Donato di Niccolò di Betto Bardi detto DONATELLO

Donatello-Madonna Pazzi-1422_Donatello_palazzo Strozzi-Firenze_27 avril 2022

PALAZZO STROZZI & BARGELLO, Firenze, 19 mars-31 juillet 2022

Si deux importantes expositions ont mis en exergue ces-dernières années, au Louvre, l’impact de Donatello sur l’art de la Renaissance (« le printemps de la Renaissance », en 2013 et « le corps et l’âme », en 2020) et la part majeure de la sculpture dans ce retour humaniste à l’antique et à des représentations plus réalistes, quoiqu’idéalisées, du corps et des « passions », prenant en compte les travaux d’un Brunelleschi sur la perspective, c’est à Firenze qu’il faut se rendre pour étudier de plus près l’œuvre du maître. Non seulement la capitale de la Renaissance italienne recèle nombre de ses chefs-d’œuvre (le David du Bargello, les chaires et le décor sculpté de la Sagrestia Vecchia à San Lorenzo, les apôtres de l’Orsanmichele…) mais le palazzo Strozzi et le Bargello consacrent cette année à l’artiste une remarquable double exposition.

Donatello, David et Brunelleschi_Donatello_palazzo Strozzi-Firenze_27 avril 2022

« Donatello, il Rinascimento » retrace le parcours de l’artiste tout en le confrontant à des chefs-d’œuvre d’artistes contemporains (Brunelleschi, Mantegna, Bellini…) ou postérieurs (Raffaello, Michelangelo, Bronzino…). L’exposition, à travers des séquences thématiques, techniques (la terre cuite, la statuaire, la représentation de l’espace, les « spiritelli », les portes de san Lorenzo, les grands bronzes…) ou géographiques (Siena, Prato, Firenze, Padova…), met en exergue l’apport tout à fait révolutionnaire de l’artiste, sa capacité à renouveler la sculpture en usant des matériaux les plus divers, à proposer de nouvelles solutions figuratives et techniques (relief stiacciato, non-finito accentuant la charge émotionnelle, petit bronze et stuc pariétal à l’antique, redécouverte du nu monumental et du monument équestre à l’antique), une expression inédite des émotions -de la douceur la plus fascinante à la douleur la plus intense-, fondée notamment sur la relecture des reliefs de sarcophages antiques. ..

Donatello_porta della Mandorla_Vir dolorum, 1408_Museo del Duomo, Firenze_25 avril 2022 (hors exposition)

Les débuts de Donatello sont marqués par sa formation d’orfèvre, auprès de Ghiberti qu’il seconde dans la réalisation de la porte Nord du Baptistère conservée au museo del Duomo, et les opportunités du chantier du Duomo pour lequel l’artiste réalise plusieurs œuvres en marbre à l’élégance encore gothique quoique s’affirment déjà une expressivité singulière et des écarts avec la stricte symétrie de son maître (il profetino, 1404-09 et un très beau Cristo in pietà au visage emprunt de pathos pour la Porta della Mandorla, 1408 en témoignent).

Au palazzo Strozzi, le parcours s’ouvre sur la stupéfiante confrontation des deux Crucifixions en bois de Donatello (1408) et de Brunelleschi (1410)–rappel de l’amitié fructueuse nouée entre les deux artistes tout en pointant la diversité de leur approche artistique, le Christ de Donatello se distinguant de celui, équilibré et harmonieux, de Brunelleschi, par l’expressivité du corps et du visage tuméfié. Les deux Christ dialoguent avec le beau David de marbre du Bargello réalisé pour la cathédrale de Santa Maria del Fiore (1409) et représenté en héros triomphant, pendant d’un « Isaïe » de Nanni di Banco. Œuvre de transition entre gothique et Renaissance, le David de marbre est l’une des premières œuvres certaines de Donatello et s’avère déjà audacieux de par l’animation et la pose asymétrique du corps, le contraste dramatique entre le visage délicat du héros et les traits défaits du vaincu, l’intensité des traits…

Par-delà leur redécouverte commune et quelque peu mythique des antiques à Rome, Donatello et Brunelleschi renouvellent l’usage d’un matériau antique, la terre cuite, ce dont témoignent de nombreuses Vierge à l’enfant dédiées à la dévotion privée telles que la « Madonna col Bambino » de 1414 ou la « Madonna col Bambino, due angeli e due profeti », 1415-20, mises en dialogue avec une très belle pièce de Jacopo della Quercia (« Madonna col Bambino », 1410-15), dont les volumes soigneusement traités en une alternance de pleins et de vides, la pose ferme de l’Enfant, le trône massif, sont toutefois très éloignés du traitement plus instable, vibrant et sensible de Donatello qui met l’accent sur l’affection réciproque des deux protagonistes. L’artiste s’intéressera durablement à cette technique puisqu’il réalisera de nouvelles Madonna col Bambino en terre cuite dans les années 1440 (la Madonna dei cherubini, la Madonna Piot).

