Gravure en clair-obscur

LOUVRE, Paris, Octobre 2018 – Janvier 2019

Beccafumi, trois apôtres ou prophètes (détail)

Retour sur l’exposition que le Louvre vient de consacrer à la gravure en clair-obscur, héritière de la gravure en couleurs par la technique, proche du dessin à la plume, à la pointe de métal ou au lavis rehaussé de gouache ou encore de la grisaille par la qualité du rendu. En dépit d’une approche assez austère, à la fois chronologique et géographique, elle réunissait quelques feuilles de grande qualité et témoignait de l’apogée de ce médium au XVIe siècle avec des réalisations remarquables de Grien, Beccafumi, Giulio Romano à l’époque de la Renaissance ou du maniérisme même si un maître de la gravure tel que Dürer lui préfère le trait épuré et précis de la gravure sur bois ou sur cuivre.

Le processus de création, collaboration fréquente entre l’inventeur de la composition, peintre ou dessinateur, et un graveur ou imprimeur, est rappelé par la présence de plusieurs états de certaines compositions (ex : dessin de Lallemant et gravure de Businck représentant « St Jean écrivant et st Matthieu lisant », 1623-29). Un Beccafumi produit toutefois ses estampes en clair-obscur seul, en maîtrisant avec une grande dextérité dont témoignent les planches des Apôtres -en pied et en léger contrapposto, aux volumes sculpturaux, tout à la fois monumentaux et mélancoliques- toute la chaîne de réalisation et en expérimentant des combinaisons inédites de techniques (« groupe de huit personnages au repos »).

Hans Baldung Grien, les sorcières 1510

La gravure en clair-obscur émerge dans l’Allemagne du début du XVIe siècle avec Lucas Cranach l’Ancien qui réalise un impressionnant « st Georges » imprimé en deux planches à l’encre noire et à l’encre d’or en 1507 et Hans Burgkmair qui lui répond par un magistral « l’empereur Maximilien à cheval », 1508 et expérimente la gravure sur bois sur trois planches en couleur par le jeu de trois matrices liées (noire, vert, jaune, comme dans « couple d’amants surpris par la mort », 1510), ou encore Grien dont le chef d’œuvre gravé, « les sorcières », 1510, aux effets singuliers et lumineux par le mélange orangé d’oxyde de fer et de minium, est exposé. Parmi les graveurs travaillant avec ces artistes dont le nom nous est parvenu : Jost de Negker dont un remarquable « portrait d’Hans Baumgartner » , 1512, est présenté.

Niccolo Vicentino d’après Parmigianino le désarroi d’Olympos 1540

Elle se déploie également peu après en Italie avec Ugo da Carpi, peintre et graveur, qui obtient du sénat vénitien le privilège de graver in chiaro e scuro de puissantes compositions d’après Titien, Raphaël (« Enée, Anchise et Ascagne fuyant Troie en flammes », 1518), Parmigianino (« Diogène », 1527-30)…Lui succéderont Antonio da Trento, formé peut-être par Carpi et collaborateur de Parmigianino (cf « Madone aux roses », 1527-30), et Niccolo Vicentino (« le désarroi d’Olympos », 1540). La France expérimente également la technique, particulièrement à Fontainebleau et à Lyon au milieu du XVIe siècle, sans toutefois atteindre la même qualité tandis que les Flandres connaissent une belle floraison autour des peintres maniéristes, particulièrement Frans Floris, dans les années 1550-70, lequel s’associe au graveur Joos Gietleughen (« tête de dryade ») et Hubert Goltzius (« Hercule tuant Cacus », 1588) –marqué par Spranger-, la gravure en clair-obscur servant alors à diffuser les antiques et les œuvres des maîtres de la Renaissance italienne et à obtenir des effets dramatiques appréciés des maniéristes. S’il est moins de réalisations remarquables et que la technique décline nettement au XVIIe siècle, devenant principalement un substitut du dessin, j’ai toutefois relevé de très belles feuilles de Georges Lallemant, peintre travaillant avec le graveur Ludolphe Büsinck, ainsi que des réalisations de Rubens et Bloemaert.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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