
Entre réalisme et idéalisation, la statuaire romaine, et plus précisément le portrait, pose de grandes difficultés d’identification. En effet, d’une part les socles et inscriptions assurant cette identification sont souvent perdus ou séparés des statues et bustes, d’autre part on observe une tendance à l’imitation, dans les portraits privés, de types importants et particulièrement du portrait impérial. Ce-dernier, à vocation politique, image officielle, type iconographique que se donne l’empereur à un instant donné, est diffusé dans tout l’Empire à partir d’une image prototypique (ur-bild, buste en argile modelé à l’avènement de l’empereur) transposée en marbre par la mise aux points puis copiée en série avec plus ou moins de talent dans différentes officines. Il inspire ainsi la coiffure, l’attitude, la mimique des hommes de sa génération, le « zeit gesicht », le visage que l’on a à une certaine époque.
Si nombre des antiques des musei vaticani (Pio Clementino, Braccio Nuovo, Chiaramonti…) semblent identifiés, il convient donc de garder une certaine prudence face à ces impressionnantes galeries de portraits et de statues dont l’origine remonte au début du XVIe siècle, lors de la création de la Cour de l’Octogone par Jules II. Les collections pontificales antiques se développèrent peu à peu, au gré des fouilles de Rome et du Latium ainsi que d’achats auprès de collectionneurs, notamment au second XVIIIe siècle.
C’est toujours dans la Cour de l’Octogone que sont réunis les plus grands chefs-d’œuvres de la collection antique, témoignant du désir de Jules II de faire revivre la Rome impériale. Si l’Apollon du Belvédère est actuellement en restauration et qu’il ne m’a pas davantage été possible de contempler l’Ariane endormie et le torse du Belvédère, l’Hermès du Belvédère, découvert vers 1540 dans les jardins du Mausolée d’Hadrien n’en est pas moins remarquable dans son attitude empreinte de mélancolie, les yeux baissés. S’inspirant des œuvres de l’école de Praxitèle, il représente le messager des Dieux comme psychopompe, c’est-à-dire lorsqu’il accompagne les défunts au royaume des morts.
L’œuvre voisine avec un imposant Dieu fleuve, l’Arno de l’époque d’Hadrien qui ornait une fontaine formée d’un sarcophage du IIe siècle après JC représentant une amazonomachie. Elle adopte quasiment la même posture allongée, le buste redressé, sur le côté, que le Nil découvert en 1513 près du Champ de Mars. Les deux statues s’inspirent de l’art hellénistique. Le Nil, représenté sous les traits d’un vieil homme, est identifiable par la présence d’un sphinx symbolisant l’Egypte, un paysage nilotique sur le socle et des animaux exotiques (crocodiles, hippopotames…)
L’œuvre la plus stupéfiante de la Cour n’en est pas moins le célèbre Laocoon (vers 40-30 avant JC, probablement d’après un bronze hellénistique), découvert en 1506 sur l’Esquilin, à l’origine sans le bras original retrouvé seulement au début du XXe siècle. Pline le décrit comme l’œuvre des sculpteurs de Rhodes Agésandros, Athanodoros et Polydoros (Ier siècle avant JC), sculptée dans un seul bloc de marbre –il s’agit en réalité de sept blocs parfaitement ajustés-, qui ornait le palais de Titus à Rome tout en rappelant l’origine troyenne de la ville. L’œuvre s’inspire en effet d’un épisode de la guerre de Troie narré par Virgile dans l’Enéide. Laocoon, prêtre troyen, est tué, avec ses deux fils, par deux énormes serpents envoyés par Athéna et Poséidon, favorables aux Grecs, alors qu’il suggérait aux troyens de détruire le cheval de bois laissé par leurs assaillants.
D’un remarquable réalisme anatomique et d’une grande expressivité, le groupe sculpté montre le prêtre et ses fils se débattant vainement, étroitement enlacés par les serpents. Alors que le fils cadet meurt et que le fils aîné assiste à la scène en attendant son heure, son père, mordu à la hanche et dont le corps, au centre, forme une longue diagonale et exprime, les yeux levés vers le ciel, toute sa souffrance. Le contraste entre le déploiement de force, la puissante musculature toute en tension du grand prêtre, et l’impuissance qui se dessine sur ses traits, est tout à fait saisissant. L’œuvre est d’emblée admirée, copiée, et inspire d’autres chefs-d’œuvre. Elle suscite également un vif débat sur le Beau et ce qu’il est légitime ou non de représenter, au XVIIIe siècle, particulièrement entre l’apôtre du néoclassicisme, Winckelmann, et Lessing. D’après Winckelmann, il s’agit d’un « prodige de l’art, où de la plus grande douleur naît la plus grande beauté » et le fait que le Laocoon retienne son cri (le ventre contracté, la poitrine opprimée) reflèterait une force morale perceptible sur ses traits, sa compassion envers ses enfants souffrants. Selon Lessing, il s’agirait d’un choix esthétique, le refus de troubler les lignes, de déformer les traits afin de préserver la beauté de l’oeuvre : le cri étant inesthétique par excellence.
