LA ROMA di Raffaello 1520/2020

RAFFAELLO 1520-1483, SCUDERIE DEL QUIRINALE, ROMA, 2 juin-30 août 2020

STANZE VATICANE

Raffaello, Ecole d’Athènes_Stanza della Segnatura, Vatican

Si j’ai été quelque peu surprise à Florence par l’abondance de toiles de Raphaël dans les collections médicéennes des Offices et plus encore du Palazzo Pitti, c’est indéniablement à Rome que se trouvent ses plus grands chefs-d’œuvre. Ce non du fait de l’exposition monographique qui se tient actuellement aux Scuderie del Quirinal, mais bien entendu et fort heureusement du fait des commandes et collections pontificales. Fort heureusement car si l’exposition proposée à l’occasion des 500 ans de la mort de l’artiste réunit un ensemble remarquable de toiles et de dessins du maître, les mesures sanitaires mises en oeuvre en empêchent l’appréciation. 5 mn par salle ! Une totale aberration pour quelqu’un qui a passé plus de 3h dans les seules stanze vaticanes…Impossible d’observer attentivement les oeuvres, de lire les cartels et les panneaux explicitant la sélection et les axes privilégiés par les commissaires. Terriblement frustrant même après deux visites. C’était là le seul revers de la conjoncture actuelle qui a par ailleurs vidé la ville et ses musées de l’essentiel de ses visiteurs, ménageant partout ailleurs des conditions de contemplation plus que satisfaisantes.

L’exposition Raffaello propose quoiqu’il en soit un regard intéressant sur le parcours de l’artiste, depuis sa mort en 1520, jusqu’à ses débuts à Urbino, en mettant l’accent sur l’impact de l’antique (copie des chevaux du Quirinal, influence des muses de la villa Adriana sur la Madonna della Rosa…), les commandes pontificales (Jules II et Leon X), l’influence de la sculpture du XVe à Florence, l’oeuvre architectural…Elle réunit quelques toiles majeures (le portrait de Jules II de Londres, celui de Baldassare Castligione du Louvre, plusieurs Vierge à l’enfant, la Visitation du Prado, la dame à la licorne de la galleria Borghese, la Fornarina du Palazzo Barberini, l’autoportrait des Offices…), parfois, de manière très éclairante, auprès de leurs dessins préparatoires (extase de ste Cécile de Bologne, Madonna d’Alba).

De fait le dessin, particulièrement essentiel dans la pensée artistique renaissante, espace du dessein, du 1er jet, témoigne tout à la fois de l’incroyable maîtrise technique de l’artiste qui lui permet de donner vie et d’esquisser une composition en quelques traits (étude pour la Transfiguration du Vatican, superbe dessin de la pêche miraculeuse pour la tenture des Actes des Apôtres de la Sixtine) et de sa capacité tout à la fois à assimiler et à dépasser les inventions de ses grands contemporains : Michelangelo, Vinci…

Il n’en demeure pas moins que l’œuvre accomplie par l’artiste au Vatican m’a semblé tout à fait indépassable de par la beauté stupéfiante des fresques, la complexité du programme apologétique mis en œuvre, en cohérence avec la destination de chaque pièce, l’évolution stylistique sensible d’une stanza à l’autre…La stanza della Signatura, bibliothèque privée de Jules II, évoque ainsi la culture humaniste, mélange de références à l’antiquité et de spiritualité chrétienne (philosophie : l’Ecole d’Athènes, théologie : la dispute du st Sacrement, jurisprudence, poésie : le Parnasse). Chaque fresque réunit des figures tout à la fois illustres, précisément caractérisées et agissantes. La plus exemplaire, l’Ecole d’Athènes, se distingue par sa composition des plus équilibrées, fondée sur une perspective centrée, le groupement en cercle des figures. On passe ainsi d’une composition très architecturée, claire et harmonieuse au mouvement dramatique qui anime Héliodore chassé du temple dans la stanza suivante–avec les anges projetés en diagonale sur la droite, laissant un vide au centre de la composition, la torsion du corps d’Héliodore-, renforcé par le changement des coloris et les effets de clair-obscur et les envolées de drapés, à l’effet de nocturne de l’ange réveillant puis libérant st Pierre de prison, aux corps michelangélesques, plus denses quoique déjà maniérés de l’incendie du Bourg (3e stanza), la quatrième et dernière stanza (stanza de Constantin) étant quant à elle l’œuvre de l’atelier (notamment Giulio Romano).

Raffaello, transfiguration, Vatican

Quant à la pinacothèque vaticane, elle recèle, outre la tenture des Actes des Apôtres –les cartons étant conservés au Victoria and Albert Museum de Londres-, la merveilleuse Transfiguration du Christ, testament artistique de Raphaël (1518-20), flanquée du couronnement de la Vierge et de la Madone de Foligno. La Transfiguration est issue d’une commande du cardinal de Médicis (futur Clément VII), évêque de Narbonne, pour la cathédrale de la ville. Le cardinal la donna finalement à l’église st Pietro in Montorio et elle rejoint la pinacothèque à la chute de Napoléon. L’artiste y réunit deux scènes tirées de l’Evangile selon st Matthieu, la Transfiguration, soit le Christ en gloire sur le Mont Thabor flanqué des prophètes Moïse et Elie, dans une dynamique ascendante (animation des drapés et des cheveux, contrapposto…), et la rencontre des apôtres avec l’enfant possédé. Entre les deux scènes, les apôtres les plus proches du Christ (Pierre, Jacques, Jean) sont terrassés par la lumière tandis que la gestuelle de la foule qui entoure l’enfant possédé, dans la partie inférieure de la toile, unifie l’ensemble, les mains levées convergeant vers le Christ. La silhouette élégante de celui-ci, tout de blanc vêtu, se dessine sur un halo de lumière et de nuées blanches au point qu’il semble la source de Lumière. On notera par ailleurs l’audace plastique de Raphaël qui place une femme, de dos, tournée vers les apôtres, désignant l’enfant possédé d’un geste au fort raccourci, quasiment au centre, le corps en torsion. La scène du possédé permet par ailleurs la représentation d’une grande variété de postures, de gestuelle, d’expression des passions, de l’incapacité des apôtres, qui ont perdu la foi, à guérir l’enfant, à la panique qui saisit la foule spectatrice dont le seul salut réside dans le Christ. La séparation nette des deux mondes, terrestre et céleste, est aussi celle de l’humanité envahie par le mal et du Ciel rédempteur. L’artiste accentue le contraste par le choix de coloris clairs pour le Christ contrastant avec les couleurs plus vives et le jeu du clair obscur de la part terrestre, la beauté idéale du Christ contrastant avec les visages déformés de la foule. Sa composition se fonde par ailleurs sur un cercle parfait (le registre haut) et un grande demi cercle (le registre bas) réunis par une forme en amande, celle des trois apôtres terrassés, lien entre les deux registres. Une œuvre littéralement éblouissante.

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