CARREAU DU TEMPLE, Paris, 28 – 31 mars 2019

Le printemps naissant est comme chaque année marqué à Paris par quelques foires d’art tout à fait dignes d’intérêt. La session 2019 de Drawing now s’est révélée tout à fait stimulante. Entre confirmations, plaisir à revoir des artistes majeurs et découvertes… Ma sélection.

Mathieu Bonardet, galerie Brolly 
Anais Lelievre, stratum 2_galerie la Ferronnerie 
Marianne Misgelaere, mesurer les actes
L’édition 2019 met en exergue le caractère performé du dessin, qu’il s’agisse du processus créatif lui-même, comme dans le cas de Mathieu Bonardet magistralement exposé par la galerie Brolly où il fait l’objet actuellement d’une exposition monographique https://www.facebook.com/instantartistique/posts/839541823046233, de Marianne Misgelaere (« mesurer les actes »), de Nicole Wendel (« corhythm » 2018 ainsi que les pièces présentées par la galerie 1214, vastes dessins performés donnant naissant à un espace d’une profondeur indéfinie, les éléments spontanés contrastant avec les constructions équilibrées qui affleurent à la surface, l’abstraction gestuelle se mêlant de réalité dessinée et perdant quelque peu le spectateur), de Mélanie Berger, dont les formes simples naissent d’inlassables superpositions de lignes, d’un investissement corporel répété et latent dans l’œuvre (Archiraar gallery), de Gilgian Gelzer qui développe des abstractions dessinées au tracé puissant et dynamique résultant d’un geste ample qui s’efforce de donner corps à l’espace sur la feuille, ou qu’il s’agisse de la tendance d’une part du dessin contemporain à investir l’espace et se faire installation (Anais Lelièvre, « stratum 2 » , galerie la Ferronerie, ample installation réalisée à partir de la démultiplication du dessin d’origine, réduit ou agrandi par photocopie, mis en volume par la multiplication des strates ou la dispersion d’éléments de détail ; Karin van Dam à la galerie Maurits van de Laar qui, grâce à de puissants dessins au graphite, quasiment abstraits, se penche sur l’essence du dessin ; Kevork Mourad).
Parmi les œuvres reconnus qu’on ne se lasse guère de contempler, j’ai relevé l’époustouflante mise en dialogue de trois sculpteurs de la même génération, relevant de la « nouvelle sculpture anglaise », par la galerie Ropac, tous trois au travers de leurs dessins : Anthony Gormley, Richard Deacon et Bill Woodrow. La série de dessins de Gormley, tous centrés, comme à l’accoutumé chez cet artiste, sur la figure humaine, use d’un matériau assez singulier (du papier trempé dans un mélange de carbone et de caséine, travaillé ensuite au burin) qui permet de surprenants effets d’effacement et de floutement de l’image, ce que renforce le quadrillage de la feuille. Sur le mur qui leur fait face, trois dessins de Deacon y répondent pertinemment par leurs déclinaisons et imbrications de grilles et plus encore par un rapport fondamental à l’espace de l’œuvre, une forme de tension et de perméabilité entre l’œuvre, l’espace qu’elle définit par le tracé ou le contour d’une forme sculptée et l’espace dans lequel elle s’inscrit, un jeu entre dedans et dehors.
Quant au travail dessiné de Bill Woodrow, il se caractérise pas le recours au support cartographique, support de l’œuvre graphique qui affleure à la surface par des lacérations horizontales, brouillant les limites entre les deux plans de représentation. Si l’œuvre sculpté de chacun de ces artistes demeure en arrière-plan et témoigne des mêmes recherches, leur œuvre dessiné n’en est pas moins autonome et essentielle. La galerie Karsten Greve présente un bel ensemble de dessins de Pierrette Bloch, exposée dernièrement dans son espace rue Debelleyme et toujours caractérisés par une grande économie de moyens, une certaine pauvreté de matériaux, des jeux récurrents entre le noir et le blanc, le plein et le vide, le point et la ligne, et la variation dans la répétition. https://www.facebook.com/instantartistique/posts/625439804456437
J’entreprends un long voyage sur une feuille […] ; ce n’est plus une surface, mais une aventure dans le temps. Le format n’existe plus.
Pierrette Bloch
Parmi les relectures intéressantes de l’histoire de l’art, j’ai noté l’animation du belge Antoine Roegiers inspirée notamment de Brueghel (le combat de carnaval et carême, 1559) et de James Ensor, galerie Tarasieve et « carving a giant », réalisé au graphite par Damien Deroubaix d’après le Picasso de Guernica (2019, galerie Fabienne Leclerc).
Du côté des confirmations, outre de très belles pièces dessinées de Mathieu Bonardet présentées par la galerie Brolly en dialogue avec une toile de François Morellet, j’ai retenu la nouvelle installation de Raphaëlle Peria galerie Papillon. L’artiste, déjà remarquée lors d’une exposition de sa galerie en 2017 (https://www.facebook.com/instantartistique/posts/507938916206527), poursuit son singulier travail par l’effacement entre photographie, rehauts d’or, dessin et grattage à la gouge, au scalpel ou à la fraise, au travers d’une remarquable série réalisée au Cambodge, parmi les temples envahis par la végétation. L’accrochage de toute beauté alterne les feuilles épurées, où le dessin s’affirme sur un vaste plan en réserve pour souligner un tronc d’arbre ou de sinueuses racines, et les feuilles où l’image photographique demeure première quoique creusée ou ponctuée de traits, d’aplats, ou de légers reliefs ménagés par l’artiste.
La galerie Provost-Hacker présente quant à elle -outre quelques œuvres d’Eleonore Deshayes, « paysages intérieurs » d’une grande délicatesse, souvenirs mélancoliques de territoires perçus et ressentis qu’elle recompose en laissant place au fragmentaire, à l’instabilité, aux dégoulinures-, le travail de Justin Weiler qui poursuit avec maestria sa relecture dessinée à l’encre de chine de la peinture classique sous la forme d’assemblage de toiles composant de vastes bouquets des plus impressionnants par la richesse de détails, les jeux de clairs-obscurs, de reflets et de transparence, la minutie et la délicatesse de traitement fait d’une suite de couches monochromes révélant toute une déclinaison de noirs, chaque panneau pouvant constituer à lui seul une œuvre. Le jeune artiste, issu des beaux-arts de Paris, propose également des pièces d’autres séries, jeu entre intérieur et extérieur, vitrines, stores, rideaux de fer, révélant autant qu’elles dissimulent, espace et « non espace », portant parfois les marques du temps et de l’histoire (série « Beyrouth »).
Par-delà la présence de très belles œuvres de Joachim Bandau, qui, dans la mouvance de l’art minimal, développe depuis les années 1990 des jeux de matière noire à la peinture ou à l’aquarelle auxquelles il superpose des filtres transparents, le stand de la galerie Florent Maubert est l’occasion de découvrir d’autres artistes, en particulier le portugais José Loureiro. Ce-dernier déploie des formes jamais totalement achevées mais non sans poésie qui relèvent selon lui de trois catégories : bouvreuil, filament et arceau.
Parmi les découvertes de ce Drawing now 2019, j’ai retenu un admirable triptyque de Johan de Wilde, Hopstreet gallery inspiré des fresques de Fra Angelico au couvent san Marco de Florence. Du maître, l’artiste belge retient une gamme très choisie et raffinée de coloris qu’il retranscrit au travers de compositions abstraites qui témoignent d’une étonnante maîtrise technique. Un dessin quasi pictural constitué d’un aplat de gris sur lequel s’inscrivent, comme un cadre architecturé, des horizontales et des verticales. Des œuvres qui malgré leur rigueur apparente se singularisent par leur sensibilité et la douce lumière qui les imprègne. Les pièces de de Wilde dialoguent avec celles, à la limite de l’abstraction, de Fabrice Souvereyns, où affleurent, sous les couches superposées, quelques signes figurés, effet que l’artiste obtient par effacement et par le recours à une seule nuance.

