Histoire de la photographie selon Jan Dibbets

MUSEE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS, Mars-Juillet 2016

Jan Dibbets, shortest day at my house in Amsterdam 1970_la boite de Pandore_MAMVP_6 avril 2016

Pandore apporta donc le vase rempli de maux et l’ouvrit. C’était le présent des dieux aux hommes, un présent de belle apparence et séduisant, surnommé le « vase du bonheur ». Alors sortirent d’un vol tous les maux, êtres vivants ailés; depuis lors, ils rôdent autour de nous et font tort à l’homme jour et nuit. Un seul mal ne s’était pas encore échappé du vase : alors Pandore, suivant la volonté de Zeus, remit le couvercle, et il resta dedans. Pour toujours, l’homme a maintenant chez lui le vase de bonheur et pense merveilles du trésor qu’il possède en lui, il se tient à son service, il cherche à le saisir quand l’envie lui prend; car il ne sait pas que ce vase apporté par Pandore est le vase des maux et il tient le mal resté au fond pour la plus grande des félicités, – c’est l’Espérance. – Zeus voulait en effet que, même torturé par les autres maux, l’homme ne rejetât cependant point la vie, continuât à se laisser torturer toujours à nouveau. C’est pourquoi il donne à l’homme l’Espérance : elle est en vérité le pire des maux, parce qu’elle prolonge les tortures des hommes.

Pour servir à l’histoire des sentiments moraux, Nietzsche, Humain, trop humain, § 71

« La boîte de Pandore » est une exposition sur l’histoire de la photographie vue par l’artiste Jan Dibbets. Le résultat est extrêmement intéressant et surprenant : cela ne ressemble en rien à une histoire de la photographie traditionnelle. Par-delà un fil directeur vaguement ou du moins largement thématique (origine de la photographie et photographie scientifique, expériences photographiques, objets photographiques), l’accrochage se révèle un vrai tour de force.
La confrontation des oeuvres, -parfois par-delà les décennies (Anna Atkins face à Karl Blossfeldt, Gustave le Gray face à Hiroshi Sugimoto, Josef Albers près de James Welling, les nuages de Sol Lewitt près de ceux de Muybridge) et les catégories (l’art voisinant avec la science…)- donne à voir le photographique comme technique, process et un champ de possibles particulièrement ouvert.

C’est là la grande réussite de cette exposition, montrer les multiples expérimentations à l’oeuvre dans l’histoire de la photographie : de la photographie scientifique à la chronophotographie de Muybridge et Marey, des créations des avant-gardes surréalistes ou constructivistes et suprématistes (Man Ray, Rodtchenko, Moholy Nagy, El Lissitzky, Bérénice Abbott etc.) aux « objets photographiques » -images purement numériques- de Thomas Ruff, Seth Price, Spiros Hadjidjanos …en passant par la photographie documentaire ou sociale de Walker Evans et des Becher. Comme le dit Dibbets, il s’agit de rappeler les origines de la photographie afin d’envisager son avenir.

Bien que nombre d’oeuvres majeures soient présentes (les pavés de Brassaï, le portrait d’Allie Mae Burroughs de Walker Evans, Luisa Casati de Man Ray, des abstractions de Paul Strand, des traces d’intervention de Robert Smithson ou Richard Long, des chevalements de mine des Becher, « rovesciare i propri occhi », 1970 de Giuseppe Penone, les 62 membres du Club Mickey en 1955 de Boltanski…), on relève pas mal de découvertes, de raretés, d’oeuvres de photographes méconnus dans cette exposition. A noter par ailleurs une très belle salle consacrée à Muybridge, que Dibbets considère comme l’inventeur de la sérialité et par-là même le préalable nécessaire au minimalisme ou à Warhol. A voir!

Je passe en revanche sur « Double je » (à l’exception peut-être du labyrinthe), exploration d’une scène de crime au palais de Tokyo, exposition très hétéroclite, ménageant plus de place aux artisans d’art qu’aux artistes et où il est difficile de véritablement pénétrer malgré la fiction qui la sous-tend.

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