Quoique relativement modeste au regard de la vastitude des musei vaticani avec leurs collections d’antiques (museo Pio Clementino, Braccio nuovo), d’art égyptien, d’art contemporain et leurs décorations somptueuses (galleria delle mappe, galleria degli arazzi, appartement Borgia, stanze vaticane, cappella Sixtina…), la pinacothèque vaticane recèle de purs chefs-d’oeuvres.
La salle consacrée à Raffaello est assurément la plus fascinante, la tenture des Actes des Apôtres tissée pour les murs de la chapelle Sixtine entourant la Transfiguration, la Madona di Foligno et le Couronnement de la Vierge.

Dernière œuvre du maître, peinte en 1518-1520 pour la cathédrale de Narbonne suite à une commande son évêque, le cardinal Jules de Médicis, la Transfiguration est totalement éblouissante de part la grâce et la lumière qui émane du Christ, l’incroyable expressivité de chaque personnage de la scène, l’inventivité et la complexité remarquablement maîtrisée de la composition. L’œuvre témoigne par ailleurs de sa parfaite assimilation de l’art de Vinci, de Michel-Ange et des antiques. Elle renouvelle profondément la pala d’autel par son dynamisme tragique, sa magistrale beauté et sa cohérence interne.
Raphaël sépare strictement les registres céleste et terrestre -le Ciel symbole de Rédemption et l’Humanité envahie par le mal-, tout en assurant un lien magistral entre eux, par la couleur, la géométrie, la gestuelle, le rythme et la présence des trois apôtres placés dans une forme en amande, à l’intersection de deux cercles. Il les fait contraster harmonieusement : l’immobilité de la scène représentée dans les cieux s’opposant à une foule turbulente sur terre dont les corps expriment la diversité des réactions, dont les bras levés et convergeant vers le Christ participent de l’unité de la composition ; la lumière blanche et la clarté de l’une s’opposant aux couleurs plus vives, aux volumes dessinés par un fort clair-obscur, de l’autre ; la beauté idéale du Christ s’opposant aux traits déformés du groupe entourant l’enfant dominé par une figure de dos, tournante, d’une incroyable audace plastique, au 1er plan, une femme qui désigne aux apôtres l’épileptique et unie ainsi les deux groupes du registre inférieur.
La composition est structurée selon trois registres : les apôtres, en bas du Mont Thabor, en plein désarroi (les bras tendus, les bustes penchés), incapables de guérir le jeune épileptique qui se tord de convulsions, aux yeux révulsés ; Pierre, Jacques et Jean, au sommet du Mont, courbés, terrassés par la lumière tandis que Félix et Agapit, en retrait, prient humblement ; le Christ en gloire, au centre du registre supérieur, les bras ouverts rappelant quelque peu la Crucifixion, en contrapposto. Vision de béatitude d’une incroyable élégance, tout de blanc vêtu, flanqué des prophètes Moïse et Elie, ce-dernier se déploie dynamiquement dans des nuées blanches, magnifié par le flottement des drapés et des cheveux, le contour de sa silhouette en contrapposto soulignée par la lumière irréelle qui l’entoure tout en frappant d’éclat le spectateur. L’artiste réunit en effet deux épisodes décrits successivement dans l’Evangile selon st Matthieu, la Transfiguration et la rencontre des Apôtres avec l’enfant possédé que Jésus guérira à son retour du Mont Thabor.
De part et d’autre de la Transfiguration, on peut contempler le Couronnement de la Vierge et la Madonna di Foligno. Le Couronnement, peint pour l’autel de la chapelle Oddi de la Chiesa san Francesco al Prato de Perugia entre 1502 et 1504, est une œuvre de jeunesse encore proche du style de Perugino. Elle représente, dans la partie supérieure, sur un fin tapis de nuages, le Christ couronnant la Vierge, entre des anges musiciens d’une grande élégance, et, formant un cercle autour de la tombe, dans la partie inférieure, les apôtres dont les regards levés assurent une cohérence à l’ensemble. Raphaël regroupe ici deux scènes fréquentes au Quattrocento, le Couronnement et la remise de la ceinture à st Thomas.
