Gallerie degli Uffizi, Firenze

Botticelli, la naissance de Vénus, 1485_Uffizi, Firenze_14 juin 2019

Du côté des institutions muséales florentines, la collection de l’Accademia est assurément plus modeste et hétérogène que celle des Uffizi, résultant largement de la suppression des églises et des couvents sous Piero Leopoldo en 1789 et sous Napoléon en 1810 : beaucoup de polyptyques de primitifs (Lorenzo Monaco, Bernardo Daddi…) et quelques toiles de maîtres (un admirable Christ de del Sarto, « la Madonna del Mare » attribuée à Botticelli, 1475-80, la « deposizione della croce » (1503-07) et l' »assunzione della vergine », 1500 de Filippino Lippi) sont réunis autour des pièces majeures de Michelangelo (David, Schiavi) tandis qu’une salle de moulages rappelle la destination initiale, pédagogique, du lieu. A noter également le modello pour « le rapt de la Sabine » de Giambologna de la Loggia dei Lanzi.

Les Uffizi regroupent indéniablement la plus belle collection consacrée à la Renaissance italienne ainsi qu’un remarquable ensemble de toiles de primitifs principalement italiens, d’œuvres maniéristes, quelques pièces flamandes ou allemandes majeures (« Adam et Eve », 1528 et « Luther et Melanchton », 1543, de Cranach l’Ancien, « Adam et Eve » de Grien, 1507-25, inspirés des panneaux homonymes de son maître Dürer au Prado, « Sir Southwell d’Holbein », 1536, réalisé peu après « les Ambassadeurs » de la National Gallery de Londres et témoignant de la même maturité et quelques œuvres de Dürer) ainsi qu’une collection d’antiques de toute beauté où se distinguent l’impressionnant groupe des Niobides, « l’hermaphrodite », le relief des ménades dansantes, un fragment de l’Ara Pacis ou encore le Vase Medici…

Da Fabriano Gentile, adorazione dei Magi. Cristo giudice, annnunciazione e i profeti, nativita, fuga in Egitto et presentazione al tempio, 1423

Parmi les œuvres du gothique international, outre de majestueuses maestà de Duccio et Giotto et la crucifixion d’Agnolo Gaddi, 1390-96, l’adoration des mages de Lorenzo Monaco, vers 1420 ou encore des œuvres d’Orcagna, la plus fascinante est incontestablement l »’adoration des mages » de Gentile da Fabriano (1423), commande de Palla Strozzi pour la chiesa di santa Trinità dont l’un des panneaux de prédelle est conservé au Louvre. Le tableau, inspiré de Voragine et dont l’usage généreux de l’or et du lapis-lazuli (manteau de la Vierge), la splendeur du cortège des rois mages, les animaux exotiques, reflètent la richesse et la culture du commanditaire, est emblématique de la transition entre gothique international (perspective encore flottante) et Renaissance (un ciel bleu remplace l’habituel fond d’or, de nombreux détails témoignent d’un certain réalisme, certains visages ne sont pas sans expressivité).

Van der Weyden, Rogier, deposizione nel sepolcro, 1450

Les primitifs flamands sont représentés par quelques chefs d’œuvre tels que « la deposizione nel sepolcro » de van der Weyden, 1450, inspirée d’une œuvre homonyme de Fra Angelico mais beaucoup plus dramatique (sang jaillissant des blessures, instabilité de la pierre tombale, lignes dures, couleurs contrastées), la mise au tombeau étant construite autour du Christ qui coïncide avec l’axe vertical de la composition sur lequel sont placées les croix du Golgotha tandis qu’on distingue, placés en demi-cercle autour de lui, la Vierge, saint Jean et Joseph d’Arimathie ; « le triptyque Portinari » de van der Goes, 1476-78, une nativité et adoration des mages sur fond de paysage d’Europe du Nord gris et dénudé qui marqua profondément des artistes florentins tels que Ghirlandaio, Lippi, par la qualité de traitement des détails (telle que la nature morte épurée et symbolique du premier plan), la structuration, la présence et la pénétration psychologique des figures, la profondeur spatiale, la maîtrise technique de l’huile même si l’artiste maintient la tradition médiévale de disproportion entre les personnages saints et humains ou encore le « ritratto di uomo con lettera », de Memling, 1475-80.

