La galerie palatine du Palazzo Pitti se révèle plus éclectique et internationale que les Uffizi et réunit une collection tout aussi considérable, marquée par de nombreux portraits et tableaux religieux. Je doute d’avoir vu une telle réunion de toiles de Raphaël auparavant, pas même à la pinacothèque vaticane. Certaines oeuvres sont présentées au regard de toiles de son maître, Perugino. On relève de ce dernier –outre une imposante « deposizione di Croce » réalisée pour le couvent de Santa Chiara, caractéristique de l’artiste par l’équilibre et l’harmonie de la composition et des figures organisées autour du Christ mort, la délicatesse des coloris, la clarté du trait, « la Madonna del sacco »-, une remarquable « Maria Maddalena », réalisée dans une chaude palette brune, qui voisine ainsi avec un « portrait d’homme » de Raphaël d’une remarquable pénétration psychologique, en particulier pour une œuvre de jeunesse, et un « portrait de Francesco Maria della Rovere » (1504), neveu de Jules II dont le statut est rappelé par l’élégance de son vêtement et dont la pose annonce celles des époux Doni.
Ces parallèles permettent de mesurer pleinement l’apport de Raphaël dans l’histoire de la peinture, sa rupture avec les compositions aux rythmes linéaires antérieures au profit d’une certaine monumentalité : les personnages sont harmonieusement enfermés dans des schémas géométriques, les formes réduites à des volumes sphériques purs, ponctuées de couleurs recherchées, de textures admirablement rendues, baignés dans une douce lumière d’arrière-plan. Un ensemble tout à fait stupéfiant de chefs-d’œuvre dont le fabuleux « autoportrait » de l’artiste, habituellement conservé aux Uffizi, « la Velata », souvent identifiée à la maîtresse de l’artiste, la Fornarina ; « la Donna Gravida » (1505-06), sujet rarement représenté d’une femme enceinte tout à la fois fragile et fière ; « la Visione di Ezechiele » (1516-18), qui marqua particulièrement un Poussin et rompt avec la représentation habituelle du sujet, inspiré de la Bible, en dépeignant un prophète quelque peu michelangelesque avec les symboles des évangélistes et des chérubins formant spirale autour de lui dans un ciel orageux troué par une lumière divine ; l’éblouissante « Madonna della Seggiola » (1514), tondo évoquant le Quattrocento florentin mais marqué par l’influence de l’antique et des vénitiens, probablement réalisé à Rome peu après la chambre d’Héliodore.
L’artiste réalise un tour de force en adaptant magistralement sa composition au contour du tableau, les figures en suivant la courbe qui semble les conduire naturellement à se regrouper vers le centre, l’enfant, le tout dans une gamme chaleureuse quoique vivace ; « la Madonna dell’Impannata », « la Madonna detta del baldacchino », « la Madonna del Granduca », « la Madonna del Canopo », « le portrait de Jules II », qui rompt de manière novatrice avec l’habituelle représentation à mi-corps, probable œuvre d’atelier d’après celui de la National Gallery dont la composition a inspiré nombre de portraits pontificaux ultérieurs.
Autre chef-d’œuvre totalement étourdissant de beauté : le tondo Bartolini de Fra Filippo Lippi (« madonna con Gesu Bambino ») dont chaque détail, de part son raffinement, sa grâce, l’équilibre de la composition, laisse sans voix, quelques toiles de Botticelli, de Filippino Lippi (dont « la storia di Lucrezia »).
