I musei capitolini, Roma

Guerrier blessé, 1er siècle après JC_Musei Capitolini, Roma, 31 juillet 2021

Entre 1534 et 1549, Michel-Ange aménage la piazza del Campidoglio sur la colline homonyme, -dépression entre l’ancien temple de Junon Moneta et celui de Jupiter Capitolinus, cœur de la Rome antique- autour de la statue équestre en bronze de Marc-Aurèle, auparavant au Latran, qu’il place au centre de la place, sur une base ovoïde, en exploitant les irrégularités du terrain.

Musei Capitolini, Roma, 31 juillet 2021

Créant il palazzo nuovo, symétrique du palazzo dei Conservatori, il dynamise l’ensemble en dessinant un pavement en forme d’étoile inscrit dans un ovale, en creux, et une place en forme de trapèze -loin de la stabilité du carré et de la perfection du cercle- qui accentue le palais du fond, il palazzo senatorio. Une grande rampe donne accès à la place, la rendant théâtrale. Michel-ange use en outre d’un ordre corinthien colossal en façade, articulé par des pilastres et affirmant les verticales -ce que soulignent les statues-, lui conférant plus de monumentalité et d’expressivité mais en rupture avec Vitruve ou Alberti.

Les musei capitolini abritent une remarquable collection d’antiques, dont plusieurs célèbres bronzes : la Louve, le Brutus, la statue équestre de Marc-Aurèle, le tireur d’épines. Probablement réalisé entre 161-180 après JC, le monument équestre dédié à Marc-Aurèle est la seule statue équestre antique de cette taille qui soit parvenue jusqu’à nous et à ce titre a valeur de symbole, de défi technique et de référence pour les monuments équestres ultérieurs, particulièrement à la Renaissance tels que le Gattamelata de Donatello ou le Colleoni de Verrocchio. Apparues au milieu du VIe siècle avant JC en l’honneur des cavaliers victorieux à la course, les statues équestres étaient, dès l’époque hellénistique, réservées aux plus hauts personnages.

Il Camillo e il Marco Aurelio_Musei Capitolini, Roma, 31 juillet 2021

D’une taille colossale, le Marc-Aurèle se révèle des plus majestueux. Assis sur un cheval puissant qu’il monte sans étrier, la tête légèrement tournée vers la droite, il lève le bras droit dans un geste de salut et de clémence, non sans autorité, reflet de la philosophie de maîtrise de soi et de pacification du modèle. Il porte une tunique courte ceinturée à la taille, un manteau retenu sur l’épaule droite, des chaussures en cuir. On ignore son emplacement initial, peut-être le forum romain, mais c’est Paul III, en 1538, qui le fait transférer du Latran au Capitole.  S’il fut identifié un temps comme la statue de Constantin –ce qui le sauva probablement de la destruction-, on reconnaît Marc-Aurèle, au regard d’autres portraits, par son visage ovale, les lignes arrondies de ses sourcils, ses grands yeux, son nez droit, sa bouche étroite et sa moustache tombante, sa chevelure épaisse et bouclée et sa barbe mi-longue. La qualité de traitement du cheval est tout aussi admirable. Grand, fort, l’animal est représenté avec réalisme, les naseaux dilatés, les lèvres tirées par le mors, une jambe levée, tout juste stoppé par son cavalier, lequel tient les rênes (perdus) dans la main gauche.

Lupa capitolina et Costantino_Musei Capitolini, Roma, 31 juillet 2021

Autre œuvre emblématique, la Louve remonte au Ve siècle avant JC et fut probablement réalisée par un atelier étrusque ou de la Grande Grèce –quoique cette datation ait été remise en question récemment pour une définition médiévale-. Sans lien avec les origines de Rome, elle en devint rapidement le symbole, Pollaiolo lui ajoutant les deux jumeaux Romulus et Rémus au XVe siècle alors que la statue ornait la façade du palais des Conservateurs.

