I musei vaticani : le stanze del divino Raffaello, Roma

Raffaello, Héliodore chassé du temple_Stanza di Eliodoro, Roma_27 juillet 2020

Si l’on en juge par l’attention du public du Louvre, la grâce de Raphaël n’a plus le même prestige qu’aux siècles passés et la terribilità de Michel-Ange et le sfumato de Vinci correspondent davantage à l’ « esprit de notre temps ». Peut-être les séquelles d’un système académique qui, lieu de débats et de rivalités constructives au XVIIe siècle, s’est peu à peu enlisé dans des principes sclérosants au point que les avant-gardes des XIXe et XXe siècles se soient principalement développées en dehors sinon contre lui. Un système qui, outre la hiérarchie des arts et la référence à l’antique, prenait comme modèle fondamental le maître d’Urbino.

Il suffit d’une visite des Musei Vaticani pour se rappeler que le prestige de Raphaël n’était aucunement usurpé…surtout lorsque la pandémie permet de contempler les stanze dans des conditions idéales…

Raffaello, The Liberation of St Peter 1514_14 janvier 2022

La décoration des stanze a été réalisée entre 1508 et 1524 à la demande du pape Jules II qui en avait fait sa résidence et est probablement l’auteur du programme. Les trois premières stanze, qui se commandent et sont voûtées d’arêtes, la stanza della Segnatura, la Stanza di Eliodoro, la Stanza dell’incendio del Borgo ont été réalisées principalement par le maître tandis que la quatrième, la stanza di Costantino, plus grande, est l’oeuvre de ses élèves. Elles montrent tout à la fois combien l’artiste est au sommet de son art et son incroyable capacité à se diversifier, à évoluer, à assimiler et transcender l’apport d’autres artistes tels que Michel-Ange, Vinci, les vénitiens. Il passe ainsi de l’équilibre spatial et compositionnel admirable de l’Ecole d’Athènes à la tension dramatique de l’Expulsion d’Héliodore, au luminisme audacieux de la Libération de st Pierre, précurseur de Caravaggio et de Rembrandt.

Raffaello, L’Ecole d’Athènes_Stanza della Segnatura, Roma_27 juillet 2020

Pièce centrale de l’appartement pontifical, la stanza della Segnatura (1509-1511) -qui prend le nom de la « Segnatura Gratiae et Iustitiae », la plus haute juridiction du Saint-Siège- était le cabinet de travail et la bibliothèque privée de Jules II, ce que soulignent les fresques ponctuées de livres, rouleaux…tenus par des écrivains ou des saints qui rappellent la nécessité du texte écrit qui diffuse le savoir, la religion, les lois, la poésie. Le soubassement en ébénisterie conçu par Fra Giovanni da Verona a probablement été détruit pendant le Sac de Rome, en 1527, et remplacé par une plinthe peinte de bas-reliefs feints, en clair-obscur, par Perino del Vaga, sous Paul III.

Emblématique de la culture humaniste, la stanza della Segnatura en incarne les quatre faces – philosophie, théologie, jurisprudence et poésie, avec en parallèle les quatre éléments et inspirées chacune par leur idéal, les plus hautes catégories de l’esprit humain : le Vrai, le Bien, le Beau- et entend accorder les idéaux de l’antiquité gréco-romaine et du christianisme. Elle reflète également le désir du pape de restaurer l’importance culturelle et politique de la Rome antique sous sa direction.

Le Vrai est représenté dans ses deux aspects, la vérité révélée, théologique (la dispute du st Sacrement) et la vérité rationnelle, philosophique (l’école d’Athènes). Le Bien est évoqué par les Vertus cardinales et théologales qui surmontent les représentations du droit civil (Trebonianus remettant les pandectes à Justinien) et du droit canon (Grégoire IX promulguant les décrétales). Le Beau est représenté par la poésie, le Parnasse. Raphaël a donné vie à ces idées abstraites en dépeignant dans chaque fresque une extraordinaire réunion de figures.