La peinture vénitienne est également présente avec de magnifiques portraits du Titien (« Filippo II di Spagna » en pied, « ritratto virile », « ritratto di papa Giulio II », « concerto »), un « Ecce Homo » et le « Portrait de Baccio Valori », de del Piombo et une œuvre majeure de Giorgione, « les trois âges de l’homme » (vers 1500), encore plus impressionnante à mes yeux que la « Tempesta « de l’Accademia de Venise, représentés par trois hommes réunis autour d’une partition -comme un « concert »- et témoignant d’une nette influence vincesque. On relève également quelques raretés telles que « san Francesco stigmatizzato » de Van Scorel, une toile de Spranger, de l’école de Prague (maniériste), « sacra famiglia con san giovannino », » i diecimila martiri » (1528-30) de Pontormo, commandée à l’origine pour l’hôpital des Innocents et qui représente des scènes du martyre de san Maurizio, d’admirables portraits du Rosso (« ritratto virile », de profil) et de Salviati (« ritratto di Giovanni dalle bande nere ») ; « Ila e le ninfe », de Francesco Furini ou encore une sombre « tentazione di S Antonio » de Salvator Rosa.
Le Seicento est par ailleurs admirablement représenté par l’époustouflante sala della Stufa, à l’origine loggia ouverte transformée en salle de bains du grand duc et dont les murs ont été peints (1637-1641), par Pietro da Cortone et représentent, inspirés des Métamorphoses d’Ovide, les quatre âges, ainsi qu’un « San Andrea avanti la croce » de Carlo Dolci de toute beauté, la « Cléopâtre » de Guido Reni ou encore quelques toiles caravagesques telles que « l’arracheur de dents », attribué au maître (1608-10), au chiaroscuro tout à fait saisissant, une « Giuditta », d’Artemisia Gentileschi, 1614-20, l’ »Ecce homo » de Cigoli, présenté tout dernièrement à Paris au regard de la toile homonyme du Caravaggio (exposition Caravage à Rome du musée Jacquemart-André), le « martirio di santa Cecilia » (1620-25), chef d’oeuvre d’Orazio Riminaldi initialement peint pour le Panthéon de Rome, l’impressionnant « martirio di S Bartolomeo » et « San Francesco » de Giuseppe Ribera. Les écoles françaises, espagnoles ou flamandes du XVIIe siècle ne sont pas en reste avec un bel ensemble de paysages de Dughet, beau-frère de Nicolas Poussin (« paesaggio con pastori e armenti », « paesaggio con rovine e figure » notamment), un imposant « cristo risorto » et « portrait du duc de Buckingam », de Rubens, le « ritratto del cardinale Bentivoglio » de Van Dyck etc.
La galerie, qui s’ouvre comme les Uffizi par une galerie d’antiques, s’en distingue toutefois par une scénographie plus traditionnelle, dans une surcharge de velours et un accrochage en touche-touche mêlant les chefs-d’œuvre avec des œuvres beaucoup plus secondaires et préservant l’atmosphère du palais. Elle s’inscrit par ailleurs dans l’imposante architecture voulu par Luca Pitti qui souhaitait une résidence si vaste qu’elle envelopperait le palazzo Medici dont elle transpose tous les éléments en style colossal (énormité des bossages au modelé varié typiquement florentin, vastitude des fenêtres aux encadrements soignés, nouveauté des balustrades ioniques aux étages supérieurs…).
Palazzo Pitti, Firenze, 16 juin 2019 Tony Cragg, Palazzo Pitti Entrée de la Grotta del Buontalenti, fin XVIe
Derrière le palazzo Pitti, peut-être réalisé par Luca Fancelli (1458-66), se dévoile par ailleurs l’admirable jardin de Boboli singulièrement pentu, creusé dans la colline, probablement pensé par Tribolo, et son riche programme de sculptures aux thématiques mythologiques, de fontaines -dont l’une couronnée par le puissant et musculeux « Océan » de Giambologna (désormais au Bargello) et les trois fleuves- et de grottes dont l’une, réalisée par Buontalenti, devait accueillir les « prigionieri » de Michelangelo et s’harmoniser avec eux en imitant les caprices de la nature tout en exprimant une certaine tension spirituelle. Le jardin Boboli accueille actuellement plusieurs pièces du sculpteur anglais contemporain Tony Cragg qui entre en résonance avec le jardin renaissant…