De la nécessité de l’Art – 50e jour – Olafur Eliasson

Olafur Eliasson, deep mirror_Olafur Eliasson_Versailles, 12 août 2016

Autre artiste contemporain à sonder et perturber nos perceptions, à questionner la façon dont nous percevons le monde, à nous rappeler qu’il ne s’agit pas de vérités, de réalité, mais de constructions, Olafur Eliasson explore notre rapport à l’espace, au temps, à la lumière, s’intéressant particulièrement à la manière dont cette-dernière détermine notre mode de perception de l’espace. La lumière (et l’ombre) et la couleur ne sont pas propres au réel, mais dépendants de notre perception, le sujet qui perçoit projetant en outre ses propres sentiments sur l’environnement qui l’entoure. Le temps apparaît quant à lui comme un matériau à part entière de l’œuvre ; l’espace, particulièrement l’espace naturel brut tel que l’espace islandais sans repères d’échelle, nécessite d’y poser des éléments visuels qui permettent de s’y situer et est par ailleurs source de phénomènes à explorer.

L’œuvre d’Eliasson, marqué par l’influence de Light and Space, -« déclinaison » de l’art minimal sur la côte Ouest des Etats Unis avec des artistes tels que Robert Irwin- et la phénoménologie réactualisée d’un Merleau-Ponty, s’efforce de nous faire prendre conscience de ce que nous percevons, nous autorisant ainsi une distance critique, tout en non montrant combien le sujet percevant participation de cette perception, « seeing yourself seeing ». Œuvre emblématique de cette approche, Inside the horizon, 2013, est constituée d’une suite de 43 colonnes de forme triangulaire et de largeurs variables, constituée chacune de deux panneaux de verre miroir et d’un panneau de petits morceaux de verre jaune fabriqués à la main, dont le spectateur active le jeu infini des reflets, un espace qui ne cesse de se fragmenter, dans un remarquable dialogue avec l’architecture de Gehry (Fondation Vuitton). On retrouve cette fragmentation et recomposition de la vision qui crée en nous une sensation d’incertitude dans différentes variations sur le thème du kaléidoscope, dans l’œuvre d’Eliasson, souvent pour relier le dedans et le dehors (« your planetary window », 2019).

Si nous pouvions marcher à l’intérieur de notre propre horizon, le monde nous paraîtrait aussi fermé qu’une grotte, aussi réfléchissant qu’un miroir et aussi éphémère que la lumière. Pour moi, l’horizon n’est pas une ligne ; c’est une dimension. Remettre en question son propre horizon, c’est remettre en question la linéarité et se créer un nouvel horizon.

Olafur Eliasson

Les œuvres d’Eliasson déclenchent une réaction émotionnelle quasi existentielle, mais rationalisée par la révélation du mécanisme à l’œuvre, l’artiste refusant de fétichiser l’œuvre d’art. L’art naît de la tension entre le réel et l’artifice, auquel s’ajoutent la beauté et la simplicité apparente des installations. Détournant les lois de la nature, l’artiste s’attache parfois à recréer la pluie (« Rain window », 1999), un arc en ciel (« Beauty » 1993, où, selon le placement du spectateur par rapport à la lumière d’un projecteur qui éclaire un rideau de brume, l’œuvre se matérialise et la lumière réfractée dans l’eau fait naître un arc-en-ciel ; l’œuvre et la réalité qu’elle reproduit étant ainsi exposées comme une construction), une cascade (« Waterfall », 2016, cascade qui prend naissance et s’alimente du grand canal de Versailles, inspirée a priori d’une idée de Le Nôtre non réalisée), une éclipse solaire (« Deep mirror (yellow) », 2016 vaste pastille noire en pendant d’une pastille jaune apposées sur les miroirs du château de Versailles qui lorsqu’on l’observe prend l’apparence d’une éclipse, se creusant et se démultipliant en profondeur), un sol glaciaire (« Glacial rock Flour garden », 2016) etc.

Olafur Eliasson, Your incertain shadow (colour), 2010, Tate Modern, London, 12 juillet 2019

D’autres installations travaillent sur la perte de repères sensoriels et l’incertitude. « Your blind passenger », 2010, nous fait cheminer à l’aveuglette dans un couloir empli de « fog » et expérimenter des atmosphères colorées intenses et variées : couleurs chaudes (jaune orangé), couleurs froides (bleu), blanc. « Your incertain shadow (colour), 2010 est constituée de cinq projecteurs de couleur alignés au sol et projetant leur lumière sur une paroi blanche où les couleurs se mêlent pour créer une lumière blanche. Lorsqu’un visiteur pénètre dans l’espace situé devant les projecteurs, son ombre, démultipliée, d’intensité, de couleur et d’échelle changeantes au gré de ses déplacements, est projetée au mur sous la forme de silhouettes colorées qui révèlent les couleurs à l‘origine de cette lumière apparemment blanche.

Eliasson Olafur_Fondation Vuitton, 24 février 2015

D’autres enfin, des plus remarquables, reposent sur des effets d’ombre et de lumière. “Map for unthought thoughts”, 2014, présentée à la fondation Vuitton lors de l’exposition inaugurale construite sur le principe de la circularité et de la géométrie du cercle, en 2015, joue magistralement avec l’ombre des spectateurs et celle des structures centrales de l’installation. L’œuvre occupe un espace semi-circulaire simulant un cercle complet par le biais de miroirs. Au centre, une lumière tourne à travers des structures, des clôtures concentriques incurvées en bandes d’acier croisées ; l’ombre projetée de ces structures forme sur le mur blanc incurvé de l’espace un motif symétrique. Lorsque le spectateur traverse l’espace, sa perception de l’alignement des structures change, de même que le motif d’ombre projeté et sa propre ombre. Quant à « Contact », qui donnait son nom à l’exposition, il s’agit d’une expérience tant visuelle que physique, le sol étant sciemment en pente, donnant l’impression d’être sur une sphère, tandis qu’une ligne de lumière est projetée sur le mur incurvé de l’espace d’exposition, évoquant une ligne d’horizon ; les autres murs, recouverts de miroirs, simulant à nouveau un espace circulaire. La ligne lumineuse, statique, crée une tension avec le ressenti du visiteur, qui ne cesse de changer au fur et à mesure de ses déplacements.

Olafur Eliasson, waterfall, Versailles_août 2016
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