Les deux artistes partagent par ailleurs le même intérêt pour la perspective rationnelle mais tandis que son inventeur en applique les principes rigoureusement pour ordonner l’espace de représentation, Donatello tient rapidement compte de la mobilité du spectateur et de la liberté qu’elle induit dans le traitement des raccourcis et leur potentiel dramatique, ce dont témoigne magistralement le banquet d’Herode du baptistère de Sienne (1423-27) que l’artiste déploie dans un palais labyrinthique et complexe, usant tout à la fois de la perspective brunelleschienne et de l’étagement des plans du relief « stiacciato » -technique sculpturale entre méplat et bas-relief développée par Donatello et caractérisée par des variations minimes et graduelles, par rapport au fond, un relief de très faible épaisseur obéissant aux règles de la perspective pour suggérer une illusion de profondeur. Dans ce superbe panneau en bronze doré, Donatello crée une remarquable illusion de profondeur spatiale où développer les différents temps du récit (danse de Salomé, décapitation de saint Jean-Baptiste…) tout en accentuant le caractère dramatique par des mouvements centrifuges qui laissent le centre vide, des visages déformés et des gestes en perspective. Une version en marbre est conservée aux Beaux-arts de Lille.

Donatello-Madonna Pazzi-1422_Donatello_palazzo Strozzi-Firenze_27 avril 2022

Le sublime bas-relief en marbre de la Madonna Pazzi de Berlin (1422), comme surprise par le spectateur en train d’étreindre l’Enfant, le corps tourné vers la gauche, le coude sur le rebord de pierre, la tête inclinée, le visage de profil, mélancolique et gracieux, contre celui de son Fils, se détachant sur l’encadrement d’une fenêtre qui donne de la profondeur et une profonde dignité à la représentation, témoigne de la même approche novatrice de la spatialité et d’un souci premier d’expressivité aux dépens de l’application stricte des règles perspectives, l’effet de réel et de présence n’en étant pas moins convainquant.

« La Madonna Hildburgh » de Londres (1420-30), qui représente la Vierge à l’Enfant au sommet d’une volée de marches, accompagnée d’anges et de saints, à l’intérieur d’un vaste édifice à l’antique, eut quant à elle une remarquable postérité (Lippi, « Madonna col Bambino, sei angeli, dieci santi e il donatore », 1430, della Robbia, « Madonna col Bambino fra i santi Stefano e Caterina d’Alessandria  il podestà Brancadori »,1428 …). Elle se distingue par son traitement plus pictural que plastique, un dégradé progressif des plans susceptible de traduire le développement dans l’espace d’une architecture complexe. Ce traitement incroyablement subtil et délicat du relief « stiacciato » se retrouve dans la sublime Madonna Dudley exposée au Bargello tandis que de belles Vierge à l’Enfant de Liberale da Verona (1485) ou Mantegna (1490-95) témoignent de l’impact durable de Donatello.

Ce-dernier s’affirme également dans la statuaire avec la réalisation de st Pierre, san Marco et San Giorgio pour l’Orsanmichele, saint Jean l’Evangéliste pour la façade du Duomo et des prophètes pour le campanile de Giotto (1416-1420, Habacuc, Jérémie, Abraham représenté au moment où un ange arrête sa main qui s’apprêtait à sacrifier son fils Isaac, le regard tourné vers le ciel, reconnaissant, le prophète imberbe, le prophète pensif), des sculptures caractérisées par une relecture animée de l’antique (torsion d’un buste, flexion d’une jambe…), une quête croissante d’expressivité et d’individualisation des modèles, une rupture manifeste avec les drapés gothiques au profit de drapés à l’antique, suivant les mouvements du corps.