Raffaello, l’Ecole d’Athènes_Stanza della Segnatura, Roma_27 juillet 2020

Incarnation de la philosophie, de la recherche du Vrai par la raison humaine, l’Ecole d’Athènes se déroule à l’époque classique, comme l’indiquent à la fois l’architecture grandiose, inspirée de l’architecture romaine ou du projet de Bramante pour st Pierre, et les vêtements. Les personnages soulignent l’ampleur et la profondeur du cadre architectural grandiose, lequel s’impose avec force et la simplicité efficace de la perspective centrée mise en évidence par le dallage bicolore, les caissons des voûtes, les marches.

Au centre, en plein dialogue, Platon et Aristote, placés sous un portique qui évoque l’Académie et vers lesquels converge l’ensemble des lignes de fuite, se caractérisent par une pose précise et significative, l’un avec le Timée à la main, l’autre avec l’Ethique. La ligne d’horizon est placée plus haut que dans la dispute du saint Sacrement ce qui permet à Raphaël de multiplier les figures, tandis que l’architecture facilite leur distribution spatiale et le dosage de la lumière. L’artiste accorde magistralement la forme humaine et l’espace où elle s’inscrit : les arcs de cercle des arcades s’amplifient autour du groupe central des deux philosophes et rendent sonores leur parole, leur enseignement. Le volume se creuse en profondeur, suggérant une allée triomphale où ils avancent, leurs disciples répartis de chaque côté, sur deux plans.

Raffaello, L’Ecole d’Athènes_Stanza della Segnatura, Roma_27 juillet 2020

De fait, Raphaël réunit autour du groupe central un formidable ensemble de penseurs et philosophes pour célébrer la pensée classique, parfois sous les traits d’un contemporain (Euclide, tenant une boussole, a les traits de Bramante, Héraclite, appuyé sur un bloc de marbre, est incarné par Michel-Ange, Platon, par Vinci ; Raphaël et son ami Sodoma sont présents à l’extrême droite pour glorifier les beaux-arts au même titre que les arts libéraux). Ils incarnent chaque sujet qui doit être maîtrisé afin de tenir un véritable débat philosophique : astronomie (Zoroastre avec la sphère des étoiles), géométrie, arithmétique (Pythagore), rhétorique, dialectique, géographie (Ptolémée avec sa couronne et la sphère du monde). Chaque figure agit, enseigne, discute, s’enthousiasme, reflétant l’incroyable capacité de l’artiste à concilier variété et harmonie.

Raffaello, dispute du saint sacrement, 1510 11_Stanza della Segnatura, Roma_29 juillet 2021

Face à l’Ecole d’Athènes, Raphaël dépeint le Vrai révélé par la grâce divine à travers la Dispute du saint-Sacrement, représentation de l’Eglise militante et de l’Eglise triomphante disposées en demi-cercles et vénérant l’Hostie consacrée. Sur un même axe central se placent Dieu le père, le Christ, l’Esprit saint, l’ostensoir, l’autel, axe central d’une telle force qu’il unit par ailleurs naturellement la sphère céleste et la sphère terrestre. La composition se caractérise par une clarté et une simplicité extrêmes, d’une remarquable dignité expressive fondée sur la symétrie et la perspective. Les trois cercles de l’ostensoir, de la gloire qui entoure la colombe de l’esprit, de celle qui entoure le Christ, se superposent dans un effet croissant. L’esprit constitue le centre géométrique de l’oeuvre et les lignes de l’architecture convergent vers la base de l’ostensoir, placée sur la ligne d’horizon. L’hostie, représentation du mystère eucharistique, placée en plein centre, en haut des marches, est plastiquement et spirituellement le cœur de l’oeuvre.

