Erwin Olaf, a journey in Black and White

GALERIE RABOUAN MOUSSION, Paris, Novembre 2020 – Mars 2021

« What I want to show most of all is a perfect world with a crack in it. I want to make the picture seductive enough to draw people into the narrative, and then deal the blow. »

Erwin Olaf

Ma première confrontation à l’œuvre d’Erwin Olaf a sans doute été l’exposition que lui a consacrée l’institut néerlandais en 2009, « Rain, Hope, Grief & Fall », sa première grande exposition monographique en France. Les séries présentées alors dépeignaient, à travers des cadres et des modèles stéréotypées, l’Amérique des années 1950-1960, en produisant un sentiment de mystère sinon de malaise, la beauté des images et des modèles au regard fuyant, aux gestes retenus sinon suspendus, recelant une profonde solitude sinon un certain désespoir, comme l’envers du rêve américain. Depuis, j’ai revu son travail avec toujours le même plaisir ambigu et la même fascination trouble à diverses occasions (Rabouan Moussion 2013, 2019, Art Paris 2015, FIAC 2017, Paris Photo 2018 ou encore sur les murs de l’Hôtel de Ville lors de la nuit blanche 2016 etc.).

Toutefois, la nouvelle exposition que lui consacre la galerie Rabouan Moussion, qui fait suite à une confrontation du photographe à rien de moins que Rembrandt, Steen, Ter Borch, Verspronck au Rijkmuseum en 2019, https://www.erwinolaf.com/channel/rijksmuseum_2019_interview, à l’occasion de son 60e anniversaire, est tout à fait digne, par son importance, sa pertinence à témoigner de l’évolution du photographe -des premières séries volontiers provocatrices, marquées d’élans baroques, aux compositions ultérieures plus apaisées quoique tout aussi perturbantes- et sa qualité, d’une exposition muséale, ce qui est particulièrement bienvenu dans ces temps de désert sinon misère culturels. La marque des maîtres anciens sur le photographe est indéniable : chaque composition est parfaitement et subtilement construite pour produire, par-delà l’artifice, un prodigieux effet de réel ; chaque objet environnant le modèle semble soigneusement choisi. Le photographe étudie attentivement comment la lumière agit sur la surface, les matières, comment elle sculpte les formes et détaille avec une remarquable dextérité chaque texture. Il adopte certains subterfuges de ses grands prédécesseurs pour traduire la vie, le mouvement, par-delà l’immobilité de l’image fixe –que l’artiste rompra parfois en optant pour la vidéo- : la contorsion d’une épaule, la fixation sur la nuque d’une femme -entre érotisme et soumission-, l’artifice d’un couvre-chef féminin laissant dans l’ombre le visage, tendu vers le ciel, du modèle, comme dans l’autoportrait de Rembrandt à 23 ans. Dans chacune de ses séries, on retrouve le même respect de modèles représentés tels qu’ils sont, le regard du photographe révélant seul leur beauté intrinsèque. Enfin, la narrativité de ces images, suggérée par le photographe ou laissée à la libre interprétation du spectateur, n’est pas sans rappeler celle des toiles du XVIIe siècle.

Dans d’autres séries tout aussi remarquables, on note l’influence ou le parallèle avec des artistes plus contemporains tels que Witkin (« Chessmen », 1987-1988) ou Mapplethorpe (« squares », 1985). « Chessmen » est pensé comme les pièces d’un échiquier, un jeu de pouvoir interpersonnel. La série évoque l’œuvre de Witkin tant par la qualité des mises en scène, l’expertise technique surprenante pour un autodidacte que par l’attirail sado-masochiste à l’œuvre dans des corps fortement dénudés, étrangement casqués et /ou armés, aux postures complexes, aux organes génitaux ou aux attributs pervers affichés. « Squares », dont l’époustouflant tirage « Pearls » nous accueille dès l’entrée du parcours, rend hommage à Robert Mapplethorpe dont on retrouve le contraste entre un érotisme manifeste, quelque peu provocateur, et la construction des plus classiques de l’image.

« In 1982, I saw an exhibition of Robert Mapplethorpe in Amsterdam that blew me off the socks. I just had a Hasselblad, I was inspired by his craftsmanship and the beautiful prints, and I thought: this is what I want too. In the series ‘Squares’ (1983-93) you clearly see his influence. I started asking people that I knew from the nightlife if they wanted to pose for me in my studio, which I had decorated in a squat of a friend. For example, the boy with the champagne bottle worked in the wardrobe of my favourite disco. »

Excerpt from the book ‘Erwin Olaf – I am’

D’autres travaux rappellent les liens du photographe avec le monde de la mode (« Vanity Fair », série réalisée pour le magazine qui s’inspire de vêtements de l’âge d’or espagnol portés par des mannequins contemporains) ou de la musique : « Indochine », fruit d’une collaboration avec le groupe qu’Olaf représente en adolescents rebelles, « Blacks », inspiré de l’album Rhythm Nation 1814 de Janet Jackson, réalisé en une subtile déclinaison de noirs et en trompe l’œil et qui traite de la discrimination raciale, la chanteuse rappelant dans l’une de ses chansons que « dans l’obscurité, nous sommes tous pareils / Ce ne sont que nos connaissances et notre sagesse qui nous séparent ».

Erwin Olaf, série Ladies hats

L’œuvre d’Olaf, par-delà sa qualité esthétique manifeste, est profondément ancré dans son temps et y réagit activement, qu’il s’agisse de défendre les droits des gays, de pointer du doigt les discriminations à l’œuvre dans la société (racisme, antisémitisme latent…), de réagir aux attentats contre Charlie Hebdo –une photographie de la série « Tamed and anger self-portraits », 2015, est présentée dans l’exposition-, ou encore au changement climatique dans le récent triptyque Berlin, Shanghai, Palm Springs (précédemment présenté à la galerie).

La toute dernière série de l’artiste, April Fool, 2020, résonne particulièrement dans la folie du monde actuel, entre confinement et déconfinement, peur et perte de toute liberté, de toute valeur. Olaf s’y met en scène comme un fantôme grimé, errant dans un monde urbain déserté, à la dérive. « La narration visuelle d’April Fool 2020 donne forme aux émotions et aux images qui m’ont paralysé lorsque nous nous sommes soudain réveillés dans le cauchemar surréaliste de cette pandémie. La peur et l’impuissance dominent en moi depuis quelques semaines ; je me sens comme un simple figurant dans un film d’épouvante, dont la conclusion est totalement imprévisible. L’avion à bord duquel nous sommes a perdu ses moteurs – le silence ronronnant n’est que le présage de ce qui est à venir. Les rayons de supermarché, vidés par des accumulateurs fébriles, me font réaliser que depuis des décennies j’ai cru que tout serait toujours là, que nous continuerions à danser autour du volcan. Rien n’est moins vrai, et me voici, debout, la bouche pleine de dents. J’erre, désœuvré, dans l’attente d’on ne sait quoi, à redouter un ennemi que je ne puis voir, et qu’heureusement je n’ai pas encore senti. Le château de cartes s’effondre. »Un œuvre fondamentalement pictural, tout à la fois séducteur et dérangeant, s’attachant souvent à un « entre deux », le moment entre action et réaction, à voir et revoir jusqu’au 13 février.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

2 Replies to “Erwin Olaf, a journey in Black and White”

  1. XMC.PL says:

    I want to start a website to post merchandise from home. Would a blog be fine? Or are there free sources for creating websites?.

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    1. Instant artistique says:

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      Répondre

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