Esprit d’escaliers…au Louvre

Rembrandt, le philosophe en contemplation, 1632

…ou plutôt escaliers emplis d’âme…

La première toile, « philosophe au livre ouvert » (vers 1645, musée du Louvre) vraiment remarquable…est d’un artiste amstellodamois plutôt méconnu du XVIIe, suiveur de Rembrandt mais surtout adepte de scènes de genre, Salomon Koninck. L’escalier est tout simplement superbe…

Salomon Koninck, philosophe au livre ouvert, 1640 50

La seconde est son ancien pendant -lorsque les deux tableaux étaient attribués à Rembrandt-, « philosophe en méditation », autrement intitulée « intérieur avec Tobie et Anne », ou encore « érudit dans un intérieur avec escalier en colimaçon », également au Louvre (1632). L’absence des attributs traditionnels du philosophe ou d’Anne laisse le doute sur l’identification du sujet. Toutefois, d’aucuns préfèrent voir Tobie -aveugle- représenté ici et développer alors une lecture de la toile comme métaphore de l’introspection, de la vision voire même un mandala à la Jung, forme archétypale des différents « Moi », en raison de la composition largement concentrique de l’oeuvre.
Huxley en dit :

There hangs in the Louvre a Meditation du philosophe, whose symbolical subject-matter is nothing more nor less than the human mind, with its teeming darknesses, its moments of intellectual and visionary illumination, its mysterious stairways winding downwards and upwards into the unknown.

Aldous Huxley, Heaven and Hell. Sequel to Doors of perception

Si les deux toiles se ressemblent, par leur petit format, leur composition silencieuse, l’emploi magistral du clair-obscur, la présence de l’escalier en spirale et du vieil homme au crâne brillant, ce-dernier n’est toutefois pas seul dans la toile de Rembrandt. En outre, les deux colimaçons semblent inversés et tandis que le vieil homme se situe à gauche, près d’une fenêtre d’où provient une intense lumière dorée qui contraste avec des parties très sombres, un gros livre posé devant lui sur une table, celui de la toile de Koninck se situe dans la partie droite du tableau, également près d’une table portant un livre ouvert, volumineux, et d’une fenêtre. Autre différence, tandis que comme dans les intérieurs d’un Pieter de Hooch, se dessine dans le philosophe au livre ouvert une suite de pièces en perspective, ouvrant profondément l’espace pictural, celui proposé par Rembrandt semble sans issue, l’escalier se perd dans les ténèbres et une porte close, point de fuite du tableau, interdit tout échappatoire au regard.

Rembrandt a peint le philosophe en 1632, à l’âge de 26 ans. L’escalier divise l’espace en deux : tandis que le vieil homme semble méditer sur la gauche, les bras croisés, les yeux clos, une femme s’anime sur la droite, s’efforçant de chauffer la pièce, courbée près d’un feu ; spirituel et matériel, méditation et travail, lumière divine et feu de cheminée. D’après un catalogue de 1738, il s’agirait d’une représentation de Tobie et Anne attendant le retour de leur fils, récit issus de l’Ancien Testament où un vieil israélite de Ninive devenu aveugle envoie son fils recouvrer une dette. Aidé par l’archange Raphaël, le fils remplira sa mission tout en rapportant le fiel de poisson qui soignera la cécité de son père. Qu’il s’agisse d’un philosophe ou de l’israélite, le vieil homme de la toile incarne l’introspection, l’éloignement des activités terrestres, la quête de la Vérité.

Rembrandt, St Jérôme dans sa cellule, 1642

L’oeuvre de Koninck s’inspirerait en réalité d’une autre oeuvre de Rembrandt, une gravure de « st Jérôme dans sa cellule » (1642)…mais dans les trois oeuvres, toute la composition repose sur un remarquable et imposant escalier en colimaçon et le jeu d’ombres et de lumières que provoque sur lui la lumière pénétrant par une fenêtre latérale. Une étude monumentale des ombres et lumières.

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