L’Eglise triomphante, demi-cercle céleste, est incarnée par Dieu le père bénissant sous lequel se dessine le Christ ressuscité, en trône, flanqué de la Vierge et de Jean-Baptiste. Les prophètes et patriarches de l’Ancien Testament les entourent, en alternance avec les apôtres et martyrs, assis en demi-cercle sur des nuées. Au pied du Christ, toute aussi centrale, apparaît la colombe, dernier élément de la Sainte Trinité. L’Eglise militante est quant à elle représentée par les pères de l’Eglise latine, les saints, les papes, les évêques, les prêtres et la messe des fidèles et entoure l’autel –car la vérité révélée ne se manifeste à l’homme que dans l’Eucharistie-, dans un vaste paysage. Comme dans l’Ecole d’Athènes, l’ordonnancement de l’espace est parfait, dans une harmonie dorée, bleutée et blanche et chaque personnage est fortement individualisé et animé, plongé dans une activité spirituelle, rayonnant de puissance et témoignant du goût de l’artiste, par-delà la varietas, pour les visages larges, charpentés, les chairs souples. Ils s’échelonnent sur les marches de l‘escalier, animés de mouvements accordés à leur tempérament. Certains d’entre eux ont les traits de contemporains (Jules II personnifie Grégoire le Grand, un religieux à l’extrême gauche a les traits de Fra Angelico).

Raffaello, le Parnasse, 1509 10_Stanza della Segnatura, Roma_29 juillet 2021

Les deux autres murs de la stanza, tous deux percés de fenêtres, sont dédiés à la poésie et à la Loi. Sur le Parnasse, foyer de la poésie, Raphaël dépeint Apollon et les neufs muses, personnifications des arts, sous un bosquet de lauriers. Les poètes classiques et contemporains les entourent (Homère, Dante, Virgile, Ovide, Horace, Sappho, Pétrarque, Boccace, Arioste…), dans un mouvement harmonique ascendant et descendant de gauche à droit. Le Dieu joue de la lira da braccio, la musique, symbole de la poésie, dominant l’univers apollonien. La fenêtre donne sur le cortile del Belvédère qui réunissait les plus célèbres antiques du Vatican et l’une des muses s’inspire de l’Ariane antique tandis que plusieurs instruments de musique semblent tirés d’un ancien sarcophage et que le visage d’Homère évoque le Laocoon. La fresque se caractérise par une grande harmonie fondée sur des contrepoints : les groupes de personnages sont liés entre eux par des lignes continues et les personnages uniques sont représentés dans des poses opposées mais en correspondance. Les rythmes courent librement, dans une remarquable diversité de draperies (flottantes, tombantes, enroulées) et de couleurs (oranges, bleus et roses d’une grande douceur). Les volumes, baignés d’une lumière qui découpe moins les formes, se révèlent des plus gracieux, les attitudes, nonchalantes.

Le dernier mur représente, sur une lunette, trois des quatre Vertus cardinales avec leurs attributs : Fortitudo (le lion), Prudentia (miroir), Temperentia (rênes) ; la quatrième, la Justice, hiérarchiquement supérieure, étant représentée au plafond avec les vertus théologales (la Charité, l’Espérance et la Foi). La relation qui lie les trois Vertus est claire et harmonieuse et témoigne de l’influence de Michel-Ange dans le traitement sculptural des volumes et des drapés de la Force, la torsion assouplie des corps. De part et d’autre de la fenêtre, uni par un même fond architectural, sont dépeintes des allégories du droit civil et du droit canon. Sur la gauche, l’Empereur Justinien, entouré de juristes, reçoit les Pandectes du Corpus Iuris Civilis, la fresque semble avoir été exécutée par Lorenzo Lotto sur le dessin du maître. Sur la droite, Grégoire IX, sous les traits de Jules II et aux côtés d’autres membres du collège des cardinaux, approuve les Décrétales.

La voûte de la stanza est quant à elle divisée en quatre sections dédiées aux facultés de l’esprit, représentées par des allégories féminines, œuvres de Raphaël (la Philosophie, la Théologie, la Poésie et la Justice, tandis que l’octogone central est attribué à Sodoma), en cohérence avec les fresques murales. Ces allégories alternent avec des compositions rectangulaires en relation : Apollon et Marsyas (l’harmonie divine triomphant de la passion terrestre), Le Jugement de Salomon (évocation de la Justice et de la Sagesse), Adam et Eve (les pécheurs en appelant à la Rédemption), l’Astronomie, penchée sur le globe céleste en un superbe raccourci (incarnation du pouvoir et l’intelligence et de l’harmonie de l’ordre universel).

