HALLE DE LA VILLETTE, Paris, Mars-Avril 2018

100% beaux-arts, l’une des premières expositions conséquentes consacrée à de jeunes artistes issus de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Paris, tient décidément toutes ses promesses et se révèle tout à la fois de grande qualité et des plus enthousiasmantes. Dans une scénographie particulièrement réussie, pensée avec l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Malaquais, une cinquantaine de jeunes artistes des principaux ateliers de l’Ecole propose une introduction à leur univers plastique. Des œuvres multiformes, peintes, sculptées, vidéo, performées, tissées, photographiques, témoignant d’une grande créativité et pour les plus captivantes, d’une réflexion aiguisée et nourrie sur le monde et d’une réelle intelligence.
Une première salle de toute beauté réunit dans un admirable dialogue les toiles épurées d’Alice Nadjarian, issue de l’atelier Tatah, et des pièces de Cynthia Lefebvre (ateliers Cayo Huynh). Si la peinture de Nadjarian semble à première vue d’une grande simplicité formelle, flirtant parfois avec le dessin voire l’abstraction dans ces grands aplats monochromes aux couleurs des plus étudiées, un processus de création complexe s’y révèle. L’artiste procède par inversions, par reprises, par effacements, par surgissement de sous-couches latentes, signes d’une longue maturation. Une densité et une certaine complexité apparaissent au fil de la contemplation, un propos intime et délicat, chargé de symboles et de références. Au sol, « l’oiseau lyre », 2017, de Cynthia Lefebvre, ensemble de 16 pots en terre cuite, formes concaves emblématiques du manque ou de la perte par leurs jeux de pleins et de vides, interroge l’équilibre à trouver entre sa singularité propre et sa présence à autrui.
Cette ouverture magistrale se poursuit par la proposition tout aussi remarquable d’Antoine Granier (atelier Burki), « drag-on games I », 2017, un ensemble de huit séquences vidéo tournées dans les grands ensembles bétonnés franciliens, d’une grande efficacité visuelle et non sans références à la tragédie antique. Masque. Costumes. Chants. Chœur. Bestiaire. Mythes. Une inventivité et une qualité technique, esthétique et narrative tout à fait époustouflantes. Les vidéos sont par ailleurs projetées dans un espace ponctué des restes des costumes portés au cours de ces vidéo-performances, entre lanternes magiques fantaisistes et patchworks colorés.
Autre travail des plus impressionnants, celui de Justin Weiler, de l’atelier Gauthier. Son « bouquet pour Annie », 2017, propose une relecture de la peinture de fleurs sous la forme d’un assemblage de 81 toiles d’une grande délicatesse de traitement, d’une incroyable richesse de détails, réalisées à l’encre de chine. Sa technique mêle admirablement influences occidentales et orientales : s’il préfère ainsi l’encre à l’huile, Weiler n’en travaille pas moins par superpositions de couches. L’ensemble, réalisé à partir d’une photographie, constitue une vaste composition florale en décomposition, vanité contemporaine d’une force redoutable et là encore de toute beauté. L’artiste a procédé par addition, développant peu à peu la toile centrale réalisée il y a 3 ans par l’ajout de panneaux latéraux, d’où l’aspect « non finito » de l’œuvre présentée qui n’est qu’un état à l’instant T. Il s’est par ailleurs inspiré de Brueghel qui percevait chaque tableau comme un ensemble de micro saynètes formant un tout plus uni. Le bouquet voisine avec deux panneaux d’une grande densité de matière et qu’on peine quelque peu à attribuer à la même main, « mapp », 2018, travaillés cette fois par creusement, entre peinture, gravure et sculpture.