Botticelli, madonna del Magnificat, 1483

Le cœur de la collection renaissante est indéniablement l’œuvre de Sandro Botticelli, « la nascita di Venere, « la Primavera » mais aussi de superbes annonciations et Vierge à l’enfant… J’ai relevé par ailleurs l’un des trois panneaux de « la bataille de san Romano » de Paolo Uccello, (1435-40) évoquant la victoire contemporaine des Florentins contre les Siennois en 1432 et plus précisément la fin du combat et la défaite des Siennois, symbolisée par le désarçonnement de Bernardino della Ciarda, chef de l’armée siennoise et qui, comme les panneaux parisiens et londoniens, témoigne du goût de l’artiste pour la perspective mathématique (formes pures, raccourcis audacieux), le portrait du fils illégitime de Cosme l’Ancien et néanmoins cardinal, Carlo de’Medici, 1460, de Mantegna, de toute beauté, figuré de trois-quarts gauche, comme ses modèles flamands, et d’une imposante présence propre à l’artiste, « la Madonna col Bambino e due angeli », chef d’oeuvre de Filippo Lippi, 1460-65, d’un naturel tout à fait extraordinaire, le tout aussi extraordinaire « portrait du duc et de la duchesse d’Urbino » de Piero della Francesca, 1472-75, diptyque unifié par le paysage et une même atmosphère lumineuse mais d’une impressionnante austérité par la rigueur des profils inspirée des portraits solennels et politiques des médailles antiques et augmentée par la présence physique des personnages structurés par le trait et une certaine géométrisation formelle, aux volumes nettement cernés, le recours à l’huile, des portraits et scènes mythologiques de Pollaiolo, la délicate « Adorazione del Bambino » de Filippino Lippi, 1478-80, œuvre de jeunesse encore très inspirée par Botticelli mais peut-être moins linéaire, le tondo de » l’adoration des mages » de Domenico Ghirlandaio, 1487, auteur de la capella Tornabuoni (Santa Maria Novella), « la Venere » de Lorenzo di Credi (1490), d’une grâce redoutable avec les jeux de transparence d’un drapé qui ne dissimule guère que ses attributs sexuels et dont la pose s’inspire de la Vénus pudique de Praxitèle.

A proximité du « Tondo Doni « de Michelangelo, et relevant du même commanditaire, on note avec bonheur les merveilleux « portraits d’Agnolo Doni e Maddalena Strozzi », représentés de trois quarts, en diptyque, unifiés par un paysage délicat représenté à l’arrière-plan mais beaucoup plus animés et naturalistes que le couple Montefeltre de Piero della Francesca, en 1504-06. Le couple est peint par Raphaël alors qu’il assimilait pleinement la leçon vincesque (1503-1506) : même posture des mains et des corps quoique l’horizon bas du paysage et la lumière uniforme qui en émane, définissant les surfaces et les volumes, rompent avec la nature menaçante et irréelle dépeinte par Vinci dans « la Joconde », de même que la sérénité et l’équilibre qui se dégagent de l’ensemble et l’attention portée aux textures des vêtements et aux bijoux. A noter par ailleurs un admirable portrait du jeune « Guidobaldo da Montelfetro », dernier duc d’Urbino (1503-06) ou le « Saint Jean Baptiste » de 1517-18, toujours de Raphaël dont la pose n’est pas sans rappeler « le Laocoon », une admirable salle consacrée à son maître, Perugino (« ritratto di Alessandro Braccesi », « orazione nell’orto », 1492, « Pietà », 1493-94, son pendant, totalement gouverné par une géométrisation poussée de l’espace, une symétrie d’une grande rigueur, en dépit de la douceur des traits des personnages) ou encore la monumentale « Madone des Harpies » de del Sarto, une vierge à l’enfant avec deux anges, st Jean l’Evangéliste et saint François, placée sur un haut piédestal orné de figures monstrueuses, dont le caractère imposant est quelque peu atténué par la grande douceur des coloris et les contrapposti délicats et équilibrés (1517).