Rebecca Salter_galerie Sturm 
Gerhard Lang_galerie Albrecht
L’allemand Gerhard Lang et le britannique David Connearn proposent un remarquable dialogue abstrait à la galerie Albrecht. Ce dernier développe un dessin abstrait et instinctif constitué d’une répétition de lignes étroitement copiées, tracées à main levée de haut en bas, qui requiert une approche contemplative et ouvre un espace de réflexion. Il peut ainsi évoquer des situations bien réelles et terriblement actuelles, comme dans la série « Refuge » qui se réfère aux camps de réfugiés migrants, et soulever des questions sur l’implication, la responsabilité. La galerie Sturm & Schober présente une très belle série de dessins de l’artiste britannique Rebecca Salter, déclinaison minutieuse et répétée d’un même motif plus ou moins densément chargé de matière. Elle voisine avec des dessins de l’allemand Thomas Muller lequel, depuis le milieu des années 90, se concentre sur la pratique du dessin en exploitant ses multiples possibilités (encre, crayon, stylo à bille…) au travers d’un vocabulaire abstrait, expressif et énergique, fait de tensions, d’attraction et de répulsion, et du sculpteur allemand Wolfram Ullrich qui, marqué par l’art optique, s’intéresse aux perturbations de la perception par des effets illusionnistes débordant ses formes géométriques.
Le colombien Felipe Bedoya élabore un alphabet hiéroglyphique des plus personnels et saisissants, galeria Ibanez. Une poétique de l’infime qui témoigne par ailleurs d’une grande maîtrise du médium et d’une inventivité déroutante. Joao Vilhena investit le stand de la galerie Alberta Pane d’une vaste série de dessins à la pierre noire « l’amour des corps », 2017. Une série caractérisée par une mise en scène récurrente : des silhouettes dénudées se révélant chacune dans sa solitude derrière une fenêtre plus ou moins entrouverte, aux contours moulurés et surplombée d’un imposant chapiteau de pierre. Entre voyeurisme et mélancolie.

