Petite sculpture en bronze du 1er siècle avant JC, le tireur d’épines fascina nombre d’artistes par sa posture singulière et pleine de grâce –ce que l’exposition sur la Renaissance italienne « le corps et l’âme » du Louvre nous a rappelé dernièrement. Elle représente un jeune homme assis, les jambes croisés, retirant une épine de son pied gauche et mêle références hellénistiques (le corps) et classiques (la tête). Elle voisine avec un remarquable portrait dit de Brutus datant des IV-IIIe siècles avant JC, ce qui le rend d’autant plus précieux que les portraits en bronze étaient alors extrêmement rares. Son identification, à tort, avec le consul romain est due à son extraordinaire force expressive. 

Cavallo, bronzo da vicolo delle Palme_Musei Capitolini, Roma, 31 juillet 2021

Chef d’œuvre grec du Ve ou IVe siècles avant JC, un superbe cheval trouvé en 1849 dans le Trastevere accompagné d’un taureau, est également conservé dans les collections capitolines. L’animal semble prêt à partir au galop, la jambe gauche déjà levée, à peine retenu par ses rênes, sans doute monté à l’origine par un cavalier perdu. L’incroyable traitement de l’anatomie, la musculature détaillée et puissante, suggèrent une attribution à Lysippe ou à Hegias, maître de Phidias. A noter également un admirable groupe sculpté en marbre grec représentant de jeunes filles jouant de la fin du IVe siècle, la poitrine dénudée, vêtues d’un admirable drapé flottant qui dessine les hanches de la jeune fille de front qui porte la seconde sur son dos, dans un mouvement élancé sinon dansant.

Par-delà ce superbe ensemble de pièces en bronze, les musei capitolini abondent de fait de chefs-d’œuvres en marbre, tels que l’Antinoüs capitolin, de l’époque d’Hadrien,  Amour et Psyché, réalisé d’après un original grec du IIe siècle avant JC, Eros bandant son arc et Hermès, copies d’après Lysippe, le groupe sculpté de l’Aurige, réinterprétation d’époque impériale de modèles grecs du Ve siècle avant JC, l’Apollon de 138-161 après JC d’après un original grec, une copie diu Diadumène de Polyclète (420 avant JC) de très belle tenue ou encore la Vénus du Capitole sculptée d’après un original de Praxitèle (IVe siècle avant JC). Cette-dernière –probable variante de la Venus pudica-, légèrement plus grande que nature, représente Aphrodite sortant du bain, nue, penchée en avant, la jambe droite fléchie en avant, le corps reposant sur la jambe gauche, la tête légèrement tournée vers la gauche, les cheveux tressés, attachés par un nœud, quelques boucles retombant sur ses épaules. Ses traits expriment une certaine absence méditative, ce que renforcent des petits yeux languides et une bouche charnue. Ses formes sont soulignées par ses bras qui couvrent délicatement sa poitrine et son sexe. On remarquera également la très belle Vénus de l’Esquilin, d’époque hellénistique si l’on en croit son identification à Isis par la présence d’un serpent. La déesse est également représentée au sortir du bain.

Musei capitolini, Roma_30 juillet 2020

Sculpté au 1er siècle après JC, le guerrier blessé est une réélaboration du Discobole de Myron (460 avant JC). Seul le torse est antique, le reste de la sculpture est une interprétation de Pierre-Etienne Monnot. La posture est remarquable, un homme nu, à la musculature de toute beauté, se tient quasiment agenouillé à terre, le bras gauche tendu appuyé sur le sol et portant l’essentiel de son corps ainsi que son bouclier, tandis que le bras droit, que suit son visage incliné, est dressé vers le ciel, l’ensemble formant une puissante diagonale.

Galate mourant_Musei Capitolini, Roma, 31 juillet 2021

Issu de la collection Ludovisi, le galate mourant représente un gaulois blessé d’un grand pathos. Tout son corps, nu, se penche sur le côté droit, ce qu’accentue sa main gauche posée sur sa cuisse droite blessée, la tête penchée dans une expression douloureuse, les cheveux en désordre. Le haut de son corps est en déséquilibre tandis que sa jambe droite est repliée, la gauche étendue. Il incarne certes la défaite mais également le courage d’un combattant vaincu. L’œuvre provient peut-être d’une célébration pergaméienne du temple d’Athéna Nikephoros de la victoire sur les Galates.