Il s’essaie par ailleurs au bronze et sans déployer la maîtrise technique d’un Verrocchio ou d’un Ghiberti, réalise des œuvres puissantes et synthétiques caractérisées par des contrastes de plus en plus riches d’ombres et de lumières, des jeux de drapés inédits, pesants et tourmentés, telles que déployés dans l’ingénieux tabernacle de San Ludovico di Tolosa (1418-25) pour l’Orsanmichele. Le buste-reliquaire de San Rossore (1422-25) rompt quant à lui avec la tradition des reliquaires par le choix du bronze et constitue l’un des premiers portraits renaissants sculptés tandis que les Vertus plus raffinées des fonts baptismaux de Sienne telle que la superbe Speranza (1427-29), contemporaine des prophètes Jérémie et Habacuc du campanile, se révèlent d’un naturel totalement inédit, les mains jointes, les cheveux ébouriffés, le drapé ponctué de plis lumineux, les pieds nus. Une telle expressivité se retrouve dans la fascinante Trinità réalisée par Andrea del Castagno, à fresque, pour la Santissima Annunziata de Firenze (1453-55), d’une incroyable force plastique, ou encore dans « la Madonna col Bambino » de Michelozzo, collaborateur de Donatello pendant une dizaine d’années.

Parmi les plus extraordinaires réalisations de Donatello, les portes de la Sagrestia Vecchia di San Lorenzo, en cours de restauration, sont exceptionnellement présentées dans l’exposition. En l’absence de pala d’autel, la porta dei Martiri, la porta degli Apostoli (1440-42), les lunettes et tondi de stucs avec les saints patrons des Médicis (Lorenzo, Stefano, Cosmo, Damiano), les Evangelisti et les Storie di san Giovanni sont au cœur de la décoration de la sagrestia. L’artiste, s’inspirant des portes des sarcophages antiques, représente sur les battants de bronze une quarantaine de saints d’une incroyable beauté plastique et d’une inventivité prodigieuse –au point de perturber selon Brunelleschi la pureté de son espace architectural-, Donatello ne cessant de varier les attitudes.

Une visite complémentaire à la basilica di san Lorenzo s’impose toutefois pour contempler les stucs et terres cuites polychromes sculptés (1428-43) de la Sagrestia Vecchia et les deux superbes chaires en bronze réalisées par Donatello et ses collaborateurs qui représentent des scènes détonantes –si l’on songe à la terrifiante apparition du Christ dressé hors de son tombeau, nu, idéalisé, de la Résurrection-, redoutablement expressives sinon violentes, de la Passion et de la Résurrection.

Une salle de l’exposition est consacrée aux « spiritelli », putti nus et ailés se substituant aux anges de l’iconographie chrétienne et auxquels Donatello a recours pour animer ses sculptures tels les admirables spiritelli prêts à prendre leur envol du musée Jacquemart André réalisés pour la Cantoria de Luca della Robbia du Duomo ou encore la danse des spiritelli en relief du Pergamo del Sacro Cingolo de Prato, œuvre de Donatello et Michelozzo –que l’on retrouve à la Cantoria de Santa Maria del Fiore, 1433-39-. Dans la chaire demeurée au musée du Duomo, la danse des spiritelli, qui courent et chantent dans les différentes scènes, se déroule en une frise continue, travaillée en profondeur, derrière des colonnettes ramenées au premier plan et ornées de mosaïque comme le fond des panneaux, à la différence des scènes statiques et autonomes de Luca della Robbia. Déclinaison possible des scènes bachiques des sarcophages romains, les spiritelli, dans leurs mouvements rapides, leur abandon, expriment une vitalité inédite.

Peu avant son départ pour Padoue, Donatello réalise un surprenant San Giovanni Battista (1442), en marbre, pour les Martelli. Rompant avec la tradition iconographique, l’artiste représente San Giovanni Battista adolescent, animé d’un élégant mouvement vers l’avant, le regard noble, concentré, les traits déjà émaciés évoquant son retrait au désert. Plusieurs œuvres remarquables témoignent de l’impact de cette sculpture tel un superbe relief de Desiderio da Settignano (San Giovannino, 1450-55).

