Füssli, un peintre emblématique du Sublime

Fussli, Illustrations d’Oberon de Wieland_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

Musée Jacquemart-André, PARIS, 16 septembre 2022-23 janvier 2023

L’expression est l’image vivante de la passion qui affecte l’esprit ; elle en est le langage et en dépeint la situation. Elle anime les traits, les attitudes et les gestes que l’invention a sélectionnés et la composition disposés ; ses principes, comme les leurs, sont la simplicité, la justesse, et l’énergie. 

Johann Heinrich Füssli, conférences sur la peinture. Beaux-arts de Paris éditions, 2016

En dépit de l’absence de quelques chefs-d’œuvre tels que le premier « Cauchemar », peint en 1781 et conservé à Detroit, « Silence » (1799-1801) du Kunsthaus de Zurich –ou encore de la section consacrée à « la femme au cœur de l’œuvre » qui semble davantage répondre à une tendance actuelle des plus problématiques à ne considérer l’art qu’au filtre du genre de son auteur qu’à un trait    affirmé de l’œuvre de Füssli-, le musée Jacquemart-André présente une remarquable sélection d’œuvres du peintre britannique d’origine suisse Johann Heinrich Füssli et il était grand temps ! En dehors de quelques apparitions dans le cadre d’expositions collectives telles que l’Allemagne romantique (Petit Palais, 2019) ou l’Ange du bizarre (Orsay, 2013), l’œuvre de Füssli n’a pas fait l’objet d’une véritable exposition à Paris depuis 1975 !

Füssli, Thor luttant contre le serpent Midgard, 1790_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

Au fil d’un parcours thématique qui débute avec la représentation du théâtre shakespearien (Romeo et Juliette, Macbeth, Hamlet), se poursuit par celle des récits mythologiques (Homère et la mythologie nordique) et bibliques, pour se clore magistralement par les thèmes du cauchemar, du rêve et des apparitions, l’exposition met pleinement en exergue la singularité précoce de l’artiste, des caractéristiques propres au romantisme tels que le recours à des « mythologies nationales » (telles que la mythologie islandaise évoquée dans « Thor luttant contre le serpent Midgard », morceau de réception de Füssli, 1790) et des sources littéraires renouvelées, -au premier chef desquels Shakespeare et Dante -, ainsi que l’influence manifeste dans son œuvre, tant de Michel-Ange, dont la puissance des compositions l’a fortement impressionné lors d’un long voyage de formation en Italie, que du théâtre.

De fait, Füssli fréquente régulièrement les salles londoniennes et le parallèle entre une aquarelle de 1766-68 dépeignant les acteurs Garrick et Pritchard en train de jouer les rôles de Macbeth et Lady Macbeth, réalisée après une représentation à laquelle a assisté l’artiste à Londres et l’époustouflante toile de 1812 de la Tate Britain représentant « Lady Macbeth [horrifiée de constater que son époux détient encore les armes de son crime] saisissant les poignards » témoigne magistralement de l’influence de la scène sur le peintre, perceptible dans l’intensité émotionnelle, le caractère dramatique traduit par les jeux de clair-obscur, la reprise de mises en scène ou de jeux d’acteurs contemporains. Dans l’œuvre de la Tate Britain, sans doute contemporaine d’une toile de Zoffany sur le même thème, l’allusion à la scène est toutefois limitée à la présence du rideau, les figures sont fantomatiques, le peintre opposant puissamment l’effroi de Macbeth, qui brandit les poignards ensanglantés, à la détermination de sa femme sensible dans une gestuelle énergique, tout en traduisant magistralement l’immédiateté et l’urgence de la situation.

Füssli, Lady Macbeth somnambule, 1784_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

L’exposition s’ouvre ainsi avec plusieurs toiles d’une grande originalité illustrant principalement des drames shakespeariens. On se trouve rapidement confronté à l’une des rares toiles de Füssli conservée au Louvre, « Lady Macbeth somnambule », peinte en 1784, qui représente la dernière apparition de Lady Macbeth sur scène, lorsqu’après avoir convaincu son époux de tuer le roi, elle sombre dans la folie et se suicide. Une toile d’une remarquable puissance dramatique, au cadrage resserré sur une Lady Macbeth monumentale et hagarde, surgissant de l’obscurité, le corps saisi en plein mouvement et éclairé par une torche dont la flamme fait écho à sa chevelure rousse désordonnée, le visage aux yeux écarquillés magnifié par un clair-obscur caravagesque.