Leone che attacca un cavallo_Musei capitolini, Roma_30 juillet 2020

Le groupe sculpté du lion attaquant un cheval, profondément admiré par Michelangelo et d’époque hellénistique, est l’une des pièces les plus impressionnantes de la collection. Il provient probablement d’un monument commémorant les victoires d’Alexandre le Grand sur les Perses. Par-delà le traitement magistral des musculatures des deux animaux, la composition se révèle d’une remarquable inventivité, le cheval terrassé, cabré, déjà au sol, subissant l’assaut de la mâchoire du fauve qui inscrit ses griffes sur son dos et commence à le dévorer.

A noter également quelques admirables portraits tels que le buste de Commode en Hercule (180-193 après JC). L’empereur porte sur la tête la peau du lion de Némée dont les pattes sont nouées sur sa poitrine nue, la massue dans sa main droite, les pommes d’or des Hespérides dans la main gauche, en souvenir de certains des travaux du héros grec. Le socle est constitué d’une étonnante composition allégorique faite d’un globe avec les symboles du zodiaque flanqué de deux amazones agenouillées (une seule est conservée) qui soutiennent des cornes d’abondance se croisant autour d’une pelte. Ou encore la statue colossale de Constantin qui remonte à 313-324 avant JC, de superbes reliefs tels que les ménades dansantes, réplique néoattique du Donario pour les Bacchantes d’Euripide réalisé par Kallimachos (406-405 av JC), un très beau relief représentant Endymion endormi ou les scènes de combat d’une redoutable puissance de plusieurs sarcophages.

Si les antiques accaparent à juste titre toute l’attention, on relève ça et là quelques admirables créations modernes tels que la Méduse et la statue monumentale en marbre d’Urbain VIII de Bernini (1635-1640) qui fait face au bronze d’Innocent X de l’Algarde (1645-1649) ou encore des décors peints sur l’histoire romaine d’après Tite Live tels que les fresques de la salle des Horaces et Curiaces réalisées par le maniériste le cavalier d’Arpino à partir de 1595 à l’imitation d’une tenture, chaque fresque étant bordée de festons de fruits et de fleurs, de trophées d’armes et de vases. Parmi les scènes dépeintes, on relève la découverte de la louve –inspirée de la louve capitoline-avec Rémulus et Remus, la bataille de Tullius Hostilius contre les forces de Véies et de Fidènes, le combat entre les Horaces et les Curiaces, l’enlèvement des Sabines…

Bernini, Méduse_Musei Capitolini, Roma, 31 juillet 2021

Réalisée en 1644-1648, la Méduse de Bernini est un véritable portrait en buste et non simplement la tête de la Gorgone, saisi au moment de sa métamorphose, le regard douloureux et angoissé, la tête légèrement inclinée. Elle semble observer son image réfléchie tandis qu’elle se pétrifie, incarnant le pouvoir du sculpteur capable de pétrifier de stupeur le spectateur par sa dextérité. L’œuvre témoigne, selon Wittkower, d’une période relativement classicisante de l’artiste caractérisée par le traitement lisse de la peau et le regard vide. De fait, le poli du visage contraste violemment avec son ample et pesante chevelure de serpents.

Palma vecchio, cristo e l’adultera, au centre Titien, baptême du Christ, à droite, Le balestrière de Lotto_Musei Capitolini, Roma, 31 juillet 2021

Quoique relativement modeste, la pinacothèque capitoline comprend quelques œuvres dignes d’attention. La peinture vénitienne est représentée par des toiles telles que  le baptême du Christ, œuvre de jeunesse de Titien (1512) au coloris superbe, le Christ y est dépeint dans le fleuve, dans un superbe cadre paysager, avec un jeune Jean Baptiste à demi agenouillé lui versant de l’eau sur la tête ;  Lotto (il balestriere, 1551-52, vêtu d’un habit noir des plus sobres, armé, le regard vide), Palma Vecchio (le Christ et la femme adultère, 1525-28, où l’artiste réduit la scène à ses principaux protagonistes représentés en buste).

