Firenze…retour à la peinture…
Il est toujours quelque peu surprenant de constater combien, malgré la richesse des musées italiens, nombre de chefs-d’œuvre parsèment toujours les moindres recoins : une petite chapelle d’église, une cellule de couvent, une arcade de cloître… : la période de la Révolution et de l’Empire, si elle a bien concerné l’Italie (ce que nous rappelle le décor Empire de la salle de bain de Napoléon au Palazzo Pitti), n’a pas conduit à la même saisie des biens des nobles et de l’Eglise ni à la même sécularisation de nombre d’édifices religieux. Il est toujours fréquent de pénétrer dans une église à Firenze en pleine cérémonie religieuse…
La Chiesa santa Maria Novella, église fondée par les dominicains au XIIIe siècle, se démarque tout d’abord par une étonnante façade de marbres blanc et vert dessinée par Leon Battista Alberti, la seule façade de cette échelle à avoir été réalisée à la Renaissance. Alberti s’inspire tout à la fois de l’église romane de San Miniato al Monte et d’un temple antique à pilastres surmonté d’un fronton, et parvient concilier les deux (portique de temple -comme au « Tempio Malatestiana » de Rimini- et plan basilical) en proposant deux niveaux d’élévation, chacun doté d’un ordre propre, ajoutant par ailleurs de grandes volutes pour unir l’étage supérieur, plus étroit, et l’étage inférieur, tout en masquant la toiture des bas-côtés, de même qu’il use d’arcades aveugles pour intégrer des niches de tombes gothiques préexistantes. La façade albertienne n’est toutefois pas le seul élément architectural remarquable de cette église, beaucoup plus étendue qu’il n’y paraît de l’extérieur. C’est en effet une incroyable succession de cloîtres arcadés, ornés à fresques et arborés, que l’on découvre derrière les murs, ainsi que le superbe réfectoire –une salle hypostyle d’une incroyable pureté géométrique – construit au milieu du XIVe siècle par Fra Iacopo Talenti.
Lippi, Filippino, capella di Filippo Strozzi_Santa Maria Novella, Firenze_13 juin 2019 Masaccio, Trinità, 1425 28_Santa Maria Novella, Firenze, juin 2019
Du côté des fresques extérieures, se distingue l’intervention de Paolo Uccello sur les murs du Chiostro verde (dénommé ainsi en raison du pigment utilisé) : des fresques partiellement détachées et restaurées représentant la Création, le Déluge etc. Des figures dépeintes d’une incroyable monumentalité, dont la présence physique, la géométrisation, ne sont pas sans évoquer Piero della Francesca.L’église abrite par ailleurs, outre la magistrale « Trinità » de Masaccio, « la Natività » de Botticelli et de majestueux Crucifix de Brunelleschi et Giotto (un autre Crucifix de l’artiste se trouve à la Chiesa d’Ognissanti, ainsi que d’admirables fresques de Taddeo Gaddi), un admirable ensemble de fresques réalisé par Filippino Lippi entre 1487 et 1502, capella Strozzi, et consacré à la vie des apôtres Philippe et Jean (la crucifixion de st Philippe, st Philippe chassant le dragon du temple de Hieropolis, st Jean l’évangéliste ressuscitant Drusienne…). L’artiste opte pour des scènes beaucoup plus amples qu’à la capella Brancacci et rompt avec l’équilibre antérieur, les perspectives mesurées, les rythmes classiques, au profit d’un élan dramatique nouveau, reflétant l’incertitude spirituelle de l’époque : expressivité des gestes et des visages, irréalité des couleurs dont l’éclat s’affirme d’autant plus que certains pans de la chapelle sont traités en grisaille, architecture éclectique et excentrique. L’artiste annonce le caprice architectural à venir –mêlant édifices contemporains et antiques, réels et imaginaires- dans la scène de la résurrection de Drusienne tandis que l’autel de St Philippe chassant le dragon a la fantaisie imaginative des édifices éphémères de l’époque. On relève par ailleurs, comme à la Capella Brancacci, quelques portraits de toute beauté, insertion de la Florence contemporaine de l’artiste et ainsi d’une certaine crédibilité –selon Alberti- dans les scènes religieuses.
