De la peinture et de la sculpture au Louvre

LOUVRE, Ecoles italienne, française et nordique, 10 et 17, 22 août 2018

Canova, Psyché ranimé par le baiser de l’amour, 1793

Louvre…1er nocturne, vendredi dernier, dans la grande galerie et les salles de peinture et sculpture italiennes avoisinantes….Il est des choses qui ne changent pas…Chaque œuvre mériterait pratiquement un commentaire, alors je vais m’en tenir à quelques surprises, quelques œuvres que je revois toujours avec bonheur, quelques détails relevés ça et là…De surprises, il n’y en a plus guère dans la grande galerie que j’ai dû mal à ne pas arpenter lentement à chacune de mes visites au Louvre.

De la Renaissance, je retiens prioritairement la ligne et le modelé net et délicat, gracieux ou puissant des Piero della Francesca (« Sigismondo Pandolfo Malatesta », 1451, premier portrait de chevalet de l’artiste, de profil comme sur la médaille dont il s’inspire, caractérisé par une grande rigueur, une géométrisation des formes et une monumentalité influencée par un Masaccio, une vérité charnelle et un emploi de la lumière dignes d’un Van der Weyden), Mantegna (« Saint Sebastien », la « crucifixion », élément d’une prédelle de retable marqué par un emploi remarquable de la perspective avec un point de fuite principal bas, derrière la croix du Christ, qui dramatise la scène, des références antiques et une grande expressivité des figures), Botticelli (les fresques de la villa Lemmi, marquées par les théories néoplatoniciennes de la Renaissance et un remarquable « portrait d’homme »), Raphaël (le « portrait de Baldassare Castiglione », l’auteur du Courtisan, d’une incroyable présence physique et psychologique peint dans une gamme très raffinée et tendre reflétant l’intimité entre le portraituré et l’artiste, « La vierge à l’enfant avec le petit saint Jean »), Antonello da Messina (« le Christ à la colonne », œuvre de dévotion privée d’un grand pathétique renforcé par le cadrage serré, à défaut du « Condottiere » retiré des expôts depuis quelques temps) sur le sfumato d’un Vinci.

Les portraits ou scènes religieuses maniéristes de Rosso, Bronzino (« portrait d’homme portant une statuette ») ou Sustris (« Vénus et l’amour », variante de la « Vénus d’Urbin » de Titien) du Louvre sont particulièrement impressionnants malgré leurs teintes quelques peu acidulées (« Pietà », au cadrage serré sur le corps du Christ qui accentue le caractère tragique) et la singulière coexistence entre élongation et musculature michelangelesque.

Et si les Caravage et Reni les plus époustouflants à mes yeux n’ont pas quitté les églises romaines (« la Vocation de saint Matthieu ») ou Naples (« Hippomène et Atalante »), les quelques œuvres exposées sont remarquables. Il en est de même des œuvres sculptées…Si les plus beaux Bernin sont assurément à Rome, à la villa Borghese ou dans les églises, le Louvre détient le chef-d’œuvre de Canova, « Psyché ranimée par un baiser de l’amour », œuvre dans une veine anacréontique commandée par le collectionneur Campbell et réalisée entre 1787 et 1800. L’artiste représente l’amour quittant Psyché, une représentation idéalisée de l’amour adolescent telle une « mort heureuse » et, métaphoriquement, la rencontre entre l’âme humaine et l’amour divin. Le groupe, sculpté dans un seul bloc, traduit par la finesse du traitement et l’illusion du mouvement la fugacité de l’instant et recèle une tension interne et une incroyable sensualité. La composition, très étudiée, adopte un équilibre précaire fondé sur un X et un jeu de courbes évoquant l’étreinte des amants. A l’opposé de cette démarche néoclassique : les deux esclaves de Michel Ange, éléments du tombeau de Jules II commencés vers 1513. Quoique les sentiments qu’ils expriment soit des plus opposés, chacun se singularise par sa puissante musculature, sa force tourmentée et sa nudité. L’un des esclaves, jeune et beau, semble s’abandonner à la mort ; l’autre, puissamment contorsionné, semble se révolter. Leur inachèvement accentue l’idée d’emprisonnement, l’opposition entre le marbre poli et brut traduisant la lutte de l’artiste avec la matière pour en libérer une forme magistrale.

