MUSEE PICASSO, Paris, Mars – Juillet 2018

L’art face à la tragédie, à la guerre, à la destruction…Après Nachtwey à la MEP, Guernica au musée Picasso. Après l’approche documentaire quoique sublimée par le regard du photographe, l’approche allégorique et personnelle du génie à même de traduire en quelques traits, quelques gestes ou attitudes (le bras levé, la pleureuse, symbole de la souffrance physique et morale, la porteuse de lumière, témoin de l’Histoire et de la Vérité, le cheval hurlant l’angoisse existentielle de l’homme et incarnant le peuple, le soldat à terre…), l’universalité du drame et, tout en réagissant à la terrible actualité de son pays natal, de créer une œuvre atemporelle.

Picasso, cheval et mère avec un enfant mort dessin préparatoire pour Guernica. 8 mai 1937 
Picasso, le meurtre
Le 26 avril 1937, des aviateurs envoyés par Hitler en soutien au général Franco procédaient au premier bombardement de civils de l’Histoire, détruisant la commune de Guernica. Quelques mois plus tard, suite à une commande de la République espagnole pour le pavillon espagnol de l’exposition internationale des arts et des techniques de Paris, Pablo Picasso réalisait l’un de ses chefs-d’œuvres. Le musée Picasso s’intéresse à la genèse et la postérité de l’œuvre à travers une exposition de dessins préparatoires, corridas, minotaures, la toile, elle, étant demeurée au musée de la Reina Sofia (Madrid).
Le parcours d’exposition est intéressant, révélant combien Guernica n’est pas une simple réaction au premier bombardement de civils de l’histoire durant la guerre d’Espagne mais est tout à la fois en continuité et en rupture, par rapport aux œuvres précédentes de Picasso. En continuité par certains motifs récurrents de l’artiste (la pleureuse, le taureau et le cheval,…présents dans nombre de toiles des années 30), par la composition triangulaire (« nature morte à la lampe », 1936) ou le choix chromatique (le recours au noir et blanc au sein même d’une toile colorée renforçant l’intensité du drame dans « la Crucifixion » de 1930), par le choix d’une scène d’intérieur, confinée comme dans « le meurtre » de 1934. En rupture comme l’est tout chef d’œuvre, par la condensation de tous ces motifs en une seule toile magistralement composée, devenue emblématique de la dénonciation de toute guerre et dont maintes admirables études telles que « cheval et mère avec un enfant mort, dessin préparatoire pour Guernica », 8 mai 1937 retracent la rapide maturation.

Robert Longo, Guernica redacted, 2014 fusain 
Damien Deroubaix, garage days revisited, 2016 
Agustin Ibarrola, paisajes de Euskadi, 1977
Si la toile -trop fragile pour être déplacée- ne quitte plus Madrid depuis son retour au musée de la Reina Sofia en 1981, soit après la mort de l’artiste et la chute du franquisme, plusieurs relectures contemporaines l’évoquent directement (un remarquable fusain de Robert Longo, « Guernica redacted », réalisé en 2014, qui ponctue la toile de barres noires rompant avec la composition triangulaire et accentuant certains détails et le caractère étouffant de l’ensemble ; « Garage days revisited », panneau gravé et encré réalisé en 2016 par Damien Deroubaix en hommage à la toile qui inspira sa vocation ; « RIP, à l’ouest rien de nouveau #III », réalisé par Tatjana Doll en 2009, « tribute to Picasso », réalisé par Buraglio en 2017 d’après un collage ; « paisajes de Euskadi », 1977, de l’artiste basque antifranquiste Agustin Ibarrola qui parsème sa série gravée d’éléments tirés de Guernica dont il rappelle ainsi l’universalité) ou indirectement (une série de « blessé » de Jérôme Zonder, 2017-2018 ; « Picasso’s Guernica in the style of Jackson Pollock », réalisé par Art & Language en 1980, toile abstraite inspirée des drippin’ de Pollock et rappelant à la fois l’influence de Guernica sur l’artiste et comment l’expressionnisme abstrait a su devenir une nouvelle référence dans l’histoire de l’art ; « Grito n°7 » d’Antonio Saura, 1959. Derniers jours…
http://www.museoreinasofia.es/…/informacion/206_6_eng.pdf
Par ailleurs, le 26 avril dernier, « En la piel del otro » (« dans la peau de l’autre »), performance de Pilar Albarracin, investissait l’espace du musée en commémoration du bombardement : un monceau de corps de femmes vêtues de robes de flamenco jonchant le sol -motif récurrent dans l’œuvre d’Albarracin, archétype de la culture populaire espagnole mais aussi « seconde peau » pour l’artiste sévillane-, perturbant les déplacements et le champ de vision des visiteurs. Des corps colorés, entremêlés, de tout âge, majoritairement immobiles et les yeux clos même si de temps à autres, une femme vous scrute, un souffle semble animer les étoffes..






















