Eliasson à la Tate

TATE MODERN, London_Juillet 2019 – Janvier 2020

Olafur Eliasson, in Your uncertain shadow, 2010_Tate Modern, London_12 juillet 2019

« In real life » présente une quarantaine de pièces de l’artiste Olafur Eliasson : installations, atmosphères, photographies, sculptures. Un travail qu’il est difficile de dépeindre s’agissant avant tout de perception et de perturbation de la perception. Après une salle introductive consacrée au processus de création et présentant une multitude de modèles, on se trouve confrontée à une vaste œuvre tout à la fois visuelle et olfactive, un mur de lichen (« moss wall », 1994), la nature étant l’un des principaux matériaux de l’artiste, dont nombre de réalisations s’efforcent de sensibiliser aux conséquences dramatiques du changement climatique. Au sol, « wavemachines », 1995, s’efforce de simuler à l’aide de petits moteurs l’effet de la gravité et du vent sur les océans : les vagues. On retrouvera ce jeu avec l’eau et la gravité dans une installation fulgurante, « Big Bang fountain », 2014 : au centre d’une pièce circulaire plongée dans l’obscurité, de l’eau, teinte et éclairée, est pompée par rafales, provoquant une série de formes abstraites assez fascinantes tandis qu’à l’extérieur, l’artiste rejoue, en plus modeste, une œuvre présentée à Versailles en 2016, cascade dont l’artifice est mise en exergue et interroge notre rapport à la nature, une nature trop souvent dressée, construite, par l’homme.

Deux installations particulièrement réussies s’efforcent de reproduire la pluie, « rain window », 1999, simule des gouttes de pluie sur le vitrage tandis que « Beauty » 1993 reproduit une brume tout à la fois visuellement -le rideau de brume, au centre d’un espace sombre, est éclairé par un projecteur- et sensoriellement : le visiteur est invité a traversé l’œuvre et ressentir l’humidité qui émane de ces légères nuées artificielles dont l’intensité varie selon que le visiteur s’approche ou s’éloigne de l’oeuvre. Une œuvre d’une étonnante poésie.

Elle nous prépare à une autre forme d’immersion, l’œuvre probablement la plus forte de l’exposition, un couloir empli de « fog » coloré où l’on est censé cheminer unilatéralement, à l’aveuglette, traversant des atmosphères colorées intenses et variées : couleurs chaudes (jaune orangé), couleurs froides (bleu), blanc, « your blind passenger », 2010… Si ce travail n’est pas sans évoquer celui d’Ann Veronica Janssens qui use parfois du même matériau, un brouillard artificiel et une lumière quasiment palpable entraînant une perte totale de repères spatiaux (on se souvient de l’impressionnante « Daylight blue, sky blue, medium blue, yellow », présentée dans l’exposition Dynamo du Grand Palais en 2011), l’effet produit n’est pas tout à fait le même, le recours à un espace long et étroit contraignant à recourir à d’autres sens que celui, perturbé, de la vue. Le titre de l’œuvre évoque en danois la clandestinité. Avant de pénétrer dans « your blind passenger, « No nights in summer, no days in winter », 1994, dont le titre évoque le rythme singulier des jours et des nuits au nord du cercle polaire, nous apparaît comme un cercle bleu à l’intensité variable. Il s’agit en réalité d’un anneau de métal dont la circonférence est ponctuée de buses à gaz. Ces-dernières, activées, projettent une lumière bleue dans l’espace. Une œuvre multisensorielle qui produit tout à la fois de la chaleur, de la lumière et même du son.

Au sortir du couloir de brouillard coloré, une salle est consacrée aux kaléidoscopes, façon de fragmenter et recomposer la vision tout en provoquant une sensation d’incertitude au sein du regardant. Eliasson en use souvent pour relier le dedans et le dehors, comme avec « your planetary window », 2019. On peut par ailleurs, avec « your spiral view », 2002, pénétrer dans l’un d’eux, un tunnel de quelque 8m de long fait de plaques d’acier assemblées en deux séries de spirales contraires, et dans lequel se reflète l’espace alentour et notre propre corps en une multitude de fragments créant un effet de vertige. « Your incertain shadow (colour), 2010 travaille également sur l’incertitude : l’installation repose sur cinq projecteurs de couleur alignés au sol et dirigés vers un mur sur lequel est projetée l’ombre de chaque visiteur pénétrant dans l’espace, une ombre démultipliée et de couleurs, d’intensité, d’échelles changeantes au gré de ses déplacements.

Autre installation tout en épure « how do we live together », 2019 est constituée d’un arc semi-circulaire monté sur un miroir au plafond dont le reflet semble partitionner l’espace en deux tout en unissant l’espace réel et l’espace reflété. Une métaphore particulièrement efficace et profonde, à mes yeux, du rapport à l’Autre tout en revisitant quelque peu l’allégorie de la caverne et posant un questionnement sur les limites entre réel et virtuel, le vrai et le reflet. Enfin, une série d’œuvres consacrées à l’Icelande (photographies, sculptures, peintures), exprime plus directement de la sensibilité écologique de l’artiste : « the presence of absence pavilion », moulage en bronze, 2019, représente en creux la forme d’un iceberg disparu du fait de la fonte des glaciers, tandis qu’une série photographique de 1999, qui sera complétée à l’automne prochain par une nouvelle série, dix ans plus tard, témoigne de la disparition progressive des glaciers icelandais. Un bel aperçu du travail d’Eliasson.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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