Futur, Ancien, Fugitif

PALAIS DE TOKYO, Paris, Octobre 2019 – Janvier 2020

Linda Sanchez, l’autre, 2019_Palais de Tokyo, 2 janvier 2020

Loin d’être toujours conquise par la programmation du Palais de Tokyo, je dois admettre que j’ai passé un très bon moment parmi les expositions de « Futur, ancien, fugitif, une scène française ». Certes, avec quelque quarante-quatre artistes ou collectifs d’artistes sélectionnés, les approches sont plurielles et plus ou moins convaincantes mais il m’a semblé émaner de l’ensemble une certaine légèreté, plutôt rare à l’époque actuelle, légèreté que confirme le choix de sections dédiées aux « caustiques », aux « iconoclastes », aux « conteurs », aux « esquiveurs » ou encore aux « ornementalistes », et qui fait que l’on ressort de certaines salles le sourire aux lèvres. Ma sélection…

Fabienne Audeoud, parfums de pauvres, 2019_Palais de Tokyo, Paris, 2 janvier 2020

Tandis qu’un mur de « mûres » de Pierre Joseph ouvre le parcours -évocation quelque peu indigeste de l’industrialisation de l’agriculture à travers une forme de « mécanisation du regard »-, ainsi qu’une nouvelle compression d’Anita Molinero, recyclage d’une œuvre antérieure, c’est tout d’abord un film d’animation de Betrand Dezoteux, « l’histoire de France en 3D », qui retient l’attention. Celui-ci nous convie avec humour à bord du TGV, en compagnie de Barthes, Michelet et st François d’Assise, pour effectuer un voyage parmi les mythes et clichés de l’identité et de la culture françaises. Humour sarcastique que l’on retrouve dans une belle série de dessins d’Alain Séchas qui croque de manière incisive le quotidien de ses concitoyens, ou encore lorsque Jean-Charles de Quillacq ou Fabienne Audéoud (« parfums de pauvres », 2019) nous confrontent aux stratégies commerciales bon marché, inspirées des grandes marques mais qui jouent sur des stéréotypes primaires voire violents (machisme, parallèle entre l’homme et la voiture…).

Du côté des « élémentaires », qui privilégient le questionnement spirituel ou existentiel à la critique sociale, j’ai noté les corps « asexués mais sexuels » de Carlotta Bailly-Borg peints sur verre et nourris de références multiples (mythologie grecque ou hindoue, calligraphie persane, estampes japonaises, manuscrits médiévaux), les amples paysages sur tissu d’Adrien Vescovi, créés à partir de pigments naturels prélevés en France, en Italie ou au Maroc et longuement travaillés, trempés, cuits, exposés aux éléments, ou encore la surprenante et fragile installation de Laura Lamiel faite de plaques de verre, de miroirs et d’objets indiciaires composant comme autant de récits fragmentaires et sciemment opaques. Un très bel intermède dédié à l’histoire du vandalisme revisitée avec humour par Nayel Zeaiter investit l’escalier et nous conduit vers le niveau inférieur de l’exposition. L’artiste interroge en creux, à travers sa dégradation et le vandalisme politique, le sens même de l’art.

Des autres sections du parcours (les conteurs, les ornementalistes, les esquiveurs, les iconoclastes), j’ai retenu, plus encore que l’environnement proposé par Madison Bycroft laquelle décline, à travers références antiques et décor à la limite du kitsch, des problématiques sur l’identité et le genre, une nouvelle installation de la jeune artiste issue des beaux-arts de Paris Agata Ingarden (« a picnic of sunset », 2019) à base de tournesols flétris et caramélisés qui se répandent sur des panneaux solaires brisés, travaillant l’anxiété climatique actuelle ainsi que les sculptures hybrides de Nils Alix Tabeling , lequel tente d’imaginer d’autres futurs possibles qu’une apocalypse due au changement climatique par une relecture féministe et queer des mythes et contes.

Quelques artistes proposent des installations ou assemblages tout à fait étonnants de par la pauvreté des matériaux employés et le raffinement ou l’efficacité des œuvres obtenues. Il en est ainsi de Martin Belou qui dresse un paysage imaginaire sous une vaste tente blanche d’une grande poésie, paysage précaire et changeant, essai de cohabitation nouvelle du vivant et de l’inanimé, espace transitoire, temps d’accalmie… C’est également le cas, dans un tout autre registre, d’Anna Solal, qui élabore des cerfs-volants dégageant une certaine précarité et une véritable poésie, en associant minutieusement des éléments de smartphones brisés, des peignes ou manches de rasoirs ou encore de Linda Sanchez. Cette-dernière, lauréate du prix des Amis du Palais de Tokyo en 2018, propose avec « l’autre », 2019, un surprenant paysage fait de matériaux de chantier, manipulés, précisément rejoués dans l’espace d’exposition et donnant lieu à une admirable cartographie abstraite et accidentée à même le sol. Des « scènes françaises » qui ne sont pas sans convoquer leur héritage plastique : ainsi, pour clore le parcours, Antoine Renard propose une singulière relecture de la petite danseuse de 14 ans de Degas (1881), qu’il décline en une série de sculptures olfactives susceptibles de provoquer des réactions émotionnelles ou mémorielles.

Antoine Renard, impressions, après Degas, 2019
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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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