Rome est indéniablement la ville qui renferme les œuvres les plus magistrales de Gian Lorenzo Bernini. Ce-dernier, depuis ses premières sculptures mythologiques, chefs-d’œuvres de la galleria Borghese, jusqu’à la réalisation de la colonnade de st Pierre sous le pontificat d’Alexandre VII et l’édification de plusieurs églises telles que Sant’Andrea del Quirinal, en passant par la réalisation de nombreuses fontaines, a véritablement changé le visage de la Città.
Toutefois, en 1656, le cardinal Barberini, allié essentiel de l’artiste à Paris, lui commande une sculpture de la Vierge à l’enfant pour l’église saint Joseph des Carmes. Si la sculpture est réalisée par son collaborateur Antonio Raggi, Bernini est l’auteur de la conception et des dessins. La Vierge elle-même semble s’inspirer de la Vierge de Bruges (voire également de celle de la Sagrestia Nuova de Firenze) de Michel Ange, de par le choix d’une composition compacte qui met en exergue la relation entre la mère et l’enfant tout en faisant contraster le visage calme sinon hiératique de la Vierge et le corps animé de l’enfant, mais son inscription dans la chapelle de la Vierge de l’église témoigne d’une conception beaucoup plus scénographique et théâtrale que celle, d’une certaine sobriété, du maître renaissant. Il ne s’agit pas là de la seule référence du maître baroque à Michel-Ange : la Thérèse du Bernin s’inspire du Christ de la Pietà de st Pierre, St Laurent martyr, de l’Adam de la chapelle Sixtine etc.
Sans atteindre le sublime et l’érotisme détonnant dans un espace sacré –même si certains historiens de l’art ont pu rappeler à ce sujet qu’au XVIIe siècle, le corps et l’âme participaient de la vie de l’esprit, les sens étaient des instruments de connaissance et de persuasion ou encore qu’il s’agirait moins de désacraliser l’extase mystique que de spiritualiser l’amour humain, de donner corps au mariage mystique -de la transverbération de ste Thérèse (Santa Maria della Vittoria, Roma) ou de la Beata Ludovica Albertoni (san Francesco a Ripa, Roma), on retrouve dans la chapelle de la Vierge le principe berninien du bel composto (Baldinucci), l’unité intrinsèque, organique, des arts : peinture, sculpture et architecture. La dimension théâtrale des chapelles berniniennes n’a rien d’artificiel mais entend faire ressentir l’essence même de l’émotion religieuse, de l’expérience mystique, de la communion entre l’âme et Dieu, par un procédé théâtral tenant compte de l’aspect sacramentel, de même que la lumière, dans une tradition picturale, se fait symbolique, céleste et fait participer émotionnellement le croyant au surnaturel. L’artiste y parvient à merveille en représentant l’acmé de la scène sans pour autant la figer dans l’instant, en faisant coexister des émotions contraires : souffrance et bonheur sur le visage de Ludovica, douleur et abandon sensuel de Teresa).
É concetto molto universale, ch’egli sia stato il primo, che abbia tentato di unire l’archiettura colla scultura e pittura in tal modo, che di tutte si facesse un bel composto; il che fece egli con togliere alcune uniformità odiose di attitudini, rompendole talora senza violare le buone regole, ma senza obbligarsi a regola, che chi non esce talvolta dalle regole non le passa mai.
Filippo Baldinucci, Notizie de’ professori del disegno da Cimabue in qua
Bernini modèle littéralement l’espace autour de la Vierge à l’enfant et répète la forme de la niche de la chapelle Cornaro ainsi que les nuées sur lesquelles repose son groupe sculpté à st Joseph des Carmes. Dans le journal de voyage du cavalier Bernin en France, de Chantelou, ce-dernier note toutefois la déception de l’artiste devant la Vierge à l’enfant, considérant « que cette figure perdait sa belle vue par la clôture de la chapelle où elle était, et du drap mortuaire qui était devant ». En outre, le groupe sculpté n’avait pas été positionné tel que pensé par l’artiste, en tenant compte non seulement de l’espace architectural alentours mais des sources de lumière dans la chapelle.
Il n’en demeure pas moins que l’œuvre mérite le détour, d’autant que l’église st Joseph des Carmes, fondée en 1613 par Marie de Médicis et attribuée à Jacques Lemercier, recèle d’autres œuvres de grande qualité : le très beau retable maniériste du chœur représentant « la Présentation de Jésus au temple », réalisé par Quantin Varin en 1624 ; une remarquable « apparition du Christ à ste Thérèse d’Avila et st Jean de la Croix » de Jean Baptiste Corneille, flanquée de deux sculptures de grande qualité de Jacques Sarrazin sur le thème de la pénitence (St Pierre et Marie Madeleine) incarnant la contrition intérieure et le chagrin ; des anges musiciens, archanges et un couronnement de la vierge peints par Claude Deruet (chapelle des Bienheureux-Martyrs-des-Carmes) ; une chapelle maniériste typique du XVIIe, couverte de boiseries peintes et de quadri riportati au plafond représentant les évangélistes, attribuée à Georges Lallemant ; une chapelle baroque attribuée à Abraham Van Diepenbeeck ; une étonnante chapelle dédiée à Ste Thérèse de Lisieux d’esprit nabis ; un cénotaphe sculpté par Antoine-Auguste Préault ou encore la coupole en trompe l’œil représentant Élisée, disciple d’Élie, recueillant le manteau blanc de l’ordre des Carmes, tandis qu’Élie, considéré comme le fondateur de l’ordre des Carmes, est enlevé au ciel dans son char de feu, attribuée à Walthère Damery (1663).