Des origines du monde

ORSAY, Paris, Mai – Juillet 2021

Edvard Munch, Munch, métabolisme (vie et mort), 1896_Les origines du Monde_Orsay, Paris_22 mai 2021

Afin de repenser notre rapport à la nature, le musée d’Orsay propose un détour par le XIXe siècle et consacre une exposition, entre sciences et arts, aux origines du monde, considérant particulièrement l’impact des découvertes scientifiques du XIXe siècle sur les origines du monde et de la vie et sur les arts. C’est en effet au XIXe siècle que la relation de l’homme à la Nature change profondément alors que l’étude scientifique de cette-dernière se développe avec la naissance de la géologie, de la paléontologie, de l’anthropologie, de la biologie…La lecture biblique de la Genèse est remise en question par la théorie de l’évolution de Darwin qui publie en 1859 l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie et établit que les plantes comme les animaux, l’homme, dérivent d’un petit nombre de formes primitives…

Conrad Meit (entourage), Adam et Eve, 1er XVIe

En préambule, est présenté un ensemble de pièces témoignant de la vision chrétienne de l’origine du monde, le monde clos d’avant la Chute, celui du Paradis, où Adam et Eve cohabitent avec les animaux en toute quiétude, dans la nudité de l’innocence, dans un jardin à la végétation luxuriante. Une toile de Jan Bruegel le jeune, 1630, dépeint le Paradis terrestre avec la création d’Eve. La scène biblique est représentée à l’arrière-plan tandis que domine -dans la tradition flamande- un paysage généreux et détaillé tandis que les animaux les plus divers, fauves, chevaux, gibier cohabitent au premier plan dans la plus grande harmonie. Un admirable bas-relief de l’entourage de Conrad Meit, sculpteur flamand de la période transitoire entre gothique et Renaissance, représente Adam et Eve de part et d’autre de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal tandis qu’Eve, tentée par le serpent enroulé autour du tronc d’arbre, s’apprête à cueillir la pomme. Filippo Palizzi dépeint quant à lui, peu après la parution de l’ouvrage majeur de Darwin, un épisode ultérieur de la Genèse, le monde d’après le Déluge, le peintre insistant davantage sur la description paisible des animaux au sortir de l’Arche que sur le cataclysme, l’Arche de Noé incarnant pour les artistes comme pour Kircher le musée d’histoire naturelle le plus complet qui soit.

Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux.

Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière « jour », il appela les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour.

Et Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux. » Dieu fit le firmament, il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament et les eaux qui sont au-dessus. Et ce fut ainsi. Dieu appela le firmament « ciel ». Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour.

Et Dieu dit : « Les eaux qui sont au-dessous du ciel, qu’elles se rassemblent en un seul lieu, et que paraisse la terre ferme. » Et ce fut ainsi. Dieu appela la terre ferme « terre », et il appela la masse des eaux « mer ». Et Dieu vit que cela était bon.

Dieu dit : « Que la terre produise l’herbe, la plante qui porte sa semence, et que, sur la terre, l’arbre à fruit donne, selon son espèce, le fruit qui porte sa semence. » Et ce fut ainsi. La terre produisit l’herbe, la plante qui porte sa semence, selon son espèce, et l’arbre qui donne, selon son espèce, le fruit qui porte sa semence. Et Dieu vit que cela était bon.

Il y eut un soir, il y eut un matin : troisième jour. Et Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel, pour séparer le jour de la nuit ; qu’ils servent de signes pour marquer les fêtes, les jours et les années ; et qu’ils soient, au firmament du ciel, des luminaires pour éclairer la terre. » Et ce fut ainsi.

Dieu fit les deux grands luminaires : le plus grand pour commander au jour, le plus petit pour commander à la nuit ; il fit aussi les étoiles. Dieu les plaça au firmament du ciel pour éclairer la terre, pour commander au jour et à la nuit, pour séparer la lumière des ténèbres. Et Dieu vit que cela était bon.

Il y eut un soir, il y eut un matin : quatrième jour.

Et Dieu dit : « Que les eaux foisonnent d’une profusion d’êtres vivants, et que les oiseaux volent au-dessus de la terre, sous le firmament du ciel. » Dieu créa, selon leur espèce, les grands monstres marins, tous les êtres vivants qui vont et viennent et foisonnent dans les eaux, et aussi, selon leur espèce, tous les oiseaux qui volent. Et Dieu vit que cela était bon.

Dieu les bénit par ces paroles : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez les mers, que les oiseaux se multiplient sur la terre. »

Il y eut un soir, il y eut un matin : cinquième jour.

Et Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce, bestiaux, bestioles et bêtes sauvages selon leur espèce. » Et ce fut ainsi. Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce, et toutes les bestioles de la terre selon leur espèce. Et Dieu vit que cela était bon.

Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. » Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme.

Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »

Dieu dit encore : « Je vous donne toute plante qui porte sa semence sur toute la surface de la terre, et tout arbre dont le fruit porte sa semence : telle sera votre nourriture. À tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui va et vient sur la terre et qui a souffle de vie, je donne comme nourriture toute herbe verte. » Et ce fut ainsi.

Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour. Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et tout leur déploiement.

Le septième jour, Dieu avait achevé l’œuvre qu’il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite.

Extrait de la Genèse, Bible de Jerusalem
Albrecht Dürer, rhinocéros, 1515

Le parcours se poursuit par l’évocation de l’un des ancêtres des musées : les cabinets de curiosité de l’âge moderne, espace réunissant artificialia, naturalia e mirabilia, c’est-à-dire aussi bien des œuvres d’art que des objets naturels et merveilleux témoignant de la diversité de la Création, microcosme reflétant, de manière ordonnée et compréhensible, pour un collectionneur, un macrocosme vaste et hétérogène. Que l’on songe aux bouffons-nains des cours princières et royales, aux cornes de licorne, aux œufs d’autruche, aux crocodiles empaillés, aux météorites…l’intérêt pour l’étrange, le merveilleux, le rare, l’exotique, le monstrueux -étranger au cours naturel des choses-, perdure des siècles durant, source d’étonnement envers une nature au service de l’homme. Les rhinocéros de Gessner et Dürer, au XVIe siècle, témoignent magistralement de cet intérêt. Si ce-dernier n’a pas vu directement l’animal débarqué à Lisbonne en 1515, cadeau du roi du Portugal au pape Léon X, sa gravure sur bois s’appuie sur une description écrite et un bref croquis, d’où l’aspect quelque peu fantastique et ornemental de sa représentation : le rhinocéros a la carapace d’une tortue, les pattes recouvertes de boucles telles une cotte de maille tandis qu’un net réseau d’articulations remplace les plis du cuir. La gravure n’en fut pas moins largement diffusée et reprise tandis que Clara, rhinocéros femelle, sera dépeinte, au XVIIIe siècle, par Pietro Longhi ou Jean-Baptiste Oudry, témoignant d’une fascination durable.   

De même que Lugli, dans Naturalia et mirabilia, les cabinets de curiosité en Europe, 1998, les commissaires d’exposition notent une lente évolution de l’esprit encyclopédique humaniste à l’esprit scientifique, positiviste, du XIXe siècle. La curiosité recule au profit de l’étude et de classifications de plus en plus raisonnées, l’art et la nature se séparent dans les collections du 2e XVIIIe siècle tandis que les « merveilles » sont peu à peu rejetées. L’exposition évoque ainsi le désir tenace de l’homme de faire l’inventaire de la nature, les travaux de nomenclature du naturaliste Linné, les recherches de Buffon, auteur de l’Histoire naturelle dont les 36 volumes sont publiés entre 1746 et 1789, plusieurs expéditions scientifiques qui participeront du développement des connaissances et du nombre des espèces répertoriées.

Les représentations animalières du XIXe siècle s’en font l’écho, les artistes s’inspirant des animaux des parcs zoologiques naissants, des aquariums, des plantes des jardins botaniques et des serres, pour préciser leurs sujets, qu’il s’agisse de Barye, présent par son remarquable combat d’un tigre et d’un gavial –espèce de crocodile indien-, 1832 ; de la superbe chasse aux lions de Delacroix –commande des beaux-arts en 1854 dont ne reste que l’esquisse, marquée par les chasses de Rubens et la place majeure accordée à la couleur et à l’expressivité d’une mêlée violente- ; ou encore de Gustave Moreau dont la superbe Galatée, 1880, réfugiée dans une grotte éloignée du géant mélancolique (Polyphème), étend sa nudité nacrée parmi une végétation d’un somptueux raffinement et pourtant fruit de l’étude minutieuse d’un ouvrage de botanique marine du Museum d’histoire naturelle. Les fossiles, les débuts de la paléontologie révèlent par ailleurs l’ancienneté de la vie. La découverte d’espèces éteintes et d’ossements humains préhistoriques interroge sur la vie primitive.

La représentation de la terre évolue également suite aux apports de la géologie, l’idée d’un monde façonné sur des centaines ou des millions d’années supplantant celle des six jours bibliques. Les paysages de Carl Gustav Carus (« paysage geognostique, Katzenkopfe à Zittau », 1820), John Brett (« Le glacier de Rosenlaui », 1856), Pierre Jacques Volaire (« éruption du Vésuve », 1771), Turner (« tempête en mer avec une épave en feu »,1840) ou encore Friedrich, dont on peut regretter l’absence, témoignent de cette évolution même si pour les Naturphilosophens et certains romantiques allemands, l’approche analytique des phénomènes se mêle à une vision panthéiste de la nature, manifestation de l’âme universelle. Un artiste comme Brett s’intéressait lui-même à la géologie et dépeint précisément, au premier plan, un rocher de granit puis un bloc de gness aux plis courbes caractéristiques, même si la toile nous confronte surtout à la puissance du glacier tandis que des sommets se distinguent au loin, monde manifestement aussi hostile à l’homme que le volcan en éruption de Volaire ou la mer déchaînée de Turner.

