Guarini & Juvarra a Torino

Si toute trace d’Augusta Taurinorum n’a pas disparu (la Porta Palatina, fortifiée à l’époque médiévale, était la Porta principalis dextera, accès Nord à la ville à l’époque romaine (1r s avant JC), tout comme le Palazzo Madama qui, malgré sa façade baroque, a été édifié sur le site d’une porte romaine), Turin est avant tout une ville baroque, ce dont témoignent d’admirables palais des XVIIe et XVIIIe siècles ainsi que les stupéfiantes réalisations de Guarino Guarini et Filippo Juvarra.

Guarino Guarini, Cappella della Sindone, Torino

Connu en France pour la réalisation de l’église de son ordre, les théatins (ste Anne la royale, malheureusement détruite, qui présentait une façade proche de san Carlo alle Quattro Fontane de Borromini à Rome, où l’architecte vécut entre 1639-1647), Guarino Guarini est appelé à Turin par le duc de Savoie en 1666. Outre l’imposant palazzo Carignano (1679) dont la façade ondulante rappelle le projet de façade de Bernini pour le Louvre, il réalise principalement trois admirables églises à plan centré : la cappella della Sindone, la chiesa di san Lorenzo et le sanctuaire de la Consolata.

La cappella della Sindone, conçue pour accueillir le Saint-Suaire, est en lien étroit avec le palais royal et la cathédrale (Duomo di san Giovanni). Guarini y intervient après Amadeo di Castellamonte qui avait développé un espace régulièrement articulé par un ordre de pilastres colossaux ponctué par un petit ordre. Il bouleverse le premier projet en introduisant trois vestibules circulaires -la symbolique trinitaire gouvernant l’édifice- créant un espace convexe au centre de la chapelle. Il déploie des pendentifs percés de fenêtres rondes et lance, toutes les deux travées, de grands arcs, annulant la fonction de l’ordre colossal et créant des dissonances délibérées. Au-dessus des pendentifs, il édifie un haut tambour ponctué de grandes ouvertures en arc et de piliers contenant des niches convexes mais au lieu de la coupole que l’on attendrait pour couronner l’édifice, il jette des nervures courbes entre les sommets des arcs, donnant naissance à une forme hexagonale, démarche répétée à six reprises et structurant un dôme conique.

Commencée en 1668, l’église de san Lorenzo, fondée sur un plan octogonal dont les côtés s’incurvent vers l’espace principal, est tout aussi fascinante. Chaque côté dessine une serlienne avec une large arcade ouverte, perturbant la lecture de l’espace. Les arcs sont surmontés d’un entablement et de pendentifs placés sur les axes en diagonale, faisant évoluer l’octogone en croix grecque, le tout couronné d’un dôme. De nouveau, l’architecte annule la fonction traditionnelle des pendentifs et des arcs. De l’extérieur, on perçoit un tambour couronné par une structure plus réduite constituée d’un second tambour et d’un dôme. Le caractère particulièrement novateur de Guarini réside dans le renoncement à la coupole de surface pleine héritée de l’Antiquité au profit de structures ajourées, plus proches peut-être de l’architecture gothique, suggérant davantage l’infini que le fini.

Formé par Carlo Fontana à Rome, Filippo Juvarra se détache toutefois de l’enseignement classique de son maître par son imagination remarquable et son aptitude à développer un style propre à chaque projet, s’inspirant par exemple de Versailles pour la façade du Palazzo Madama tout en dépassant son modèle par une articulation marquée, le déploiement d’un imposant escalier à l’intérieur, l’affirmation du « piano nobile ». Du côté de l’architecture religieuse, la chiesa del Carmine (1732-35) bouleverse la tradition classique par l’effacement du mur délimitant la nef au profit de piliers élancés ou encore le déploiement de hautes galeries ouvertes au-dessus des chapelles.

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