Charles Hascoët, portrait de Robert Smith 2018 
Jean Claracq
J’ai par ailleurs noté un admirable portrait du chanteur de The Cure en aède des temps modernes, chargé de mélancolie, perdu dans une accumulation de stalagmites et de stalactites traitée dans une gamme contrastée et très travaillée de gris et de roses… sous le pinceau de Charles Hascoët (atelier Rielly). Par-delà ces réels coups de cœur, confirmations parfois puisque j’avais déjà remarqué le travail d’Alice Nadjarian lors de plusieurs portes ouvertes à l’ENSBA, de nombreuses pièces méritent le détour bien qu’il soit difficile d’y trouver un fil directeur tant est grande et personnelle la diversité des approches. Pêle-mêle, j’ai noté les amples dessins de Boris Kurdi, atelier P2F ; les toiles au réalisme déroutant de Jean Claracq, qui retravaillent les codes de la peinture classique en multipliant les mises en abîme et les références tout en s’ancrant dans la contemporanéité (atelier Eitel), chargées de matière et de temps, -temps du processus de création, matérialité d’un bas-relief- de Théodore Parizet tout en se faisant signe d’une grande simplicité à la surface (atelier Gauthier), énigmatiques, sans visage, de Xiaodong Liu, d’autant qu’il s’agit d’après les titres d’études pour des autoportraits (ateliers Eitel et Alberola), les aquarelles sur verre de Max Fouchy, entre monde céleste et minéral, « dried » 2018 (atelier Kawamata), les fresques, céramiques et sculptures de Mélissa Diallo, entre mémoires et recherches identitaires (ateliers Cayo et Janssens).

Sophie Rezard de Wouves, avis de tempête 2018 
Léonard Martin, échappée guère. Portrait du Dédale en Fichenchip 2017
Les installations austères de Léo Allègre (atelier Kawamata) ou d’Adrien Maes (atelier Ardnt), le « rituel » de Flavie L.T., 2017, qui se déploie comme une anagramme complexe à base de formes simples mais toutes polysémiques et interroge les forces qui animent l’homme de l’enfance à l’âge adulte (ateliers Rochette Tosani Arndt), « Playground » de Louise Gügi, 2017-2018, entre sculpture et performance (atelier Rochette), un ensemble intéressant et original de pièces, photographies et sculptures, d’Elsa Girondin, mêlant matériaux précaires, naturels pour partie (coquillages, sel, sable…) et formes simples, entre construction et vie organique (atelier Saulnier), les pièces sciemment accidentées de Cécile Serres (ateliers Bustamante et P2F), l’installation délicate de Léonard Martin, assemblage doucement incurvé de bois et de métal, inspiré de l’ « Ulysse » de Joyce et ponctué de vidéos, photographies et sons rapportés du voyage de l’artiste à Dublin (ateliers Boisrond Bouwens Pagès), l’avis de tempête de Sophie Rezard de Wouves, 2018 (atelier Saulnier), le travail vidéo perturbant de Pierre Pauze sur la thérapie génique (atelier Tatah). Les « objets photographiques » de Laure Tiberghien, qui explore les limites du médium (atelier Poitevin), ou celui de Chenxin Tang (atelier Tosani) sur la forêt de Fontainebleau, paysage chargé d’histoires, berceau du paysagisme au XIXe siècle, qu’il s’agit pour Tang de requalifier. L’essai à fresque « sans titre » est particulièrement réussi.

Clémence Roudil, les frontalières 2018 
Raphaël Tiberghien
Délecture, détissage… autres formes de relecture portées jusqu’à la déconstruction tout en alimentant une réflexion intéressante sur la création. Ainsi Clémence Roudil nous propose-t-elle ses « frontalières », 2018, travail de détissage réalisé au barbelé et donnant lieu à des paysages tourmentés, hostiles et abstraits (atelier P2F). Alexis Chrun, quant à lui, esquisse en trois temps représentant les trois âges de l’homme une relecture -un « dé-lire » volontiers délirant- de « l’oiseau dans l’espace » de Brancusi (ateliers Closky et Pagès). Enfin, dans « la poussière-partition », 2014, Raphaël Tiberghien semble prendre à rebours le langage traditionnel. La poussière est envisagée comme quelque chose qui gripperait la mécanique humaine, l’élocution, coupant, collant, fendant les mots comme jetés de façon hasardeuse sur la partition. Nait de cette perte de cohérence et de sens, de cette autre forme de « défaire », une densité, une matérialité, une poésie des mots tout à fait singulière quoique troublante (atelier Tosani).
https://slash-paris.com/critiques/100-beaux-arts
https://slash-paris.com/…/100-beaux-arts-cinquante…
















