Toutefois, l’une des confrontations les plus impressionnantes et déterminantes du parcours concerne deux Imago Pietatis de Donatello (1435, 1449-50) et celle de Giovanni Bellini (1465). Le relief en marbre du Victoria & Albert Museum, d’une incroyable sensibilité dans la déclinaison progressive des volumes, représente, à mi-corps, le Christ qui s’effondre sur le côté, le bras droit retombant, inerte, sur le parapet, soutenu par de deux anges sanglotant. Le thème est à nouveau traité par l’artiste pour l’autel majeur du Santo de Padoue, en bronze. Le Christ se dresse cette fois dans son tombeau, flanqué de deux anges désolés retenant le suaire derrière lui. L’iconographie évoque la tradition byzantine (la frontalité du Christ vu toutefois légèrement de côté sans montrer les signes de la Passion) et nordique (l’ajout des anges en pleurs). La toile monumentale de Bellini, qui traite à plusieurs reprises le thème de l’Imago Pietatis, montre magistralement l’importance du prototype donatellien.

Le parcours s’achève sur d’autres œuvres exprimant intensément le drame sacré tel le Crucifix en bronze, de 1443-44-1448/49, réalisé pour le Santo, surprenant équilibre entre des proportions harmonieuses et des détails naturalistes (les veines du visage émacié, des bras, des jambes, les os saillants de la cage thoracique et des membres…), qui représente le Christ à l’instant même de sa mort, le vent agitant son perizonium, ou encore le superbe Miracolo della mula (1446-49), l’un des quatre miracles de Sant’Antonio pour l’autel de la basilique Sant’Antonio de Padoue, d’une incroyable modernité de conception et d’une grande qualité d’exécution avec ses trois voûtes en berceau aux lignes convergentes, « il compianto sul Cristo morto » (1458-60) dont le violent pathos est accentué par le traitement irrégulier du bronze.

Plusieurs Calvaires sont présentés :  le superbe Calvaire en bronze partiellement doré du Bargello (1455-65), le Calvario Camondo (1450-52), la flagellation et le Calvaire dits « altare Forzori » (1450) déployés dans un espace architectural ambigu mais particulièrement novateur, œuvres elles aussi d’une belle postérité (Vincenzo Foppa, Calvario, 1450 -55, Bertoldo di Giovanni, Calvario, 1480-85)…Dans le Calvaire Camondo, Donatello parvient tout à la fois à exprimer l’intensité du deuil et à évoquer un vaste espace : les trois principaux protagonistes sont massés dans une avant-scène qui les contient difficilement tandis que derrière la croix, des soldats en mouvement, indifférents à la tragédie du premier plan, se superposent les uns aux autres dans un méplat presque évanescent.

Au Bargello, l’exposition se poursuit par une réflexion sur la « modernité » de Donatello, perçue dès l’époque si l’on en croit le Vite de Vasari : un style imprévisible unissant observation du réel et assimilation des modèles du passé, une remise en question permanente défiant le goût de l’époque, un pathos croissant et une étude psychologique des sujets impliquant le spectateur dans une réflexion existentielle.

Fu scultor raro e statuario meraviglioso, pratico ne gli stucchi e valente, e nella prospettiva e nella architettura similmente molto stimato. Ma nelle cose sue, di grazia, di bontà e di disegno e di pratica  divenne tale, che osservando le vestigia dell’antica maniera degli eccellenti Greci e de’Romani, tanto simile in essa appari, che senza duvbio si ammira per uno de’ maggiori ingeni che piu si accostasse alle vere difficultà, di coloro che perfettamente l’hanno mostrato, si come appare in tutte le opere sue.

Giorgio Vasari, « le vite de’ più eccellenti architetti, pittori, et scultori italiani da Cimabue, insino a’ tempi nostri », Einaudi, 1991

De fait, tous les maîtres de la « Maniera Moderno » étudièrent l’œuvre de Donatello et comprirent son usage singulier de la perspective, ses stratégies narratives, ses écarts avec la tradition iconographique, sa capacité à impliquer le spectateur…Quelques dessins de Raffaello (Quattro soldati, 1504-05, dont l’un s’inspire du san Giorgio du maître), Perugino (Madonna col bambino, due studi dalla Madonna Dudley, 1480-81), toiles (Bronzino, Madonna col bambino dalle madonna Dudley, 1525-26), pièces sculptées de Jacopo Sansovino (Gloria del Salvatore, 1540-42), Francesco da Sangallo (san Giovanni Battista, 1530, qui témoigne admirablement de la fascination de l’artiste pour le San Giovanni Battista Martelli de Donatello), Desiderio da Settignano (Madonna Panciatichi, 1450-55), Michelangelo (Madonna della scala, 1490)…, reprises directes ou réinventions des prototypes donatelliens, en témoignent, tout en dialoguant avec des œuvres du maître.

