand Palais (2011), intitulée Léviathan, évoque non seulement le monstre biblique mais aussi une cathédrale, voire même une forme de régression utérine. Si de l’extérieur l’énorme structure gonflable –et donc éphémère et fragile quoique massive- rouge sombre déployée par l’artiste sous la verrière du Grand Palais et difficile à embrasser d’un regard évoque un zeppelin fait de trois sphères sombres de même taille, lisses et rondes, à l’intérieur prime la sensation d’enfermement, accentuée par la faible luminosité et l’atmosphère colorée, rouge sang. Là, le visiteur se trouve confronté à lui-même, dans un espace où il n’a plus de repères et sans issue. Un espace surmonté d’un cône central flanqué de deux autres cônes, tous de mêmes proportions, rigoureusement symétriques. Un espace où toutefois, par le choix d’une matière textile translucide, la lumière extérieure qui traverse la verrière joue un rôle important et évoque le chœur d’une cathédrale flanqué de deux chapelles latérales. On peut encore songer au Léviathan de Hobbes, Etat souverain et tentaculaire permettant aux individus d’échapper à l’état de nature.Selon l’artiste, l’art abstrait nécessite de nouveaux langages, nécessairement philosophiques. Il implique de se confronter à « la question de l’échelle de grandeur d’un objet, celle de l’espace réel et imaginaire dans lequel il se déploie et celle du temps qui affecte à la fois l’espace d’un objet et son échelle ». La couleur joue par ailleurs un rôle essentiel dans le Léviathan, le monochrome rouge englobant tout, « comme si la couleur trempait le spectateur jusqu’aux os. » (Anish Kapoor).

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