Delacroix au Louvre

MUSEE DU LOUVRE, Paris, Mars-Juillet 2018

Delacroix, combat du giaour et du pacha 1826

La couleur n’est rien, si elle n’est convenable au sujet, et si elle n’augmente pas l’effet du tableau par l’imagination.

Delacroix, « journal », 1853

A travers un parcours chronologique ménageant quelques rapprochements particulièrement pertinents (une toile et son esquisse, des variantes du même sujet, des reprises de composition sur des thématiques diverses…) et des focus sur des techniques ou approches spécifiques (œuvre gravé, peinture florale, travaux préparatoires à différents décors monumentaux…), le musée du Louvre s’intéresse à une figure majeure de la peinture du XIXe siècle : Eugène Delacroix.

Des premières salles, on retient la confrontation de deux figures allégoriques qui font écho aux luttes politiques des années 1820-30 : « La Grèce sur les ruines de Missolonghi », qui voisine avec la « scène des massacres de Scio » (Chios), rappels de la lutte sanglante des Grecs contre les Ottomans pour leur indépendance qui souleva en Europe une grande émotion et un important mouvement philhellène ; « la liberté guidant le peuple », évocation de la révolution de Juillet.

Suit une remarquable salle consacrée aux lithographies de Delacroix, et particulièrement à la suite qu’il consacra au « Faust » de Goethe (1827). Des compositions particulièrement efficaces, renforcées par une technique inventive, les concordances de traits et de poses de Faust et Méphistophélès, l’influence ponctuelle de Goya (« duel de Faust et de Valentin », « Faust cherchant à séduire Marguerite », « Méphistophélès dans les airs »…).

Le recours à de nouvelles sources d’inspiration littéraire (Goethe, Shakespeare, Byron, Dante…) aux dépens de la mythologie antique, est l’une des caractéristiques du romantisme, de même que l’introspection et une mélancolie sombre et désabusée augmentée par la chute de l’Empire, la « peinture de la vie moderne » -ce qui n’exclut pas de récurrentes références au passé, particulièrement à Rubens, Michel Ange ou Titien, dans l’art de Delacroix-, le dialogue des arts et l’intégration des genres mineurs, jusqu’au syncrétisme (la « nature morte au homard » qui s’inscrit singulièrement dans un paysage, ou encore « le Christ sur le lac de Génésareth », entre marine et peinture d’histoire, sont emblématiques de ce mélange des genres). Les différentes déclinaisons de « La mort de Sardanapale » : esquisse, dessin, reprise tardive du sujet exposé au salon de 1827 où il est rejeté (le thème du suicide orgiaque tout autant que la liberté de style assez inédite perturbant les conventions du temps), qui voisinent avec des toiles audacieuses par la vivacité de touche, l’abstraction des fonds et l’incroyable recherche des coloris (« femme nue allongée vue de dos », « lit défait »), ne sont pas sans intérêt, de même que la série de toiles « marocaines » exposée autour des « femmes d’Alger dans leur appartement » (salon 1834).

Delacroix_la fiancee d’Abydos

Toutefois, Delacroix atteint une maîtrise de composition et de mouvement incomparable dans « le combat du giaour et du pacha » de 1826 de Chicago, inspiré d’un poème de Byron -qui lui inspirera également une admirable « fiancée d’Abydos ». Les assaillants sont surpris dans des poses menaçantes, les armes levées, les bras tendus ; l’inversion des chevaux, dont les pattes soulevant la terre témoigne de la violence de l’affrontement, renforce cette dynamique non sans évoquer les débats récurrents entre peinture et sculpture. On retrouve cette puissance quasi baroque de mouvement et de coloris dans la « fantasia arabe » (1832), qui dépeint un exercice militaire qui consiste à lancer les chevaux au galop et les arrêter brutalement sitôt tiré, non dépassée à mes yeux dans les multiples déclinaisons de chasse aux lions proposées par l’artiste autour du trio cheval, cavalier, fauve.

Certaines toiles religieuses présentes dans l’exposition, à l’atmosphère beaucoup plus sombre et concentrée, supports à la méditation, sont tout aussi impressionnantes, qu’il s’agisse du « Calvaire « (1835) ; du « Christ au tombeau » (1847), particulièrement émouvant et pourtant d’une grande économie de moyens avec un remarquable premier plan où la main livide et rigide du Christ voisine avec celles -jouant avec la couronne d’épines- de St Jean absorbé dans sa méditation et son accablement mais dont le vêtement rouge écarlate, de même que le linceul blanc du Christ, contrastent avec le fond sombre tout en prêtant force et concentration à la scène ; du « Christ à la colonne » (1849 et 1852), inspiré de la « Flagellation du Christ » de Rubens mais aux allures d’académie tant l’artiste se focalise sur le dos musculeux et tant la scène se veut dépouillée de tout artifice ; des « Christ sur la croix » (1846, 1853) particulièrement impressionnants par le vide ménagé autour du crucifié, la concentration de la composition sur la verticale de la croix et du corps du Christ se détachant sur un ciel orageux tandis que les personnages, seuls touches de couleurs vives de la toile, semblent rejetés sur les côtés.

Delacroix_la mer à Dieppe 1852

A noter également quelques paysages (« la mer à Dieppe », 1852, « l’étang près du Louroux », 1822- 28) et portraits de grande qualité (« portrait de Louis Auguste Schwiter », 1826-27, « autoportrait au gilet vert », 1837).

Delacroix était passionnément amoureux de la passion, et froidement déterminé à chercher les moyens d’exprimer la passion de la manière la plus visible. […] Il est évident qu’à ses yeux l’imagination était le don le plus précieux, la faculté la plus importante, mais que cette faculté restait impuissante et stérile, si elle n’avait pas à son service une habileté rapide, qui pût suivre la grande faculté despotique dans ses caprices impatients. […] Ce qui marque le plus visiblement le style de Delacroix, c’est la concision et une espèce d’intensité sans ostentation, résultat habituel de la concentration de toutes les forces spirituelles vers un point donné.

Baudelaire, « écrits esthétiques »

http://www.lefigaro.fr/…/26010-20180330ARTFIG00238-en…

https://www.washingtonpost.com/…/0d754b62-3d6c-11e8…

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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