Peinte l’année précédente et également inspirée par Shakespeare, la toile dépeignant « les trois sorcières » qui prédisent à Macbeth qu’il deviendra roi d’Ecosse, symboles du surnaturel, de la fatalité et d’une féminité démoniaque, se révèle tout aussi saisissante, trois visages laids et inquiétants surgissant de l’ombre, encapuchonnés, s’échelonnant l’un derrière l’autre, de profil, le doigt pointé dans un geste expressif, rappelant une étude de têtes de profil exposée dans la même salle, -variations sur l’expression de la surprise sinon de l’épouvante-, qui n’en est pourtant pas le dessin préparatoire.

Füssli, Hamlet et le spectre de son père, 1793_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

D’autres pièces, telles qu’Hamlet ou Roméo et Juliette, inspirent d’autres toiles remarquables. En 1793, Füssli représente Hamlet en présence du spectre de son père et construit sa composition sur l’opposition entre la sobriété du décor et l’effroi –amplifié par la diagonale marquée sur laquelle s’ordonnent les trois protagonistes (Gertrude, la mère de Hamlet, épouvantée quoiqu’elle ne voie pas l’apparition, Hamlet et le spectre), le traitement de la lumière, qui saisit le protagoniste dépeint de face, le corps en mouvement de recul, les yeux écarquillés, les cheveux dressés sur la tête, face au fantôme paternel, immobile et imposant dans son armure, représenté de profil à l’extrême droite de la scène.

Füssli, Romeo & Juliette, 1809_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

Le couple maudit se détache quant à lui, dans une œuvre de 1809, frappé d’une lumière blanche, sur un fond sombre, Roméo présenté de dos, agenouillé auprès du corps de sa bien-aimée dont il soulève la tête déjà blafarde d’une main pour lui donner un dernier baiser, l’autre soulevant son linceul tel un rideau théâtral. Füssli saisit ainsi, dans une composition équilibrée, une scène d’amour des plus émouvantes, juste avant le suicide du héros.  

Quoique son Enfer tout particulièrement ait inspiré plusieurs œuvres à Füssli (telles que « Paolo et Francesca », 1785, « Dante et Virgile sur les glaces du Cocythe », 1774 ou encore « Dante dans son cabinet de travail »- 1778-79), Dante n’est présent dans l’exposition que par le superbe dessin réalisé avant 1818, en préparation d’une gravure et d’une toile perdue, qui représente une scène du deuxième cercle de l’Enfer, « Paolo et Francesca dans un tourbillon » en compagnie d’autres pécheurs charnels, sous le regard du poète représenté à deux reprises (regardant les amants et évanoui au sol, la vue du couple lui inspirant une vive compassion et déchirant son âme). S’il accentuera la présence du tourbillon de pécheurs et l’isolement du couple de Paolo et Francesca dans l’une de ses compositions visionnaires, Blake s’inspire probablement de la création de Füssli dans son « cercle des luxurieux » (1824-27).

L’audace stylistique de Füssli se retrouve dans le traitement de sujets plus classiques tels que « la Mort de Didon », 1781, inspirée de l’Eneide de Virgile mais non sans évoquer certaines Trinités. Si l’artiste crée cette œuvre pour la voir confrontée à celle de Joshua Reynolds, président de la Royal Academy qui l’encouragea à ses débuts et lui conseilla de faire le voyage d’Italie, sur le même thème, à la Royal Academy, la représentation du suicide de Didon abandonnée par Enée et plus précisément le moment où l’âme de Didon, emprisonnée dans ses cheveux, va être délivrée par Iris, -envoyée de Junon qui tranche sa chevelure-, se révèle plus théâtrale, sensuelle et tragique, l’artiste amplifiant la gestuelle des protagonistes.

Füssli, qui a appris le latin et le grec pendant ses études de théologie au collegium carolinum de Zurich et découvert l’œuvre d’Homère (de même que celle de Dante, Shakespeare ou Milton) grâce à son mentor l’académicien et historien Johann Jakob Bodmer avec lequel il partagera la même conviction quant à l’importance de la liberté de l’imagination, représente également des scènes homériques, particulièrement dans des dessins tels que le fascinant « Achille saisit l’ombre de Patrocle », 1810, qui n’est pas sans évoquer, par le choix d’une composition en frise des plus dépouillée telle que celle des sarcophages antiques, les œuvres néoclassiques de Flaxman voire certaines aquarelles de Blake. Achille est représenté de dos, les bras tendus pour saisir l’ombre de son ami. Les deux protagonistes, aux corps musclés et idéalisés, se regardent. Füssli accentue l’aspect dramatique par la présence d’un vaste rideau tendu sur la gauche.

