CARROUSEL DU LOUVRE, Paris, 8-11 novembre 2018

Tout comme Paris Photo, Fotover ménage une belle place à la photographie japonaise cette année, sans doute en raison de « Japonismes 2018 », commémoration, côté français, du 160e anniversaire du 1er traité franco-japonais, côté japonais, du 150e anniversaire de la restauration de Meiji en 1868. La gallery Suchi présente plusieurs photographies de la série « Journey under the midnight sun » de Kohei Koyama. Ce-dernier développe une technique bien spécifique, se réappropriant la technique du montage de films analogiques pour en tirer des épreuves photographiques. Ses paysages, nés de la superposition de plusieurs images, travail long et minutieux, produisent un effet d’irréel, sans possibilité d’identifier un lieu et un moment précis.

Kohei Koyama, journey under the midnight sun_gallery Suchi 
Tatsunori Ehira_Kichijoji gallery
La Kichijoji gallery expose une remarquable série en noir et blanc de Tatsunori Ehira, marquée par le tremblement de terre du 11 mars 2011 dans l’Est du Japon qui a été suivi par un tsunami et l’incident nucléaire de Fukushima, la terre de la belle famille de l’artiste, tout en étant chargée d’une certaine spiritualité. « While feeling a sense of incompatibility with what was different from before, I cherished that keeping my hometown safe, I thought that it was necessary to continue photographing the appearance which cultivated this ground in the future and lived”. La même galerie propose des photographies de la série “Wall looking intently”, d’Akikami Kanda, un travail assez saisissant sur la limite :« I stand on the wall, stare at the border, and I become to realize the emergence of peculiar scenery that is created due a place called dam that came into existence”.
La Ginza Gallery G2 présente le travail quelque peu déroutant quoique poétique du japonais Kazz Morishita, qui use de techniques traditionnelles et numériques pour capturer la nature. Toujours du côté de la photographique asiatique, j’ai également noté le remarquable travail de la photographe d’origine chinoise Na-Loretta Law, qui travaille exclusivement avec un objectif 50 mm lequel semble nous immerger plus directement dans l’image, ce qu’accentue le recours au format carré qui concentre l’image. Une suite de détails relevant de l’univers musical qui participe de l’intimité de l’artiste mais se révèlent dans un mystère, dans un mouvement, un geste -des doigts sur un clavier, un archer caressant les cordes d’un instrument-, que la lumière imprègne certes, mais sans les préciser, un certain flouté entretenant la magie et l’évocation d’un univers mental, celui de la musique et sa capacité à pénétrer profondément l’esprit et le corps. Ou encore la série de Li Yang, photographe chinois né dans une ville du désert de Gobi appelée 404 et disparue, sans existence, s’agissant d’une base de recherche nucléaire. Il s’efforce de capturer le paradoxe entre des lieux abandonnés et pourtant chargés, pour lui, de mémoire.