Si l’œuvre se ressent encore de l’influence stylistique de son maître, Perugino, et de Pinturicchio (variété et brillance des coloris, proportions courtes des personnages), la plénitude, la fermeté et l’amplitude des formes, l’individualisation des traits des apôtres d’une grande finesse psychologique, le paysage serein à l’arrière-plan reflètent déjà une remarquable maturité. Raphaël décentre par ailleurs subtilement la composition et rompt une symétrie trop rigoureuse en plaçant le tombeau, -massif volume quadrangulaire dont l’arête verticale marquée est dans l’axe du corps de la Vierge-, en diagonale, et en faisant s’avancer vers le centre le disciple de droite.
La Madonna di Foligno regroupe la Vierge à l’enfant en gloire, se détachant sur un ciel de putti et un grand nimbe jaune-orangé, adorée par st Jean-Baptiste, st François d’Assise, st Jérôme et Sigismondo de’Conti, humaniste de Foligno et secrétaire pontifical. De forme cintrée et en hauteur, il s’agit d’un ex-voto, commandé par ce-dernier pour le maître-autel de la chiesa santa Maria in Aracoeli en 1511 en remerciement d’avoir épargné sa maison de la foudre (ce que rappelle l’atmosphère orageuse). L’humaniste est dépeint en prière, à genoux, sur la droite, présenté à la Vierge par st Jérôme en habit de cardinal tandis que sur la gauche st Jean-Baptiste, vêtu de peaux, nous regarde et désigne l’apparition devant laquelle st François s’agenouille. Au centre, un magnifique angelot joufflu tient une plaque, probable rappel du vœu exaucé.
La composition affirme la structure pyramidale mais développe, en plaçant la Vierge dans les nuages, une solution nouvelle séparant strictement le registre céleste quelque peu hiératique et le registre terrestre plus animé et expressif. La plénitude des putti, le clair-obscur raffiné, les drapés solides et fluides, l’éloquence expressive des attitudes, les visages chargés d’émotion, la forte caractérisation des figures signalent le style de la maturité de l’artiste et une intensité nouvelle. L’œuvre, contemporaine de la stanza di Eliodoro, témoigne par ailleurs d’un nouvel usage de la lumière. La scène se déploie dans un paysage de toute beauté comme après l’orage avec des tonalités de mauves et de bleus embrumés à l’arrière-plan, d’ors et de verts saturés, contrastés et ponctués de soleil par ailleurs.
Si les cartons réalisés par Raphaël pour la tenture des Actes des Apôtres qui ornait la chapelle Sixtine sont conservés à Londres, cette-dernière se trouve à la pinacothèque vaticane. Confiée à Raphaël en 1514-1515, elle a été tissée par le meilleur atelier de l’époque, celui de Pieter van Aelst à Bruxelles et représente des scènes de la vie de st Pierre et de la vie de st Paul, tous deux martyrisés à Rome et prédécesseurs du pape Léon X, le commanditaire de la suite. Cette tenture constitue un véritable tournant dans l’histoire de la tapisserie, nécessitant un rendu fidèle car l’artiste déploie un véritable espace pictural où mettre en scène ses personnages, avec des effets atmosphériques, un travail remarquable de la lumière et de la couleur et non le fond monochrome ou millefleurs traditionnel. Dans la sublime pêche miraculeuse, en dépit d’une composition en frise à l’antique de Pierre, Jacques, Simon et leurs compagnons sur deux barques placées en parallèle de la ligne d’horizon, au premier plan, leurs corps tout en muscles, en train de tirer le filet saturé de poissons, témoignent d’un remarquable traitement des volumes et se reflètent dans l’eau. A l’arrière-plan, sur le rivage, on distingue la colline du Vatican et st Pierre en construction ainsi qu’une flore et une faune très délicates.
A noter également dans les salles suivantes des œuvres de son élève, Giulio Romano, dont le Couronnement de la Vierge (1505-1525) commandé par les clarisses du couvent de Monteluce ou encore le carton préparatoire de la Lapidazione di Santo Stefano (1530).