L’église accueille par ailleurs des fresques de Dominico Ghirlandaio (Capella Tornabuoni, 1486-90), tout un cycle sur la vie de saint Jean-Baptiste (saint patron de Tornabuoni ; naissance, Visitation, Prédication, Baptême du Christ, Banquet d’Hérode etc.) et la vie de la Vierge (Naissance avec la rencontre d’Anne et Joachim au haut de l’escalier, présentation au temple, adoration des mages, massacre des Innocents, Dormition et Assomption …). Les fresques comprennent quelques morceaux d’anthologie tels que la merveilleuse porteuse de corbeille qui pénètre dans la chambre de la naissance de st Jean-Baptiste chargée d’une sublime nature morte (nymphe Warburg, une jeune femme aux formes dessinées par un drapé remarquablement animé, exprimant le mouvement) et sont elles aussi ponctuées de portraits contemporains (Ficin, Politien, le donateur et sa femme…). Elles témoignent par ailleurs d’une incroyable maîtrise de la perspective, l’artiste ayant tenu compte de la distance à laquelle on perçoit les scènes (le palais d’Hérode est ainsi représenté en forte contre-plongée), tandis que les architectures peintes s’harmonisent parfaitement avec le cadre architectural de la chapelle, tout en créant un cadre stable pour le récit.
Andrea del Castagno, santa trinità, 1453-54 Andrea del Sarto, madonna del sacco, 1525
C’est à nouveau à Domenico Girlandaio qu’il est fait appel pour décorer la Capella Sassetti (basilica di Santa Trinità, 1483-85). Le cycle est dédié à la vie de saint François d’Assise (Renoncement aux biens du monde, Confirmation de la règle, Stigmatisation, Epreuve du feu, Mort, Miracle de l’enfant…). L’artiste s’inspire certes du Giotto de la « capella Bardi » à santa Croce mais on relève de nouvelles influences : insertion de paysages toscans identifiables (église santa Trinità, palazzo Vecchio…), intégration de portraits contemporains assez réalistes (Lorenzo de’ Medici, Sassetti…), monumentalité et expressivité des personnages (Masaccio), détails antiquisants (grisailles…). Par ailleurs, le tableau d’autel, point focal du décor représentant une adoration des bergers, témoigne à l’évidence de l’impact de la peinture flamande et notamment du « triptyque Portinari » de van der Goes (Offices), dont il reprend la disposition des figures des donateurs, priants, de part et d’autre du retable, sans plus de recours à des saints d’intercesseurs.
Enfin, pour finir avec ce coup de projecteur sur quelques admirables décors florentins de la Renaissance, on peut noter les fresques d’Andrea del Castagno alla Santissima Annunziata, basilique reconstruite par Michelozzo qui transforme une ancienne église gothique à trois nefs en une vaste nef dotée de chapelles absidiales arcadées, ponctuées de pilastres et couvertes de fresques, ainsi que d’un chœur au plan centré, à l’antique. La « Sainte Trinité avec st Jérôme et deux saints « (1453, del Castagno), est tout à fait époustouflante par son réalisme cru. L’artiste délaisse la monumentalité de ses débuts, au profit d’une vérité psychologique manifeste dans son ascétique st Jérôme que surmonte la Trinité en raccourci. L’artiste ne cherche aucunement à idéaliser son sujet : il représente le corps et les traits d’un vieillard, tout comme le sang qui coule de ses plaies.
A noter également la « Madonna del Sacco » (1525) parmi les nombreuses fresques de l’un des cloîtres, considérée comme l’un des derniers chefs-d’œuvre classiques d’Andrea del Sarto, lequel a pleinement assimilé l’apport michelangelesque à la Sixtine. Cette représentation du repos pendant la fuite en Egypte se caractérise par son équilibre et son élégance tout à fait remarquables. Tandis que Joseph lit, le coude appuyé sur un confortable traversin, tourné vers Marie, celle-ci, seule à nous faire face, l’enfant agrippé à ses jupes aux volumes sculpturaux, constitue une solide pyramide inscrite harmonieusement dans le demi-cercle de la lunette. Le groupe repose sur les marches d’un édifice dont les pilastres et le mur nu encadrent fermement la composition.