J’ai tendance à préférer la peinture florentine ou romaine de la Renaissance à la peinture vénitienne, soit « il disegno prima del colore », la ligne d’une grâce époustouflante d’un Botticelli ou d’un Raphaël, la puissance sculpturale d’un Michel Ange au pinceau généreux d’un Titien, d’un Tintoret ou d’un Véronèse. Néanmoins, une visite à la galleria dell’Accademia réconcilie tout à fait avec l’école vénitienne.
Outre l’incroyable « Tempête » de Giorgione, qui a fait couler beaucoup d’encre et demeure mystérieuse quant au sujet représenté, le musée recèle de superbes toiles de Giovanni Bellini, notamment la « pala san Giobbe », l’une des premières « sacra conversazione », réplique du peintre à la « pala di san Cassiano » d’Antonello da Messina dont il reprend notamment la disposition en demi-cercle des saints autour de la vierge à l’enfant et ajoute une singulière harmonie des regards et des gestes, unifiant ainsi la scène et donnant l’illusion d’un espace réel…
Giambattista Cima da Conegliano, la pietà Bosch, trittico di santa Liberata
Le musée offre un panorama pertinent –sans être écrasant car nombre d’œuvres sont encore dans les églises de la ville- de la peinture vénitienne : un merveilleux « l’arcangelo Raffaele e Tobiolo » du Titien, d’une douceur infinie de par le jeu des regards et la chaleur des coloris, d’une grande vitalité de par la posture animée de l’archange, renforcée par le jeu des drapés, et le soin des carnations ; un « trafugamento del corpo di san Marco » du Tintoret d’une grande légèreté de touches et bouillonnante de vie malgré la scène morbide du premier plan et le cadre architectural ; des toiles de Véronèse et de Tiepolo…
Piero della Francesca san Girolamo e un devoto_Gallerie dell’Accademia di Venezia_24 août 2017 Hans Memling, ritratto di giovane uomo
J’ai noté par ailleurs de sublimes surprises telles que le magistral « san Girolamo e un devoto » de Piero della Francesca, un « saint Georges » d’Andrea Mantegna de toute beauté, avec sa carrure solide se dessinant sous son armure mais adoucie par un léger déhanché antiquisant, un Hans Memling et un bel ensemble de triptyques et de panneaux de Jérôme Bosch tout juste restaurés dont les « visions de l’au-delà », rappelant l’influence des primitifs flamands sur la peinture vénitienne, quelques toiles du XVIIe siècle de qualité dont « la méditation » de Domenico Fetti…
Antonio Canova, leoni 1783 92 Antonio Canova, paride 1807 12
En revanche, inutile de chercher ici les célèbres vues de Venise de Canaletto : si les vedutisti sont effectivement présents pour le XVIIIe siècle (Canaletto, Guardi, Bellotto…), le Louvre détient sans doute leurs plus belles vues du grand canal et du bucentaure. Enfin, la galleria dell’Accademia possède un remarquable ensemble de sculptures néoclassiques d’Antonio Canova, des œuvres achevées (statues, bustes et bas-reliefs) mais également des « bozzetti », parfois pertinemment rapprochés d’œuvres antiques (« les lutteurs ») ou des ébauches de monuments funéraires tels « le monument à Titien » révélant le premier jet de l’artiste dans toute sa fougue et sa sensibilité.