Giacometti, Morellet, Klein etc. chez Vuitton

FONDATION VUITTON, Neuilly, Avril-Août 2018

Giacometti, trois hommes qui marchent I 1948

En dépit d’une tentative de regroupements (« irradiances », « là, infiniment », « l’homme qui chavire ») autour de la thématique de « l’homme dans l’univers du vivant », la nouvelle exposition de la fondation Vuitton, « au diapason du monde », est avant tout un prétexte à la présentation d’œuvres majeures de sa collection. Le propos peine à dégager des lignes de force, une cohérence, et encore moins une sensibilité commune au travers de toiles, de sculptures, de vidéos, d’installations d’artistes aussi divers que Giacometti, Klein, Flavin, Byars, Morellet, Barney, Richter, Boltanski, Anselmo, Gonzalez-Foerster, Parreno, Villar Rojas et sa relecture inquiétante et tronquée du « David » de Michel Ange…mais également du kitchissime Murakami. On a davantage l’impression des choix d’un connaisseur du marché de l’art que des coups de cœur personnels d’un collectionneur…

Il n’en demeure pas moins que c’est l’occasion de contempler un ensemble éblouissant de sculptures d’Alberto Giacometti parmi lesquelles « l’homme qui chavire », 1950, « trois hommes qui marchent I », 1948, « tête sur tige », 1947, « grande femme II », 1960. Des œuvres d’une force exceptionnelle, où résonne la solitude existentielle de l’homme au bord de la chute. « J’ai toujours eu […] le sentiment de la fragilité des êtres vivants, comme s’il fallait une énergie formidable pour qu’ils puissent tenir debout ». (Giacometti)Dans la même section (« l’homme qui chavire »), l’impressionnante « la ballata di Trotski », 1996, de Maurizio Cattelan, surplombe le spectateur. Un cheval naturalisé et entravé, possible incarnation des peurs et des fantasmes humains, est suspendu au plafond.

La section « irradiances » est quant à elle l’occasion d’une admirable confrontation à des œuvres de sensibilité minimaliste et/ou abstraite de Dan Flavin, James Lee Byars, Yves Klein, Sigmar Polke, Gerhard Richter, Mark Bradford, Matthew Barney… « Untitled », 1963, de Flavin est constitué d’un unique néon vert qui, tout en revisitant le principe duchampien du ready-made, modifie la perception de l’espace alentours ; l’usage d’éléments industriels non modifiés par l’artiste tout comme l’inclusion de l’espace d’exposition et de réception dans l’œuvre participant pleinement de l’art minimal. Mêlant inspiration minimaliste et influences orientales, l’art de James Lee Byars et son recours récurrent à des matériaux nobles tels que l’or des formes géométriques simples telles que la sphère, le cercle, dénotent une quête d’absolu, de perfection plastique, d’éternité.

« Monochrome bleu », « sculpture éponge », « relief éponge » (1957-60) tout comme « anthropométrie sans titre » d’Yves Klein témoignent de son usage exclusif de l’International Klein Blue dès le milieu des années 50. Un outremer d’une grande intensité qu’il travaille à l’aide d’éléments naturels comme l’éponge ou de corps féminins recouverts de peinture, flirtant entre peinture et performance et bouleversant radicalement le rapport entre la peinture et le corps, l’espace et la couleur. « Nachtkappe I », 1986, de Sigmar Polke, témoigne quant à telle de l’approche expérimentale de l’artiste, à la limite de l’alchimie lorsqu’il fait fusionner des minéraux, des vernis, des métaux que travaillent ensuite la chaleur, l’humidité ou la lumière pour faire naitre un paysage abstrait d’une grande richesse de tonalités et diversité de textures.

Trisha Donnelly_untitled 2014

Se déploient dans la même salle une impressionnante série de toiles de Gerhard Richter dont « Gudrun », réalisée en 1987 au racloir, entre destruction et création et dont le titre fait référence à un membre de la RAF (fraction armée rouge). D’autres œuvres sont réalisées mécaniquement, par l’application d’une plaque de verre sur la peinture tandis que « Lilak », 1982, se veut le paysage d’un état psychique au travers d’une profusion de couleurs et de traits. Entre construction et déconstruction également mais dans un tout autre esprit, une œuvre de l’artiste représentant les Etats-Unis lors de la dernière biennale de Venise, Mark Bradford. « Reports of the rain », 2014, use de coloris beaucoup moins sombres que ceux déployés dans le pavillon américain mais de la même technique, un travail de la peinture sur des chutes de papier dans un jeu de collage/décollage d’une grande matérialité. Au sol, « water cast 6 », 2015, sculpture en bronze de Matthew Barney, renvoie à la mythologie égyptienne (Osiris). L’artiste développe ses « moulages d’eau » en versant du bronze en fusion dans une fosse de limon d’argile et d’eau, donnant brutalement naissance à des formes imprévisibles et abstraites.

François Morellet, l’avalanche 2006

La salle suivante est l’occasion de contempler l’admirable « avalanche » de néons de François Morellet, 2006. 36 tubes d’argon rigoureusement, mathématiquement, disposés dans l’espace selon les variations de longueur des câbles répandent une lumière froide tout en produisant paradoxalement une impression désordonnée de chute. A l’opposé, on retrouve ou plutôt on sent et l’on entend l’installation « animitas » de Christian Boltanski, découverte dans les jardins des Tuileries en 2014 (Fiac hors les murs) et galerie Marian Goodmann en 2015 (https://www.facebook.com/samarra.black/posts/10207095194245798). Une odeur forte émane du parterre d’herbes et de fleurs en cours de dégradation qui complète l’installation vidéo qui elle répand les légers tintements de ses clochettes telles que « la voix des âmes flottantes », dans l’espace. Un nouvel espace consacré à la création émergente présente une intéressante pièce de Jean-Marie Appriou, « Lips and ears », 2018, pièce monumentale en aluminium présentant deux visages songeurs reposant sur une barque de branches de palme, se complétant tout en se contrariant.

François Morellet l-avalanche 2006
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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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