FIAC 2021

Giuseppe Penone, spine d’acacia contatto 23 aprile 2012_Konrad Fischer galerie

GRAND PALAIS EPHEMERE & JARDIN DES TUILERIES, Paris, 21-24 Octobre 2021

Si cette nouvelle édition m’a semblé plus marquée par des confirmations et le plaisir de voir ou revoir des œuvres de grande qualité, aux dépens des découvertes, elle m’a quoiqu’il en soit permis de passer un très agréable après-midi dans les allées du grand palais éphémère. Après l’annulation forcée de l’édition 2020 du fait de la pandémie, les galeristes comme les amateurs d’art semblaient manifestement ravis d’être de retour et l’atmosphère s’en ressentait : accueillante, détendue, ouverte, sans toutefois un trop grand nombre de visiteurs.

Dès l’entrée de la foire, un hommage de Thomas Bayrle (galerie Neugerriemschneider) à la cappella Brancacci de Masaccio et Masolino à Florence a déposé un sourire sur mes lèvres, tant j’ai toujours plaisir à songer aux œuvres puissantes et de toute beauté qui habitent les recoins de mon esprit. Certes, l’évocation du chef d’œuvre renaissant est lointaine, l’artiste s’inspire de trois scènes : Adam et Eve chassés du jardin d’Eden, la Guérison de l’informe et le Paiement du tribut qu’il transforme en usant de motifs jacquard répétés pour faire apparaître une image globale par impression monumentale. Certains motifs sont mis en valeur par des éléments peints à la main en couleur. Rendues abstraites, les représentations conservent une part de la charge émotionnelle des images originales tout en les recontextualisant et en accentuant leur caractère universel. Une autre œuvre (2018) s’inspire du st Matthieu et l’ange de Caravaggio à st Louis des français.

Autre clin d’œil à l’histoire de l’art : Capodimonte, de Wolfgang Tillmans –également présenté dans le cadre de la carte blanche à Imhof au Palais de Tokyo-, évoque le chef-d’œuvre du musée, la flagellation du Caravaggio tout en poursuivant sa réflexion sur la possibilité de créer des images dans un monde visuellement saturé et tout en sondant les limites du visible et en insufflant une certaine subjectivité par-delà une approche flirtant avec la photographie documentaire.  

On note comme à l’accoutumé à la FIAC quelques échos à l’actualité artistique, telles de remarquables pièces de Giuseppe Penone actuellement objet d’une exposition à la Bibliothèque nationale dont un remarquable tableau réalisé à partir d’épines d’acacia. De loin, la toile ressemble à un dessin délicat mais de près, les épines dressées, menaçantes, provoquent un mouvement de recul. Plusieurs toiles de Georg Baselitz, objet d’une rétrospective jusqu’en mars 2022 au Centre Pompidou, sont également présentes, ainsi que des pièces du belge Hans Op de Beeck, entre réel et fiction, telles que Lily, 2020, Galerie Krinzinger, Vienna, auteur d’une installation dans le cadre de « Napoléon ?encore ! », aux Invalides. Une nature morte sculptée inspirant tout à la fois, dans cette monochromie grise propre à l’artiste, une fragilité et une certaine morbidité, un sentiment de solitude augmenté par celui d’être figé dans le temps, la verticalité de l’œuvre soulignant sa vulnérabilité et évoquant l’élévation des fleurs vers le ciel.

Giorgio di Chirico_Nahmad contemporary

La galerie new-yorkaise Nahmad contemporary présente une surprenante série de paysages vénitiens des années 1950 de Giorgio de Chirico, d’un esprit néobaroque bien différent des paysages métaphysiques présentés au musée de l’Orangerie en 2020. Le peintre Virgilio Guidi dit des représentations de Venise de Chirico :

Tu apprécies [Venise] dans toute sa densité et même un peu sa puanteur. Ma Venise est un fantôme, la tienne est une prostituée lascive, laide mais encore très désirée.