La stanza di Eliodoro (1511-1514), salle d’audience privée du pape, présente quatre histoires tirées des Actes des Apôtres et des textes apocryphes sur le thème de l’intervention divine en faveur de l’Eglise soit l’Eglise menacée dans sa foi (La Messe à Bolsena), dans la personne du pape (La Libération de saint Pierre), dans son Etat (La Rencontre entre Léon le Grand et Attila) et dans son patrimoine (L’expulsion d’Héliodore du Temple). Raphaël rompt avec la symétrie et le rythme fermé de la stanza della Segnatura pour des effets plus vifs et colorés mais d’une grande dignité et grandeur.

Raffaello, L’Expulsion d’Héliodore_Stanza di Eliodoro, Roma_29 juillet 2021

De toute beauté, l’Expulsion d’Héliodore dépeint, dans une architecture basilicale, le général syrien chargé par le roi Séleucus de piller le temple de Jérusalem violemment chassé. Loin de la clarté de l’Ecole d’Athènes, Raphaël opte pour un violent clair-obscur et des coloris sourds, gris, violacés, cuivrés, dorés sur la cuirasse et le casque du cavalier dont le superbe cheval n’est pas sans évoquer le Vinci de la bataille d’Anghiari, des volumes puissamment modelés. La stricte symétrie fait place à un impressionnant vide central avec l’ombre portée de l’un des assaillants, un mouvement interne et un jeu de diagonales qui mettent en exergue la violence de la scène avec un point focal décalé vers la droite : la course des assaillants armés projetés en diagonale, le groupe du cavalier et d’Héliodore terrassé, dans une posture contorsionnée, la bouche grande ouverte, hurlant de terreur. Au centre, à l’arrière-plan, se tient le grand prêtre Orias, agenouillé devant l’autel, plongé dans une semi-obscurité, où convergent les lignes de la perspective. Raphaël accentue le côté dramatique : tout participe du mouvement, de la violence, de l’instabilité, sauf le groupe impassible du pape Jules II et de ses porteurs. La scène évoque la permanence de l’institution et l’inviolabilité des territoires de l’Eglise.

Raffaello, La messe de Bolsena_Stanza di Eliodoro, Roma_29 juillet 2021

En 1263, un prêtre de Bohême, troublé par la doctrine de la transsubstantiation, fait un pèlerinage à Rome. Alors qu’il célèbre, en chemin, la messe à Bolsena, l’Eucharistie se met à saigner, balayant ses doutes. Raphaël opte à nouveau pour une composition plus dynamique : sur une estrade, dans un espace architectural qui s’ouvre sur un ciel bleu, l’autel est décentré par rapport à l’axe de la fenêtre, le prêtre élève l’hostie tandis que deux dévots se penchent au-dessus des stalles en demi-cercle qui constituent le fond de la scène et que Jules II apparaît sur la droite, agenouillé, témoin de la scène comme dans l’Expulsion d’Héliodore. De part et d’autre de la fenêtre, deux volées  d’escalier sont peints en trompe l’œil et permettent l’étagement des personnages qui assistent au miracle, le regard vers l’hostie. D’un côté, les cardinaux, les gardes suisses et les porteurs, graves, solennels, dans une dominante éclatante de rouges ; de l’autre, la foule dont nombre de femmes, dans une gamme pâle de verts, de jaunes, de roses et des postures plus animées, d’inquiétude ou de joie.