Louvre…2e nocturne, les salles dédiées à la peinture française et nordique et à la sculpture grecque. Du côté de l’école française, par-delà le plaisir toujours renouvelé à contempler les toiles des Clouet, de Corneille de Lyon ou de l’école de Fontainebleau au XVIe siècle, quelques toiles maîtresses de Claude (Lorrain) et de Poussin -qui atteint à mes yeux, dans « l’enlèvement des Sabines », un sommet d’expressions et de puissance de composition avec cette succession de trois enlèvements particulièrement étudiés et qui -pour partie- semblent répondre, par la peinture, aux groupes sculptés de rapts célèbres tels que l’ « enlèvement de Proserpine », sommet que seul « l’Empire de Flore » de Dresde dépasse, dans un tout autre registre, celui de la grâce-, les toiles « jansénistes » de Champaigne dont le terrifiant « Christ mort couché sur son linceul », j’ai passé un certain temps avec les peintres emblématiques de l’atticisme (La Hyre, le Sueur, Mauperché, Stella, Bourdon, Patel…), soit ce courant du milieu du XVIIe siècle dans la lignée des Raphaël, Carrache et Poussin, qui constitue en quelque sorte l’apogée du classicisme français et annonce la « grande manière » louisquatorzienne.

Laurent la Hyre, Adonis mort, 1624 28

L’atticisme se caractérise par une quête de clarté, de mesure, de simplicité et de grâce et, selon Alain Mérot (Eloge de la clarté, 1998), par « une référence constante aux plus purs modèles de l’antiquité ; la recherche de la simplicité et de la précision ; une lumière et un coloris clairs ; une grâce enfin, qui se manifeste de diverses façons ». L’« Adonis mort », œuvre précoce de la Hyre (1624-28), avec son corps en puissant raccourci au premier plan dont la couleur pâle et délicate -malgré l’écharpe écarlate qui l’étreint et cache sa nudité- s’inscrit singulièrement dans un paysage très travaillé et généreux, est une toile de toute beauté. Une mort qui semble préserver la beauté et dont rien ne semble rappeler la violence malgré la lance échappée des mains du chasseur. « Ganymède enlevé par Jupiter », de le Sueur, présente, malgré le sujet représenté, la même grâce, la même mesure harmonieuse à mille lieues du dessin d’un Michel Ange.

Quentin Metsys, ste Madeleine

Du côté des écoles du Nord, si les autoportraits de Dürer et Rembrandt, les nus étonnamment érotiques de Cranach, « la Vierge à l’enfant au chancelier Rolin » de van Eyck -emblématique de la renaissance du Nord par l’emploi de l’huile, le réalisme des traits et des vêtements, le rapprochement des sphères terrestre et céleste, l’inscription sculpturale des personnages dans l’espace d’après les règles de la perspective, le développement du paysage bien qu’il s’agisse d’une œuvre de dévotion-, le « diptyque Carondelet » de Jan Gossaert (une vierge à l’enfant avec un crâne puissamment réaliste en trompe l’œil au revers et en regard d’un portrait de Jean Carondelet en prière, qui se distingue par sa qualité et son vérisme, à chemin entre naturalisme flamand et idéalisation italienne) sont toujours aussi impressionnants, la « sainte Madeleine » de Quentin Metsys a particulièrement retenu mon attention.

Bien que le vase ouvert et l’expression du visage rappellent le renoncement de la sainte au monde et aux richesses, son vêtement et sa coiffure demeurent des plus soignés et élégants, de même que les colonnettes de marbre qui l’encadrent au devant d’un paysage des plus travaillés, ses traits d’une grande douceur semblent ici plus proches de l’idéalisation italienne que du naturalisme flamand. Les portraits des princes palatins du caravagesque Honthorst et de Van Dyck, peints à Londres durant leur exil, m’ont semblé tout aussi dignes d’attention. Prochaine nocturne, mercredi…

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