Füssli, Achille saisit l’ombre de Patrocle, 1810_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

Travaillant souvent de manière sérielle, l’artiste a proposé une autre version du même thème où se ressent particulièrement l’impact des antiques et de Michel-Ange qu’il a pu étudier de près pendant son séjour romain (1770-78). La scène représente Achille endormi sur le rivage tandis que l’ombre de son ami Patrocle, mort pendant la guerre de Troie, lui apparaît pour lui demander de l’enterrer rapidement et lui annoncer sa mort prochaine. Achille se réveille et tente d’attraper l’esprit qui se dissipe. Sa posture, le corps contorsionné à l’anatomie étudiée, reprend celle de l’Adam du plafond de la Sixtine et unit le corps du héros et l’âme de son ami dans une courbe expressive à mille lieues du néo-classicisme alors dominant. On peut également relever, d’après l’Odyssée, une toile de 1805-1810 où Ulysse, naufragé, représenté tout en muscles, de dos, à l’instar d’un dieu-fleuve michelangélesque, reçoit le voile sacré d’Inô-Leucothéa qui le sauve de la noyade.

C’est à Michel-Ange, me semble-t-il, que l’art moderne est redevable de l’ampleur, cette qualité d’exécution qui donne à l’ensemble une telle prééminence sur les parties qu’elle éveille une idée d’unité ininterrompue au sein de la plus grande variété. L’ampleur de Michel-Ange ressemble au flux et au reflux d’une mer puissante ; les vagues s’approchent, arrivent, se retirent, mais dans leur mouvement ascendant et descendant, émergeant ou englouties, nous n’en gardons que l’image de la puissance qui les soulève, qui les dirige.

Johann Heinrich Füssli, conférences sur la peinture. Beaux-arts de Paris éditions, 2016
Füssli, l’expulsion du Paradis (détail)_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

Quoique né dans une famille d’artistes, notamment d’un père portraitiste et adepte du néo-classicisme (Füssli traduira d’ailleurs en anglais, en 1765, les réflexions sur l’imitation des œuvres grecques…de Winckelmann) qui l’initie à l’histoire de l’art, Füssli est initialement destiné à la religion et ordonné pasteur zwinglien en 1761. Il s’inspire bien entendu de la Bible, de ses connaissances religieuses et plus encore de la lecture du poème épique de John Milton, le Paradis perdu, dans son art, tout en insistant sur le caractère surnaturel du Divin. En témoigne « l’expulsion du paradis », 1802, centrée sur trois personnages saisis dans une lumière dramatique, Eve anéanti, se cache les yeux, Adam se tourne vers l’archange Michel qui tient une épée enflammée, rejetant ainsi le premier couple hors du paradis.

Füssli, la vision de st Jean et du candélabre à sept branches 1796 (détail)_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

Plus stupéfiante encore se révèle la « vision de st Jean et du candélabre à sept branches » de 1796, -thème rarement représenté, sinon dans une gravure de Dürer de 1498, issu du livre de la Révélation où st Jean aurait eu la vision du Christ debout entouré de sept chandeliers en or interprétés comme les sept étoiles des sept églises- qui dépeint le jeune saint Jean à terre, replié sur lui-même, les yeux clos, tandis que sa vision surgit, aussi monumentale qu’une statue, nimbée d’une lumière froide accentuée par la blancheur de sa robe, adoptant une gestuelle impérieuse et dramatique.

Füssli, la sorcière de la nuit rendant visite aux sorcières de Laponie, 1796_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

Quant à « la sorcière de la nuit rendant visite aux sorcières de Laponie » de 1799, évocation du péché également issue du poème miltonien qui n’est pas sans rappeler l’œuvre cauchemardesque d’un Goya lui-même marqué par l’œuvre de Füssli (dont le Cauchemar inspire probablement une œuvre telle que « Le sommeil de la raison engendre des monstres »), elle représente la sorcière de la nuit, cavalier fantomatique flanqué d’une meute de chiens, dans un halo de lumière, interrompant le rituel satanique de sorcières, notamment le sacrifice d’un nouveau-né au premier plan.

