Dialogue autour de la ligne

GALERIE ANNE-SARAH BENICHOU, Paris, Mai – Juillet 2019

Bernar Venet_courbe continue, 2018

C’est un admirable « dialogue autour de la ligne » que propose la galerie Anne-Sarah Bénichou. « Le pressentiment de mon indiscipline » réunit un ensemble d’artistes (Marion Baruch, Julien Discrit, Chourouk Hriech, Valérie Mréjen) autour du sculpteur Bernar Venet. Venet découvre en 1966 à New York les œuvres des fondateurs de l’art minimal -des œuvres qui se donnent à voir dans leur matérialité brute et une littéralité souvent sérielle, géométrique voire relevant de process industrialisés, des œuvres non illusionnistes, non relationnelles, à rebours de l’expressionnisme et évoluant pour certains vers l’art conceptuel- et développe par la suite ses « Lignes indéterminées », des sculptures monumentales ouvertes et indécises qui s’inspire par son épure géométrique, ses matériaux, de l’art minimal, tout en se singularisant peu à peu et ne renonçant pas à l’implication directe voire gestuelle de l’artiste dans son oeuvre. L’exposition présente une admirable « Courbe continue », 2018, de Venet, ample courbe d’acier, irrégulière, découpée au chalumeau dans de grandes plaques de métal et traçant une trajectoire ouverte sur le mur, emblématique de ces lignes indéterminées.

Elle propose par ailleurs une pièce plus atypique, entre sculpture, peinture et performance, « La ligne Droite – la Ligne Objet / la ligne Instrument / la trace de la Ligne comme mémoire tangible du geste pictural », 2019. La pièce, activée par l’artiste lors du vernissage, est constituée d’une barre d’acier couverte de peinture noire et de l’empreinte -tout à la fois aléatoire et contrôlée- que son frottement a laissée alors sur le mur. Mais s’il est question de dialogue, c’est que la galeriste a invité quatre artistes contemporains à entrer en conversation avec l’œuvre du sculpteur. Face à la « Courbe continue » de Venet se déroule ainsi une œuvre textile délicate et surprenante, « Dans le rêve », 2016, de Marion Baruch. L’artiste use de chutes de tissus qui dessinent comme une fenêtre effilochée sur le mur blanc de la galerie, un cadre ouvert comme la ligne de Venet.

A proximité, Julien Discrit expose un moulage de la limite entre les périodes géologiques du Crétacé et du Tertiaire réalisé en pays basque, « une fraction de seconde pour écraser une mouche, l’éternité pour la refaire », 2019. Chez Discrit, la ligne -tout aussi irrégulière que celle de Venet- est rupture et mémoire, frontière imperceptible entre deux âges, entre deux règnes, trace d’une crise marquée par la disparition de nombreuses espèces et tenant lieu d’une forme de vanité contemporaine. La ligne de Valérie Mréjen (« portrait robot », 2019) est quant à elle la métaphore de la route que chacun poursuit, une route qui, en dépit de sa terminaison inéluctable, est tout aussi irrégulière et faite d’une multitude de choix, chacun suivant sa propre intuition. « L’indiscipline, même lorsqu’elle prend l’apparence d’une immense rigueur. Car si discipline et rigueur ne sont pas synonymes, indiscipline et irrationalité ne le sont pas non plus. L’indiscipline, c’est donc la ligne de chance ou de risque qui convoque celui qui sait sans savoir encore […]. L’indiscipline, même mathématique. » (Léa Bismuth)

Ou de la vertu de l’irrégularité, de l’ouverture, de l’indiscipline…au plus près du réel, du vivant, malgré les tentatives de la raison humaine pour contrôler, donner quelque peu sens au chaos. Une exposition qui, par-delà sa pauvreté apparente, donne à penser…

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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