La galerie berlinoise Esther Schipper propose un ensemble d’œuvres jouant avec nos perceptions : un bonhomme de glace de Parreno en train de fondre, des verres irisés d’Ann Veronica Janssens changeant au gré de la lumière et des déplacements du visiteur…L’œuvre de Parreno a été créée en 1995 pour une exposition en plein air dans le centre-ville d’Aoyama au Japon. Quotidiennement, une sculpture de glace représentant un bonhomme de neige était livrée dans un parc privé, fondait et était remplacée le lendemain. Une réinterprétation ultérieure de l’œuvre en fait une installation sonore, le son de gouttes d’eau résonnant depuis un haut parleur placé dans le socle de la sculpture tandis qu’elle laisse derrière elle, après avoir fondu, des pierres incrustées au départ dans la glace. Une déclinaison contemporaine du mythe du phénix.

La galerie Imane Fares présente une série de flacons en verre -non sans élégance de par la diversité de leurs formes- qui contient les résidus liquides de textes choisis par l’artiste James Webb constituant l’installation I do not live in this world alone, but in a thousand worlds (drams of Franz Kafka), 2019. Recopiés à l’encre noire sur du papier soluble puis dissouts dans de l’eau, ces textes sont présentés comme des remèdes philosophiques. Autre déclinaison à partir du langage et de l’écriture, les radical writings de l’allemande Irma Blank dépouillent les mots de leur sens habituel en associant écriture et dessin et se caractérisent par la prédominance de la couleur bleue, longtemps utilisée pour l’écriture manuscrite et incarnant l’harmonie.

La galerie David Zwirner présente un bel ensemble de petites toiles de Francis Alys ou de Lucas Arruda. Le premier développe une série caractérisée par sa division entre une scène de guerre en grisaille évoquant la poussière, les tons des uniformes des soldats et des tentes, en partie haute et une représentation abstraite aux « couleurs primaires de la guerre » (des beiges, des ocres, des oranges) en partie basse, d’une redoutable efficacité. La série a été réalisée en 2016 en Irak parallèlement au film Color Matching, lors de l’offensive de Mossoul contre l’Etat islamique.

Soulages, peinture 61 X 110cm 29 septembre 2018_Galerie Karsten Greve

J’ai relevé par ailleurs, ça et là, de superbes toiles de Soulages dont plusieurs outrenoirs d’une grande beauté, particulièrement la peinture 61 X 110 cm du 29 septembre 2018 présentée par la Galerie Karsten Greve ainsi que des toiles plus anciennes dont un brou de noix de 1948 (Galerie Zlotowski), un superbe tigre de Yan Pei-Ming dans une gamme détonante de roses violacés, 2017 (galerie Ropac), une belle série photographique de Mitch Epstein, 36 New York city clouds, 2015, galerie Zander, élément fugace que le photographe oppose au hiératisme moderne de l’architecture et qui interroge plus fondamentalement le rapport de l’homme à la nature et son appropriation, le noir et blanc accentuant la puissance formelle de son sujet ; plusieurs remarquables pièces de Monica Bonvicini dont to live (Cosey beach), 2020, qui explore avec force et un emploi efficace du langage, les liens entre le genre et l’architecture ; un bel ensemble de William Kentridge, Lekkerbreek, 2013, galerie Marian Goodman etc.

Le parcours hors les murs ne m’a pas semblé convainquant. Des œuvres discrètes et sans grande qualité esthétique, à quelques exceptions près telles que la tumbling woman, 2002, d’Eric Fischl, qui représente une femme en pleine chute incarnant la vulnérabilité de l’homme et dont la forme s’inspire de La Rivière de Maillol, également présente dans le jardin des Tuileries ;

Empty, de l’artiste ivoirien Jems Koko Bi, qui place dans l’allée centrale du jardin une embarcation en bois pleine de personnages sombres, en bois brûlé, sans visages, en équilibre précaire évoquant les exilés d’hier, les migrants d’aujourd’hui ; Standtune, très belle pièce de bois du lituanien Augustas Serapinas, renvoie aux clôtures suédoises homonymes ou encore les empreintes coulées dans le bronze de dinosaures, d’Angelika Markul (Goolaraboolo, 2021).

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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