Titien, Flora

Si la Renaissance toscane domine, la peinture vénitienne contemporaine n’est pas totalement absente, de même que l’école ombrienne ou ferraraise (Tura). En témoignent une œuvre tout à fait singulière de Giovanni Bellini (« allegoria sacra », 1490-99) dont la redoutable complexité iconographique -malgré l’apparence première d’une sainte conversation avec la vierge à l’enfant et des saints-, le vaste paysage ouvert et ponctué de symboles, la poésie et le mystère ne sont pas sans évoquer Giorgione, ainsi qu’un beau « portrait de jeune homme » (1505) de Lorenzo Lotto, d’une intense pénétration psychologique. Les œuvres les plus éblouissantes sont toutefois celles du Titien, dont plusieurs nus féminins couchés d’une redoutable sensualité et dont la postérité artistique est considérable jusqu’à « l’Olympia » de Manet : « la Vénus d’Urbin » -variation sur la Vénus endormie de Giorgione, placée dans un intérieur, plus humaine que divine dans sa nudité érotique (1538), et dont la construction perspective situe l’œil du spectateur à hauteur du regard de la Vénus, à l’aplomb de son sexe, avec un geste rappelant la Vénus pudique-, « Vénus et Cupidon », ainsi que la merveilleuse « Flora », emblématique de la période de jeunesse de l’artiste et caractérisée par une tonalité chaude d’une remarquable intensité.

il Parmigianino, madonna dal collo lungo, 1534 40

La suite de salles maniéristes est tout à fait admirable, qu’il s’agisse des portraits des Médicis de Bronzino tels que « Cosme I en armure » (1545), portrait politique du 1er grand duc de Toscane représenté en commandant des armées, ou de Vasari (« Alexandre de Medicis », 1534, représenté en chef militaire avec son armure, son bâton d’or de commandement, son casque, à l’extérieur de Florence, devant une muraille brisée qui évoque le siège de 1530, « Laurent de Médicis », dont on retrouve un portrait voisin sur les murs et voûtes peints du Palazzo Vecchio), de la fascinante « Madonna del lungo collo » du Parmigianino (1534-40), dont le canon physique étiré, irréel, renforce l’élégance de la pose sinueuse, des œuvres de Rosso Fiorentino, peintre de la Galerie François 1er de Fontainebleau, dont un sobre mais fascinant « portrait de jeune homme en noir ».

Caravaggio, Medusa, 1595 98

Le XVIIe, quoique beaucoup moins représenté, mérite largement le détour par la présence de toiles totalement fascinantes de Caravaggio, principalement la « Méduse » peinte sur un bouclier de tournoi tout à la fois bombé et béant comme une orbite –par la maîtrise de la perspective-, au rôle apotropaïque, (vers 1598), mélange détonnant de beauté et d’horreur avec ses yeux exorbités, sa bouche hurlante, sa chevelure de serpents, sa tête séparée d’un corps qu’elle regarde peut-être, dans un mouvement de folie. Caravage la dépeint en jeune homme, en fait un autoportrait saisissant, terrifié plus que terrifiant. Pour le commanditaire, le grand duc de Toscane, Méduse incarne la victoire de la raison sur les sens. Du Caravaggio sont également présentés « le Sacrifice d’Isaac » ainsi qu’une œuvre fameuse de la période « claire », le « Bacchus » de 1596, qui rompt là aussi avec la représentation traditionnelle du Dieu pour dépeindre un jeune homme efféminé, à la pose affectée, aux lèvres charnues et sensuelles (les seuls attributs du Dieu sont le raison et le vin), qui nous présente un verre de vin dans ses mains sales. L’artiste exprime le caractère dissolu du sujet par la vivacité des couleurs, le contraste entre les zones de lumière (Bacchus, la nature morte) et les ombres (cheveux, gauche de la toile) qui renforce le caractère tangible des objets. Il n’en introduit pas moins des éléments de vanité (pomme véreuse, feuilles flétries voisinant avec les verres de Murano…). A noter également une « Judith et Holopherne » d’Artemisia Gentileschi (1620-21), l’une des versions du « David et Goliath » de Reni (1605), encore très caravagesque, une sculpture de jeunesse de Bernini, « san Lorenzo martirizzato », 1613-1617 (son autoportrait n’était quant à lui, malheureusement, pas exposé) mais d’une virtuosité déjà manifeste et témoignant de l’influence de Michelangelo ou encore d’impressionnants autoportraits de Rembrandt.

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