Le cœur de la collection réside toutefois dans la peinture du XVIIe siècle, avec un très bel ensemble de toiles de Guido Reni dont un Saint Sébastien dans une nature boisée sauvage en harmonie avec sa chevelure bouclée et où l’artiste concentre l’attention sur la souffrance du saint et la dimension mystique de la scène (vers 1615), Lucrèce et Cléopâtre, deux pièces voisines inspirées d’un antique, la tête légèrement tournée et le regard douloureux levé vers le haut, avec le même geste, le même drapé, l’une représentée avec l’aspic, l’autre avec une lame, Maddeleine pénitente –l’essentiel de ces toiles, réalisées à des fins dévotionnelles, datant de la fin de la vie de l’artiste-.

Par-delà une très belle illustration du mythe de Diane et Endymion de Mola (1660) qui s’inspire d’une fresque de Carracci sur le même thème, sur la voûte de la Galleria Farnese et représente le jeune homme endormi, le corps disposé en oblique, veillé par Diane sur des nuées, avec un chien au 1er plan rappelant qu’Endymion est un pâtre et des pièces admirables de Guercino dont un splendide st Jean Baptiste adolescent qui incite à la méditation religieuse, vers 1645, une mélancolique sibylle persique, 1647 et Domenichino (la sibylle de Cumes, vers 1610, d’une beauté idéalisée mais hautement sensuelle, marquée par l’extase de ste Catherine de Raphaël), deux toiles de Caravaggio dialoguent avec un portrait d’homme vêtu de noir de Vélazquez assez intimiste, le regard fixe et profond (1630).

La diseuse de Bonne Aventure (1595-96), dont une autre version est conservée au Louvre, représente un jeune homme dans un superbe costume, penché vers la gitane, le regard souriant, confiant, tandis que celle-ci faisant semblant de lui lire les lignes de la main lui dérobe un anneau. Le st Jean-Baptiste, 1601-1602, dont une réplique se trouve à la galleria Doria-Pamphili, représente le jeune saint nu, entouré de drapés sensuels, dans un geste équivoque, enlaçant un bélier, victime sacrificielle, rare allusion à l’identité du protagoniste dans cette peinture. Le corps, au réalisme accentué par la lumière douce qui le caresse et contraste avec le fond sombre, se caractérise par son profond érotisme que souligne le rendu velouté des tissus, des chairs et des végétaux. Relecture d’un ignudo de Michel-Ange, dans une posture difficile, le corps de st Jean-Baptiste se situe dans un seul et même plan et l’agencement des membres en un contrapposto garantit l’équilibre et la cohésion de la composition tandis que la  diagonale du bâton au crucifix s’oppose à celle des épaules et genoux.

Cortona, ratto delle Sabine_Musei capitolini, Roma_30 juillet 2020

Actuellement en restauration, Le superbe enlèvement des Sabines a été réalisé par Pieto da Cortona pour les Sacchetti en 1629. La composition asymétrique de la scène ainsi que le décor architectural, les références antiques, accroient la théâtralité des trois groupes sculpturaux mis en lumière, avec un clin d’œil à l’enlèvement de Prosperpine de Bernini dans le groupe de droite. L’espace pictural semble par ailleurs délimité par les bras, les genoux charnus, les épaules, les branches touffues. Les jeunes femmes ne semblent arrachées au sol qu’avec un grand effort contre la gravitation et l’influence raphaélesque se ressent dans le traitement clair des formes. La dynamique remarquable de la toile, marquée par les corps animés, la gestuelle vive, est accentuée par les jeux de drapés défaits et le choix exemplaire des couleurs.

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