Füssli, le roi du Feu apparait au comte Albert, 1801-10 (détail)_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

Le théâtre et la littérature se révèlent de fait l’une des sources premières d’inspiration de cet artiste intellectuel, sincèrement passionné par l’histoire théâtrale et littéraire, connaisseur des Lumières et de Lavater –auteur d’un essai sur la physiognomonie dont Füssli illustre l’édition française en 1781-, à l’imaginaire très personnel et distant des règles académiques en dépit de son statut de membre associé dès 1788 puis d’académicien, qui illustrera également des textes plus confidentiels et/ou plus contemporains tels que le poème épique Oberon de Christoph Martin Wieland ou l’œuvre de Walter Scott. Une toile du Victoria & Albert Museum, « le Roi du Feu apparaît au comte Albert », 1801-1810, illustre ainsi la première œuvre de Walter Scott, The Fire King, parue en 1801, qui se déroule au temps des croisades.

Füssli n’en est pas moins principalement connu comme peintre du fantastique, du monstrueux, du cauchemardesque, démarche atypique relevant tout à la fois de son intérêt pour le surnaturel et d’un désir de provoquer ses contemporains, dont le chef- d’oeuvre incontestable, d’emblée à l’origine de sa notoriété, est « le Cauchemar ». En dépit de l’absence de ses versions les plus connues, « le Cauchemar » est représenté par des toiles de 1782 et 1810 ainsi que la déclinaison proposée en 1800 par un grand contemporain et ami de l’artiste, Nicolai Abraham Abildgaard ou encore une toile au thème voisin : « l’incube s’envolant laissant deux jeunes femmes », 1780, qui dépeint le moment qui succède au cauchemar, tandis que la victime se réveille, hagarde et angoissée, alors qu’un diablotin s’enfuit par la fenêtre et que sa compagne, encore endormie, témoigne de l’intérêt de Füssli pour le passage entre le conscient et l’inconscient.

A la différence des œuvres évoquées jusqu’ici, « le Cauchemar » est une création pure de l’artiste, sans source littéraire directe, dont la force perturbante réside notamment dans son ambiguïté, son érotisme manifeste, sa rupture avec les catégories picturales traditionnelles (il ne s’agit ni d’un portrait, ni d’une allégorie, ni d’une peinture d’histoire).

Dans la version initiale (Detroit,1781), malheureusement absente de l’exposition-comme dans les deux versions ultérieures présentées-, une jeune femme est étendue- dans la pose de la Diane endormie antique, le bras replié derrière la nuque-, inconsciente sinon morte à en croire la pâleur de son teint qui rompt avec l’obscurité ambiante de la chambre où les bruns et les rouges sombres quelque peu infernaux dominent, sur un lit désordonné, vêtue d’une robe d’une blancheur virginale, victime d’un monstrueux cauchemar. Elle ne voit pas les démons qui la visitent : une créature démoniaque, sorte d’incube, assise sur son ventre, un cheval aux yeux exorbités, qui observe cette scène terrifiante à travers de lourds rideaux.

Selon les interprétations, c’est le cheval ou le « lutin » qui chevauche la jeune femme qui incarnerait le cauchemar. Dans les croyances médiévales, ce-dernier renvoie à des morts, souvent accompagnés de chevaux surnaturels, revenant écraser leur victime : il ne s’agit donc pas seulement de mauvais rêves. Par ailleurs, en anglais, étymologiquement le terme nightmare signifie « jument de la nuit » et le cheval est un ancien symbole de sexualité et le messager de la mort. La présence au dos du tableau de 1781 du portrait d’une femme dont était vainement épris l’artiste suggère toutefois une autre lecture selon laquelle s’exprimeraient ici une frustration sexuelle, des désirs inassouvis, le démon et le cheval symbolisant virilité et érotisme, le cauchemar s’assimilant alors à un coït avec le diable….

Füssli, The Nightmare, 1790-91, Francfort (hors exposition)

Certaines mythologies évoquent quant à elles un esprit (« mara »), dont le cheval serait la monture, qui visite les femmes endormies et les étouffent. Dans la version de Francfort, 1790-91, non exposée, l’artiste accentue la déformation du corps de la jeune femme, la poitrine et la tête à la renverse, pour exprimer l’oppression qu’elle subit de la part de la créature démoniaque.

Enfin, une autre interprétation s’appuie sur les paroles de Mercutio dans Roméo et Juliette de Shakespeare, selon laquelle « le Cauchemar » représenterait les sortilèges de la reine Mab, fée des mauvais rêves dans les traditions médiévales anglaises, « stryge qui, quand les filles sont couchées sur le dos, les étreint », reine Mab évoquée dans le rêve de Belinda conservé à Vancouver (non exposé) et une toile de 1814.  