Canova, Persée avec la tête de Méduse_Vatican_29 juillet 2021 A titre de comparaison, Apollon du Belvédère
La présence quelque peu surprenante d’une statue « moderne », une œuvre de Canova, Persée avec la tête de Méduse (1804-1806), dans la Cour de l’Octogone, rappelle toutefois la possibilité de concilier les deux interprétations, une ligne simplifiée pouvant parfois exprimer le paroxysme de la douleur. Une présence qui s’explique toutefois de par le rôle que joua l’artiste dans l’aménagement des musées du Vatican entre 1807-1810 et dans le rapatriement, en 1815, des antiques emportés à Paris. L’œuvre canovienne fut d’ailleurs achetée par le pape Pie VII afin de remplacer l’Apollon du Belvédère pris par Napoléon. Au vu de son succès, elle fut maintenue en place au retour du célèbre antique au Vatican.
La statue représente Persée triomphant après avoir coupé la tête de Méduse qu’il tient froidement à bout de bras de sa main gauche, la droite brandissant son arme. Il porte un couvre-chef ailé, les sandales de Mercure et la faux que celui-ci lui offrit pour tuer la Gorgone. Réplique néoclassique du chef-d’œuvre florentin de Cellini (Loggia dei Lanzi), le Persée adopte la posture, la pondération, les proportions, la gestuelle et l’expressivité de l’Apollon du Belvédère tout en donnant l’illusion du mouvement, de la légèreté, de l’instant capturé dans le marbre, de la vie.
Tandis que les visages, les nudités antiques défilent devant nos yeux au fil des galeries et des salles, quelques œuvres particulièrement belles, expressives ou encore solennelles arrêtent plus longuement le regard. Découvert dans la villa Livie à Prima Porta, l’Auguste de Prima Porta (1er siècle après JC) est assurément la représentation la plus illustre de l’empereur, image créée vers 27 avant JC et reprise jusqu’en 14. Celui-ci, en train de parler à ses soldats (adlocutio), porte une cuirasse ornée de reliefs du roi de Parthes rendant les insignes prises à Crassus ainsi que le char d’Apollon et celui de Diane et un palludamentum. Il adopte le contrapposto, les proportions idéales, la mâchoire arrondie, les lèvres épaisses, la tête inclinée du Doryphore de Polyclète, la référence grecque visant à l’héroïsation, l’idéalisation à l’image du jeune athlète.
Copie d’un bronze de Lysippe de 320 avant JC environ, l’Apoxyomène (milieu du 1er siècle après JC) représente un athlète ôtant de son bras droit tendu avec un strigile le sable et l’huile dont il s’est oint avant la compétition. Le rendu du mouvement des bras, leur élan intense vers l’avant, créent un espace clos et donnent de la profondeur à la représentation.
Faisant écho aux admirables guerrier blessé ou Galate mourant des musei capitolini, le guerrier perse (copie romaine datant de 110-120 après JC de l’un des groupes sculptés voulus par Attale II de Pergame vers 160-150 avant JC pour célébrer les victoires grecques, ici sur les Perses après Marathon en 490 avant JC), identifiable par son bonnet phrygien, est représenté lors d’un dernier geste défensif –le bras levé, armé d’une épée, le corps recroquevillé, un genou déjà à terre, penché vers l’arrière-, ses traits défaits exprimant magistralement l’horreur de la défaite.
Gradiva_Musei vaticani_27 juillet 2020 Fregio, gigantomachie_Musei vaticani_27 juillet 2020
Parmi les nombreux bas-reliefs dignes d’attention, décorations de sarcophages, frises telles qu’une admirable gigantomachie du IIe siècle après JC représentant Artémis et Latone contre des Géants, une composition, Gradiva (ce qui signifie en latin, « celle qui marche »), représente une triade de femmes progressant vers la droite face à deux autres jeunes filles de reliefs conservés dans d’autres musées : ce sont les Heures et les Aglaurides sculptées d’après un original grec du IVe siècle avant JC.