Auguste Rodin, la centauresse, 1887

Tandis que s’impose peu à peu, non sans remous, l’idée de l’évolution (Larmarck), celle-ci s’accompagne des principes de la sélection naturelle (Darwin, Wallace), de la sélection sexuelle et de la perspective d’une ascendance simiesque de l’homme (Haeckel, 1866), chaînon manquant entre l’animal et l’homme. Darwin suggère par ailleurs un fondement naturel de la beauté (« la descendance de l’homme et la sélection sexuelle », 1871), s’intéressant particulièrement au paon. Les artistes reflètent ces pensées, les singeries du XVIIIe siècle laissant place à des représentations plus inquiétantes, telles que celles de Frémiet ou de Kubin, le visage de Pavonia, incarnation de la beauté dépeinte par Frédéric Leighton, se détachant d’un fond de plumes de paon. On observe par ailleurs, à la fin du siècle, un renouveau des représentations mythologiques, peuplées d’êtres hybrides, au regard des derniers apports scientifiques, qu’il s’agisse des centaures de Böcklin, de la centauresse de Rodin -tension douloureuse entre le corps animal et le torse humain- ou du bestiaire fantastique de Carriès. L’homme s’interroge sur son animalité, positive ou terrifiante, bestiale.

Edvard Munch, la madone, 1895 1902

La pensée darwinienne se développe et interroge sur les premiers stades de la vie, donnant lieu à l’idée que le développement de l’individu (ontogenèse) répète celui de l’espèce (phylogenèse), idée essentielle pour la pensée freudienne et la névrose perçue comme régression à l’enfance de l’espèce, ou pour son élève Ferenczi qui perçoit dans l’instinct de mort un retour à la paix du monde inorganique, la nostalgie de l’utérus, une régression vers les origines marines de la vie. La sublime Madone de Munch (1895-1902), cernée de spermatozoïdes et d’un fœtus, ainsi que les « noirs » de Redon, dessins et lithographies retraçant l’évolution des espèces jusqu’à l’homme, reflète cet intérêt pour les origines de la vie.

Kandinsky, sans titre (déluge), 1914

Tandis que certains artistes, intégrant la pensée de l’évolution, sondent la Nature comme créatrice de formes, dans sa puissance générative (les nymphéas de Monet, les décors de Redon pour le château de Domecy-sur-le Vault, après 1890, les œuvres de Gallé inspirées du monde marin….), d’autres s’y refusent et optent pour l’ésotérisme, la théosophie, la recherche d’une spiritualité nouvelle au-delà de la matière et s’engagent dans l’abstraction, la recherche de formes nouvelles « pures » (Kandinsky, « sans titre (déluge) », 1914, Mondrian…). Le parcours s’achève à l’aube d’un siècle qui verra les dérives du darwinisme tandis que le suivant se doit, pour la survie de l’homme, de repenser sa relation à la nature. Si le parcours mêle à des œuvres de belle qualité esthétique des pièces d’intérêt plus documentaire ou scientifique, il n’en s’agit pas moins d’une exposition intéressante. A voir.

On comprend facilement qu’un naturaliste qui aborde l’étude de l’origine des espèces et qui observe les affinités mutuelles des êtres organisés, leurs rapports embryologiques, leur distribution géographique, leur succession géologique et d’autres faits analogues, en arrive à la conclusion que les espèces n’ont pas été créées indépendamment les unes des autres, mais que, comme les variétés, elles descendent d’autres espèces. Toutefois, en admettant même que cette conclusion soit bien établie, elle serait peu satisfaisante jusqu’à ce qu’on ait pu prouver comment les innombrables espèces, habitant la terre, se sont modifiées de façon à acquérir cette perfection de forme et de coadaptation qui excite à si juste titre notre admiration. Les naturalistes assignent, comme seules causes possibles aux variations, les conditions extérieures, telles que le climat, l’alimentation, etc. Cela peut être vrai dans un sens très limité, […mais on doit considérer l’influence qu’] exerce l’homme en accumulant, par la sélection, de légères variations successives, […] la variabilité des espèces à l’état de nature, […] la lutte pour l’existence parmi les êtres organisés dans le monde entier […] – tout être qui varie quelque peu que ce soit de façon qui lui est profitable a une plus grande chance de survivre ; cet être est ainsi l’objet d’une sélection naturelle […laquelle] cause presque inévitablement une extinction considérable des formes moins bien organisées […].

Je suis pleinement convaincu que les espèces ne sont pas immuables ; je suis convaincu que les espèces qui appartiennent à ce que nous appelons le même genre descendent directement de quelque autre espèce ordinairement éteinte, de même que les variétés reconnues d’une espèce quelle qu’elle soit descendent directement de cette espèce ; je suis convaincu, enfin, que la sélection naturelle a joué le rôle principal dans la modification des espèces, bien que d’autres agents y aient aussi participé.

Darwin, l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie.
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