On peut ainsi contempler l’admirable Madonna delle nuvole (1425-30), relief carré en marbre stiacciato, qui s’inspire tout à la fois des « Madonna dell’umiltà » du XIVe siècle siennois et des Assunzione et dépeint la Vierge à l’Enfant de profil, assise dans les nuées, entourée d’anges et de chérubins ; la Madonna dell’umiltà coronata da due angeli, insertion d’un tondo en bronze doré dans un tabernacle de marbre orné d’anges réalisé ultérieurement par Verrocchio ou encore la Madonna di Via Pietrapina (1450-55), terre cuite représentant la Vierge de profil, protégeant l’Enfant emmailloté de ses mains dans une étreinte exclusive où l’artiste plie habilement la perspective à des fins expressives.  

La postérité artistique de l’une de ses Vierge à l’Enfant, la Madonna Dudley (1440), est particulièrement mise en exergue. Œuvre dédiée à la dévotion privée, c’est la première représentation isolée d’une Madone en pied, de profil, dans une disposition incroyablement naturelle, pleinement concentrée sur l’Enfant qu’elle regarde et tient tendrement dans ses bras, sur un fond neutre, sans cadre. Donatello, tout en s’inspirant d’une ancienne stèle funéraire, y déploie tout le potentiel du « stiacciato », le drapé léger du vêtement et le voile de la Vierge se développent en un dégradé de plans qui suggère une atmosphère dense, quasi palpable. Son premier propriétaire connu fit réaliser un tabernacle peint par Fra Bartolomeo, présenté dans l’exposition, pour contenir ce marbre minimal.  

Donatello-Davide-1435-40_Bargello, Firenze_28 avril 2022

Le parcours s’achève comme il se doit au cœur du musée, dans le salone du Donatello, face au David en bronze, au fier et puissant San Giorgio de l’Orsanmichele (1415-17), incarnation du guerrier, avec son admirable relief stiacciato représentant st Georges libérant la princesse dans un espace convainquant par le recours à la perspective, et au marzocco de Donatello (1419, emblème de la ville) en dialogue avec le remarquable David de Verrocchio (1468-70), qui tout en reprenant le contrapposto et la jeunesse androgyne du prototype donatellien, s’en distingue par sa tunique à l’antique, sa tête fièrement dressée…mais également avec des sculptures, tableaux et dessins évoquant temporairement la fortune du David en bronze telles que les fresques d’Andrea del Castagno réalisées pour la Villa Carducci di Legnaia (Filippo Scolari detto Pippo Spano, Farinata degli Uberti, dont le caractère sculptural et le déhanchement, l’épée, rappellent le David), le David Martelli de Desiderio da Settignano.

Pour la première fois, le chef d’œuvre du maître et l’un des premiers nus quasi à taille humaine, en bronze, depuis l’Antiquité, réalisé vers 1440, est exposé sur un socle surélevé –loin toutefois de la position initiale de l’œuvre, sur une colonne de marbre, perdue depuis, de plus de deux mètres-. Tout comme son san Giovanni Battista di casa Martelli, l’œuvre rompt avec la tradition par le choix de représenter David jeune et nu -excepté ses jambières et le singulier chapeau ailé qui lui confère un profil saisissant, un regard chargé de mystère et de tensions psychologiques et spirituelles tout en évoquant Mercure-, comme un héros antique en dépit d’une élégance encore gothique dans la féminité des courbes, la délicatesse des traits, la gracilité du corps. David, le regard baissé, pensif, le pied gauche sur la tête tranchée de Goliath, avec dans les mains la pierre qui lui a servi à abattre son ennemi et l’épée avec laquelle il l’a décapité, est représenté après l’action. Si Donatello s’inspire de l’antique de par la nudité de son héros et son déhanché praxitélien, il émane de ce corps –sublimé par une remarquable maîtrise technique et dont les formes et les lignes, équilibrées et délicates, sont soulignées par la lumière-une sensualité, une fluidité et une vitalité inédites.

Trovasi di bronzo, nel cortile del palazzo di detti Signori, un David ignudo quanto il vivo, ch’a Golia ha troncato la testa, et alzando un piede, sopra esso lo posa, et ha nella destra une spada. Et à la figura in sé tanto naturale nella vivacità e nella morbidezza, che impossible pare a gli artefici che ella non sia formata sopra il vivo.

Giorgio Vasari, « le vite de’ più eccellenti architetti, pittori, et scultori italiani da Cimabue, insino a’ tempi nostri », Einaudi, 1991
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