Une autre salle tout à fait époustouflante réunit un chef-d’œuvre de Caravaggio, la mise au tombeau, réalisée en 1602-1603, des toiles de Guido Reni dont la remarquable Crucifixion de st Pierre de 1604-1605 commandée par le cardinal Pietro Aldobrandini pour la chiesa di san Paolo alle tre fontane, encore marquée par l’influence du Caravage malgré une composition pyramidale assez traditionnelle et équilibrée par les gestes et attitudes, Domenichino, Poussin…et d’étonnants modèles de Bernini pour les anges de la chaire de st Pierre.
Caravage, Déposition 1602 03_pinacoteca vaticana_29 juillet 2021 A titre de comparaison, Giotto, lamentation, chapelle Scrovegni, Padoue
Composition parmi les plus monumentales du Caravaggio –ce que renforce le choix d’un point de vue assez bas-, la mise au tombeau provient de la Chiesa Nuova, commandée par Girolamo Vittrice pour sa chapelle familiale. Il ne s’agit ni d’une mise au tombeau, ni d’une déposition traditionnelles, le Christ n’étant pas représenté lorsqu’on le met au tombeau mais lorsque Nicodème et st Joseph l’étendent sur la pierre de l’Onction en présence de femmes pieuses (Marie de Clopas, Marie-Madeleine) et de la Vierge. Le mouvement est arrêté mais signifié par un léger retrait en diagonal vers la gauche, le corps du Christ, pesant, baigné dans la lumière dans une attitude d’abandon que renforce le drapé souple du linceul replié sur le couvercle du tombeau, comme sortant de l’œuvre, s’inspire du Giotto de la cappella Scrovegni (1304-1306).
L’artiste distribue ses différents personnages selon un arc de cercle, un éventail compact et sculptural, depuis le corps du Christ, à l’horizontal, soutenu par Joseph d’Arimathie qui va être déposé sur la pierre de l’Onction jusqu’à Marie de Clopas désespérée, les bras et les yeux levés vers le ciel, à la verticale. Les personnages, aux volumes parfaitement modelés, aux expressions précisées par un puissant clair-obscur, sont courbés, recroquevillés, voûtés, exprimant l’humilité, la soumission ou encore le deuil (Marie est en effet le point focal de la scène et semble vouloir caresser une dernière fois le visage de son Fils). La composition les lie tandis que la lumière et la gestuelle exacerbent la dimension dramatique de la scène. Le coin saillant de la pierre de l’Onction, en diagonale, forme un contrepoids au coude de Joseph et valorise l’autel, tout en accueillant le fidèle dans l’œuvre.
Entre 1480 et 1484, Melozzo da Forli, élève de Piero della Francesca, réalise une Ascension du Christ pour l’abside de la chiesa dei Santi Apostoli de Rome à la demande du cardinal Giuliano della Rovere. Les quatorze fragments qui en demeurent, représentant des apôtres et des anges musiciens, sont conservés à la pinacothèque vaticane. De toute beauté, les anges musiciens se dessinent sur un intense fond azzurite, leurs visages très délicats aux traits merveilleusement bien définis, leurs chevelures superbes, leurs corps monumentalisés par le traitement des volumes, témoignant de la maturité de l’artiste et de sa grande maîtrise de la perspective (traitement di sotto in su). La même salle présente la fondation de la Bibliothèque vaticane, 1477, du même artiste, fresque détachée d’une des salles de l’ancienne bibliothèque. Il s’agit d’un évènement historique que l’artiste situe dans une architecture grandiose qui en renforce la solennité. Le pape Sixte IV, fondateur de la bibliothèque en 1475 (tout comme de la collection d’antiques du Vatican) et flanqué du cardinal Giuliano della Rovere, nommant son premier conservateur, Bartolomeo Platina, agenouillé devant lui. On remarque ici la grande qualité de portraitiste de Melozzo.