La photographie italienne a également amplement retenu mon attention avec de très belles propositions, notamment de la galerie milanaise Spaziofarini6. Beba Stoppani y expose ainsi un bel ensemble de photographies, « la planète perdue », mettant en évidence tout à la fois la beauté de la nature et ses blessures liées au réchauffement climatique. Un travail tout à la fois précis et déroutant, sur les sables du Mexique. Un regard, métaphorique et allusif, sur la matière qu’une grande maîtrise technique fait paraître comme en relief. Beba développe une recherche artistique axée sur le paysage dont elle s’efforce de révéler la beauté tout en conservant la rigueur formelle héritée de son regard de photographe professionnelle d’architecture et design. La série « forme nello spazio », de Lia Stein, présentée par la même galerie, témoigne d’un même émerveillement à l’égard de la nature et ses beautés chargées de mystère. Des images déroutantes par-delà leur économie apparente, comme étrangères et qui se révèlent pourtant de simples parois de marbre. Un travail sur la matérialité, la vacuité, la lumière, mêlant poésie et rigueur de composition.
L’intenzione è quella di andare oltre l’immediatezza della visione immediata per cogliere in una parete, in un’ombra, in un inseguirsi di volumi il rapporto un po’ misterioso che lega le forme allo spazio. […] Lia Stein ci ricorda così quanto sia difficile stabilire di primo acchito la differenza fra i diversi gradi di realtà ma anche quanto sia piacevole confonderli e lasciare che lo sguardo un poco si perda inseguendo le forme nello spazio.
Roberto Mutti
Spaziofarini6 présente également de remarquables photographies d’architecture d’Antonella Sacconi qui privilégie un noir et blanc très contrasté, dense, tridimensionnel, afin de mettre l’accent sur les lignes, la structure et la forme architecturales, les jeux de pleins et de vides qui révèlent la plasticité et la matérialité d’un édifice, plutôt que sur les variations chromatiques. Un travail sensible et raffiné.
Mi interessa che l’occhio di chi guarda la foto si concentri solo sulle nude forme di un edificio: è solo così che si può conoscerne la sua intima essenza grafica, la sua nascosta anima geometrica […] Voglio spogliare infatti l’architettura per rivestirla soltanto della sua struttura.
https://www.antonellasacconi.it/copia-di-press-1
Entre Paris et Rome, la série photographique de Marshall Vernet (Spaziofarini6, « a roam through Rome…and Paris ») retient immédiatement l’œil par son aspect dessiné voire cinématographique, mêlant à la fois la densité de noirs du fusain -densité obtenue par une longue maturation de l’image et qu’accentue le choix d’un tirage sur papier de coton- et la narrativité de l’image cinématographique, dont se dégage une force sombre voire dramatique. Des images tout à la fois mélancoliques, expressives et solennelles, chargées d’histoire malgré la quotidienneté qui les imprègnent, théâtralisées par la lumière.
https://www.galerie-photo12.com/FR/artist/marshall-vernet…
Loredana Celano (Galleria Spaziofarini6) propose plusieurs photographies de la série « una radice a spasso », focalisation en macrophotographie sur une racine de vigne métaphore de la vie qui parvient à prendre naissance dans les lieux les plus hostiles, tels qu’un mur délabré, et donne lieu, par le jeu du vent, à des formes en perpétuel mouvement et d’une étonnante diversité. La Burning Giraffe art gallery de Turin expose les impressionnants “nightscapes” d’Ugo Ricciardi. Des paysages nocturnes suggestifs et poétiques résultant de longs temps d’exposition, où le silence de lieux chargés de sacralité est perturbé par la présence d’une lumière qui en accentue la beauté et d’où il émane une dimension onirique et mystique. Pas de trucages dans ces photographies mais le recours à des sources de lumières artificielles donnant au paysage un aspect irréel, exaltant la beauté de la nature et d’une architecture comme née de l’harmonie entre l’humain et le divin.
http://www.ugoricciardi.it/art/press/
Très différent mais explorant également le nocturne, se situent les « attractions nocturnes » de Nicolas Auvray, des photographies en noir et blanc de grand format, dégageant des atmosphères propices au rêve, à la métaphore, au fantasme. D’une grande singularité s’affirme le travail photographique de l’apnéiste Sidney Regis. Un travail produit intégralement sous l’eau, dont le photographe révèle l’insoupçonnée beauté, et qu’il révèle ensuite sur papier japonais parfois immergé, froissé, cristallisé, retravaillé au pinceau. Le résultat est paradoxalement abstrait et aucunement truqué. Les couleurs, d’une grande vivacité ou d’une remarquable délicatesse, naissent de la technique de prise de vue. Les objets, méconnaissables du fait de l’environnement instable qui les entoure, dégagent un effet d’irréel, qu’il s’agisse de détritus ou de flore aquatique.
L’eau est le moyen de transformation qu’il considère comme le protagoniste de son travail […]. Détritus naturels et artificiels suspendus sont sublimés en formes abstraites éblouissantes, matérialisations de la lumière réfractée. L’eau mouvante qui anime ces images illustre l’essence de la couleur elle-même.
Akili Tommasino
Et par-delà l’eau, une exploration, selon Régis, de l’homme et son rapport à la nature. Les paysages photographiques de Peter Mathis (Galerie Stp) proposent une vision sombre et inquiétante de la nature, bien que tout à fait authentique. Le photographe se refuse de fait à tout effet artificiel (apport de lumière ou de mouvement par ordinateur), préférant capturer la nature éphémère du moment. Une grande maîtrise de la composition, de la lumière, du contraste, permet toutefois de transcender la simple reproduction du réel et de donner à voir comme un au-delà de l’image.
https://www.mathis-photographs.at/
La galerie 55 Bellechasse présente une belle exposition monographique consacrée à Niloufar Banisadr, particulièrement les séries « hymen », 2017, qui pose la question, à partir de vues de bâches minutieusement choisies, de la femme-objet et « empreinte », 2010, mur de serviettes de couleurs et de textures variées évoquant paradoxalement les corps absents qu’elles sont censées envelopper, dissimuler ou libérer, ainsi que d’intéressants portraits de Didier Gaillard. La galerie Goutal présente à nouveau -comme à la YIA 2018- les fascinantes « atmosphères » de Pierre Vogel, réalisées à partir d’un matériau choisi pour sa fragilité et sa souplesse : le papier, que l’artiste altère, découpe, teint, superpose et sur lequel il fait jouer la lumière pour en garder enfin la trace par la photographie. Il en nait des paysages abstraits d’une grande délicatesse, dominés par l’horizontalité.
Tandis que Courcelles art contemporain propose de nouvelles séries de Vincent Descotils remarqué lors du précédent Fotofever (https://www.facebook.com/instantartistique/posts/526789390988146?__tn__=K-R). La gallery Photon, dont la sélection était déjà remarquable l’an dernier, présente une admirable série du photographe française d’origine slovène Klavdij Sluban qui développe depuis des années un travail auprès de jeunes détenus. Un travail d’une grande rigueur, caractérisé par des noirs profonds, des silhouettes à contre-jour comme sortant de l’ombre, une façon très personnelle de sonder des espaces clos ou contraints et de les transformer par la lumière et de violents contrastes.
A noter également les séries « Points of view » et « Shadow Secrets » de Maureen Haldeman, deux approches différentes du rapport entre ombre et lumière, l’une se focalisant sur les ombres produites par des objets, images du monde matériel, l’autre explorant l’ombre et la lumière sans origine identifiée, comme métaphores de l’immatériel, du rêve, de la mémoire, de la condition humaine. Les deux définissant ce que nous voyons et ce que nous ressentons.



























