MUSEE MAILLOL, Paris, Septembre 2018 – Janvier 2019

Difficile de faire preuve d’objectivité face à un artiste qui m’a marquée depuis l’enfance…Non, il ne s’agit pas de Caravage, ma tentative de visite cet après-midi ayant avorté au vu de l’affluence…je choisirai un moment plus approprié à la contemplation des œuvres de la période romaine du maître -sans doute la plus impressionnante à mes yeux si l’on songe à la sublime « Vocation de st Mathieu » qui sera bien entendu restée en l’église st Louis des Français-. Il s’agit de sculpture. Le musée Maillol est l’écrin -en collaboration avec la Fondation Giacometti dont provient l’ensemble des œuvres du maître- d’une admirable rétrospective consacrée à Alberto Giacometti qui, loin de se résoudre à un parcours monographique, propose un dialogue souvent fructueux avec d’autres artistes de la discipline.
Rodin, st Jean Baptiste, 1880 Giacometti, l’homme qui marche
On relève ainsi le magistral parallèle entre « l’homme qui marche » de Rodin, évoqué par une copie dessinée du sculpteur suisse, son puissant « Saint-Jean Baptiste » et une imposante version de « l’homme qui marche » de Giacometti ; une semblable quête d’épure et d’aplanissement formel ou de simplification géométrique -flirtant avec l’abstraction mais non sans rappeler les sculptures des Cyclades- dans « femme plate V », 1929 ou la « tête crâne », 1934 -œuvre entre portrait et tête de mort réalisée un an après la mort du père de l’artiste- et « le baiser » de Brancusi, évoqué par une photographie de l’artiste, 1922-26 ; une déstructuration cubiste similaire dans « figure (dite cubiste) », 1926, de Giacometti -plus encore que dans « le couple » de 1927, plus totémique et primitif que cubiste, un « accordéoniste » de Zadkine, 1922-26 et une baigneuse de Lipchitz, 1917 ; et, plus surprenante, la confrontation entre un couple en pierre peinte de Giacometti et une pièce également polychrome d’Henri Laurens…
Giacometti, la foret Giacometti, la clairiere, 1950
Le parcours est chronologique, des premiers plâtres d’une étonnante sensibilité jusqu’aux magistraux groupes sculptés (« la forêt », assemblage d’œuvres soi-disant ratées auxquelles l’artiste redonne vie en les mettant en dialogue, un peu comme Rodin réintégrait des éléments d’anciennes sculptures à de nouveaux projets ; « la clairière », et surtout les incroyables groupes « trois hommes qui marchent », 1948 et « quatre femmes sur socle », 1950), en passant par quelques pièces d’inspiration cubiste ou surréaliste. L’exposition permet également de découvrir d’admirables bustes d’homme (« buste d’homme », 1950, « buste d’homme sur double socle », 1948-49) et une belle série de portraits de ses proches, Diego et Annette.
Giacometti, femme qui marche I, 1932 état de 1936 Giacometti, femme de Venise III, 1956
Une salle est consacrée à la représentation de la femme et l’on constate rapidement combien celle-ci, après la « femme qui marche » épurée des années 30, se fige dans une immobilité hiératique tandis que le motif du marcheur se fait masculin et incarne à merveille la solitude contemporaine : « Ils se croisent, ils se passent à côté […] sans se voir, sans se regarder ». Tandis que, comme le dit Genet, les femmes de Giacometti « n’en finissent pas d’avancer et de reculer dans une immobilité absolue ». Partout, comme chez Brancusi, le travail du socle est partie prenante de la sculpture, parfois pour compenser la disparition progressive de la figure par sa réduction, pour rendre visible la proportion entre la figure et l’espace qui l’entoure, comme dans le « petit buste de Silvio sur double socle » de 1943-44 (neveu de l’artiste). Ou encore pour rendre compte de quelque chose d’à la fois proche et d’infranchissable, objet de désir et de répulsion, comme dans le merveilleux groupe de « quatre femme sur socle » inspiré du souvenir de prostituées d’un bordel parisien mais tellement emblématiques du style de la maturité de l’artiste : quatre femmes nues, longilignes, frontales, « proches et menaçantes » aux dires de Giacometti, alignées, posées sur un haut socle, surgissent dans l’espace.