Antiques_Musei vaticani_Vatican_27 juillet 2020 Ecole de Raphael, la Resurrezione_galleria degli arazzi_Vatican_29 juillet 2021 Galleria delle carte geografiche_Vatican_29 juillet 2021
Par-delà les galeries d’antiques, les musei vaticani comprennent également de somptueux décors du XVIe siècle tels que la galleria degli arazzi et sa suite de tapisseries représentant des scènes du Nouveau Testament, de l’école de Raphaël, ou encore la galleria delle carte geografiche qui dépeint des régions italiennes et des possessions de l’église (1580-1583), des ports, des scènes majeures de l’histoire de l’Eglise comme la bataille de Lépante (1571) en relation avec les régions dépeintes, œuvre du géographe et mathématicien Egnazio Danti transposé en fresques par Girolamo Muziano, Cesare Nebbia et les frères Bril avec une voûte richement ornée de stucs et de grottesques.
Ou encore l’appartement Borgia (pape de 1492 à 1503) dont les six salles monumentales dédiées aux Sibylles et aux Prophètes accompagnés des planètes et signes zodiacaux, au Credo, aux Arts libéraux, aux Saints et Mystères, aux Pontifes etc. sont l’œuvre de Pinturicchio, autre célèbre élève de Perugino,.et ses aides (Piermatteo d’Amelia, Benedetto Bonfigli, Pietro d’Andrea, Antonio da Viterbo, Bartolomeo di Giovanni et Raffaellino del Garbo). L’artiste accentue les nervures de la voûte, créant de forts encadrements où placer ses scènes. Il mêle par ailleurs plusieurs techniques qui lui permettent une gamme de pigments plus étendue que l’art de la fresque et expliquent la splendeur chromatiques des décors, dans un esprit entre gothique tardif et Renaissance par le recours à la perspective et à l’antique.
Giorgio Morandi, natura morta italian 1957_museo contemporaneo_Vatican_27 juillet 20 Van Gogh, Pietà_museo contemporaneo_Vatican_27 juillet 2020
Ces salles abritent une part de la collection d’art contemporain des musei vaticani, collection inaugurée en 1971 et qui reflète sans doute un désir du pape de s’inscrire dans la prodigieuse tradition de collectionnisme et de commandes artistiques de ses grands prédécesseurs. Elle comprend quelques pièces remarquables de Dali (montres molles dans un paysage angélique, 1977, l’Annonce, 1960), Morandi, Matisse, Bacon (une étude d’après le portrait d’Innocent X par Velazquez, de 1961), Sutherland, Van Gogh (la Pietà, réalisée d’après une lithographie de Delacroix et peinte peu avant sa mort, en 1890)…

Dans la chapelle d’Urbain VIII, créée en 1631 et ornée de stucs dorés et de scènes de la Passion dans les lunettes réalisées par le florentin Alessandro Vaiani, on relève, sur l’autel, une superbe Pietà de Pietro da Cortona, peinte en 1635. Au centre, le Christ, le corps nu simplement couvert d’un drapé violacé autour de ses hanches, est assis sur le rebord de la pierre tombale, soutenu sous les aisselles par Nicodème tandis que sa tête, penchée sur son épaule droite, et les stigmates visibles sur ses pieds et ses mains, rappellent la récente Descente de croix. A l’opposé de Nicodème qui porte une robe vert pâle et un manteau rougeâtre, Marie-Madeleine, vêtue d’une somptueuse robe jaune-orangé et à la longue chevelure blond vénitien, est agenouillée à ses pieds, portant sa main droite à ses lèvres. Au second plan, la vierge, vêtue d’un long drapé bleu pâle qui lui couvre la tête, les mains entremêlées en prière, regarde vers le ciel. La qualité du modelé, le raffinement des couleurs, la cohérence de la composition, des différents protagonistes rassemblés autour du corps du Christ, sont tout à fait admirables.
Détail des Noces Aldobrandines Guido Reni, storie di Sansone_Vatican_29 juillet 2021
La salle des Noces Aldobrandines, édifiée par Flaminio Ponzio entre 1605 et 1608 et lieu de conservation de la célèbre scène nuptiale romaine homonyme découverte sur l’Esquilin en 1601, recèle également de remarquables peintures du XVIIe siècle, sur la voûte, œuvres de Guido Reni dédiées à la Vie de Samson.