Si des œuvres de Giotto (triptyque Stefaneschi, vers 1330), de Benozzo Gozzoli (la Vierge à la ceinture, encerclée d’anges sur un magnifique fond d’or quelque peu archaïque mais symbolisant l’espace divin transcendantal, peinte vers 1450 pour la chiesa san Fortunato de Montefalco), élève de Fra Angelico, du ferrarais Ercole de’Roberti (les miracles de st Vincent Ferrier, prédelle du retable Griffoni réalisé par son maître Francesco del Cossa en 1473 pour la chiesa san Petronio de Bologna) méritent tout à fait l’attention, j’insisterai à présent sur un artiste plus atypique, Carlo Crivelli. D’une incroyable puissant dramatique, la Pietà constitue probablement la partie supérieure d’un polyptyque démantelé. Elle est emblématique de l’extrême originalité stylistique de l’artiste qui mêle les éléments renaissants (perspective, modelé des volumes) et les éléments du gothique tardif (or, irréalité des figures à la ligne contorsionnée, rythme décoratif, arrière-plan couvert de têtes d’angelots, vêtements superbement brodés, chevelures raffinées).
De même que celle de Cosme Tura au Louvre (1450-1475), la pietà de Crivelli se dessine dans un espace pictural semi-circulaire, unifié derrière une balustrade. Au centre, le corps déformé et grisâtre du Christ, la tête doucement inclinée vers sa Mère, est soutenu par Cette-dernière, le visage clos, à sa droite, et st Jean, à sa gauche, tandis que Madeleine, le visage intensément douloureux, semble s’apprêter à baiser sa main. Le traitement remarquablement expressif des visages, les bouches ouvertes, hurlant de douleur, les joues baignées de larmes, est tout à fait magistral. L’œuvre voisine avec une Vierge à l’enfant tout aussi admirable du même artiste.
Vinci, st Jerome_pinacoteca vaticana_29 juillet 2021 Tiziano Vecellio, Madone à l’Enfant avec saints_pinacoteca vaticana_29 juillet 2021
Si l’on a pu admirer récemment le st Jérôme inachevé de Vinci (1480) de la pinacothèque dans l’exposition monographique célébrant le cinq-centenaire de sa mort au Louvre, une œuvre tout à fait surprenante où le saint, agenouillé devant la croix, pénitent, ascétique en dépit de recherches anatomiques très poussées, se frappe la poitrine avec la pierre qu’il tient dans la main droite, je m’intéresserai à présent à quelques toiles de l’école vénitienne. Certes, les œuvres de Titien -le doge Marcello représenté de profil dans un superbe brocart noir et or, la Vierge à l’enfant dans les nuages avec, dans le registre inférieur, les saints Catherine, Nicolas, Pierre, Antoine, François et Sébastien recueillis réalisée pour la chiesa San Nicolo della Lattuga de Venise vers 1533-1535- ou Véronèse -une sainte famille et des saints, la Vision de ste Hélène, vers 1580, vêtue d’une somptueuse robe, assise, la tête appuyée sur sa main gauche et les yeux clos, dans une attitude de repos- sont dignes d’intérêt.
Toutefois, je m’attarderai pour conclure sur un chef-d’œuvre de Giovanni Bellini, part supérieure du retable de Pesaro (1471-1474). Le retable réalisé pour la chiesa di san Francesco à Pesaro représente le couronnement de la Vierge couronné d’une Pietà. Il témoigne de la maturité de l’artiste, qui atteint un nouvel équilibre que l’artiste développera ensuite dans le retable de san Giobbe (vers 1487) et semble sublimer la leçon de Mantegna à la lumière de celle de Piero della Francesca en unifiant le cadre et le tableau par une perspective et une continuité spatiale inédites.
La pietà réunit autour du Christ mort Marie Madeleine, Nicodème et Joseph d’Arimathie dans une forte intimité en une composition solennelle qui dégage une atmosphère pesante de souffrance et d’émotions accentuée par le réalisme et le modelé des volumes des corps à l’huile. Le corps sculptural du Christ -ce qu’augmentent les plis et la pose assise sur le bord du tombeau-, est soutenu délicatement par derrière par Nicodème tandis que Joseph tient un verre et Marie Madeleine, les cheveux défaits, sa main. La contemplation méditative et le jeu des mains entrecroisées est tout à fait remarquable, de même que la disposition des personnages tous représentés de trois quarts, affrontés deux par deux.