Les songes représentés par Füssli –songes profanes accompagnés de terreurs, loin des Songes de Jacob et autres rêves de Constantin dépeints jusque-là par les artistes- provoquent l’apparition d’êtres surnaturels, monstrueux ou féériques, comme dans le fascinant « rêve du berger » de 1793, conservé à la Tate Gallery. La toile, exposée comme relevant de la série consacrée au Paradis Perdu de Milton mais renvoyant plutôt à l’univers shakespearien, présente un berger profondément endormi, flanqué de son chien et survolé d’une fascinante et langoureuse ronde de créatures féériques. On retrouve la figure du berger endormi comme sujet central de « Lycidas », très belle toile de 1796-99 qui s’inspire d’un récit homonyme de Milton. Un jeune homme y est dépeint, s’abandonnant au sommeil sur un éperon rocheux, au clair de lune, accompagné d’un chien dont seule l’ombre est perceptible, dans une atmosphère sobre et romantique.

Füssli, le rêve de la reine Catherine, 1781_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

On retrouve enfin l’inspiration shakespearienne dans le superbe « rêve de la reine Catherine », 1781, inspiré de la pièce Henry VIII. La toile dépeint la vision de félicité éternelle éprouvée par Catherine d’Aragon, répudiée par le roi, avant sa mort. La reine, déjà d’une pâleur morbide, tend le bras, dans un sursaut d’agonie, vers les esprits incarnés par les jeunes suivantes de la reine qui montent au ciel, dénudées, formant un arc de cercle éthéré et sensuel autour d’elle et dont la courbe et la blancheur des chairs et des légers drapés contrastent avec le registre inférieur de la composition marqué par les lignes droites du lit néoclassique et l’obscurité alentours.

Füssli développe ainsi un imaginaire entre onirisme et drame, merveilleux et fantastique et renouvelle en quelque sorte la peinture d’histoire en combinant l’imaginaire gothique et le classique, en décloisonnant les traditions nationales et géographiques, en représentant des scènes funestes ou dérangeantes tirées de Shakespeare ou Milton au prisme d’un  Michel-Ange…

Füssli_autoportrait, 1780-90_Musee Jacquemart Andre_17 septembre 2022

Si la critique lui est souvent hostile, il reçoit le soutien de plusieurs de ses grands contemporains artistes tels que Reynolds, mais aussi William Blake, qui grave certaines de ses œuvres telles que la « Tête d’un damné de l’Enfer de Dante » de 1790-92, Flaxman, qui dessine le vase que lui offre ses élèves en remerciement de son excellent enseignement à la Royal Academy, Canova, qui le recommande pour rejoindre l’Académie de st Luc à Rome etc. Un peintre de la volupté et du sublime –d’où la prédilection pour la représentation de types plutôt que de portraits, le primat de l’imagination sur la vérité anatomique-, entre classicisme (précision du dessin, clarté formelle) et romantisme (coloris profonds, clair-obscur, expression puissante sinon théâtrale des sentiments).

Tout ce qui est propre à exciter les idées de la douleur et du danger ; c’est-à-dire, tout ce qui est en quelque sorte terrible, tout ce qui traite d’objets terribles, tout ce qui agit d’une manière analogue à la terreur, est une source du sublime ; ou, si l’on veut, peut susciter la plus forte émotion que l’âme soit capable de sentir. Je dis la plus forte émotion, parce que je suis convaincu que les idées de la douleur sont plus puissantes que celles qui viennent du plaisir. […] Lorsque le danger et la douleur pressent de trop près, ils ne peuvent donner aucun délice ; ils sont simplement terribles : mais à certaines distances, et avec certaines modifications, ces affections peuvent devenir et deviennent réellement délicieuses.

Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau, 1803

Une toile telle que « le Cauchemar » est emblématique d’une nouvelle esthétique à l’origine du romantisme noir, une esthétique qui mêle terreur et horreur –et, selon le théoricien du Sublime Edmund Burke- délices- et ménage une part remarquable à l’inconscient en sondant le monde du rêve, du cauchemar, des apparitions, non sans marquer profondément Freud ou plus tard, les surréalistes.

  • David Garrick et Hanna Pritchard dans le role de Macbeth et Lady Macbeth 1766 68
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4 Replies to “Füssli, un peintre emblématique du Sublime”

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