Si la Libération de st Pierre adopte une composition proche de celle de la messe de Bolsène avec deux volées d’escalier latérales flanquant la fenêtre, elle n’en est pas moins totalement fascinante et novatrice par son fulgurant « effet de nuit ». La fresque représente, au centre, St Pierre en prison, endormi, réveillé par l’ange ; à droite, l’ange guidant st Pierre abasourdi hors de la prison, parmi les soldats assoupis ; à gauche, le réveil des soldats, agités, en plein désarroi. Le peintre décompose ainsi son récit en trois temps. Véritable célébration de la lumière, la Libération de st Pierre confronte la lumière divine de l’ange et celle de l’aube, de la lune, des torches et leurs reflets sur les armures et les architectures. Raphaël obtient un saisissant effet dramatique, ponctuant la nuit de prodigieux éclats de lumière, bien plus puissamment encore que Piero della Francesca dans le songe de Constantin.

Raffaello, la Rencontre de Léon le Grand et Attila_Stanza di Eliodoro, Paris_29 juillet 2021

La rencontre entre Léon le Grand et Attila, dernière fresque peinte pour cette stanza, revient à la symétrie plus rigoureuse de la stanza della Segnatura et serait principalement l’œuvre de l’atelier. En 452 après JC, Léon le Grand évite, avec l’aide de Dieu et, selon la légende, l’apparition des saints Pierre et Paul brandissant l’épée, l’invasion de l’Italie. Le pape, sous les traits de Léon X, est dépeint chevauchant dignement avec sa suite vers les Huns qu’il repousse d’un simple geste. Raphaël situe la scène aux portes de Rome, dont on voit le Colisée, un obélisque…et non dans les environs de Mantoue comme le veut l’Histoire.

Le plafond de la stanza décrit des scènes de l’Ancien Testament témoignant de l’intervention divine et en relation avec les fresques murales : Moïse et le buisson ardent, le sacrifice d’Isaac, le Rêve de Noé, l’échelle de Jacob. Le soubassement présente quant à lui des caryatides en trompe l’œil exécutées par Perino del Vaga.

Raffaello, L’Incendie de Borgo_stanza dell’Incendio di Borgo, Roma_27 juillet 2020

La Stanza dell’Incendio di Borgo (1514-1517) vise manifestement à la célébration et l’illustration des aspirations politiques du pape Léon X par le biais des actes de ses prédécesseurs de l’époque carolingienne, Léon III et Léon IV : l’incendie du Borgo, dans lequel un miracle accompli par le pape Léon IV éteint l’incendie qui dévastait Rome en 847 après JC ; la victoire pontificale sur les pirates sarrasins près d’Ostie, en 849 après JC, le couronnement de Charlemagne par Léon III en 799, le serment de purification de Léon III en 800 qui réaffirme que le vicaire du Christ n’est responsable de ses actes que devant Dieu. Dans chacune des fresques, le pape est représenté sous les traits de Léon X.

Raffaello, Raffaello, L’Expulsion d’Heliodore_Stanza di Eliodoro, Roma_29 juillet 2021

La fresque la plus remarquable de cette stanza est incontestablement l’Incendie du Borgo, où l’artiste multiplie les références (à l’Antiquité, à l’architecture médiévale, à Michel-Ange via le nu musculeux qui descend le mur de gauche…) et qui se révèle d’une conception scénique tout à fait originale. Au premier plan, sur la gauche, Raphaël représente les habitants qui fuient l’incendie, sur la droite, ceux qui transportent de l’eau pour éteindre l’incendie et au centre un groupe de mères suppliantes -rappelé plus loin par le motif d’une femme et d’un enfant de dos- tournées vers l’arrière-plan et le pape. Les lignes de fuite accentuées par le dallage et la colonnade latérale convergent sur la porte centrale de l’ancien st Pierre. Au haut des marches, sur la ligne d’horizon, la foule supplie le pape dans sa loggia. Le cœur dramatique est reporté vers le fond avec la figure majeure du pape qui arrête miraculeusement l’incendie.

Les figures se répartissent selon un large cercle qui occupe la surface dans toute sa hauteur et dont le diamètre est la ligne d’horizon, la composition étant calée sur la gauche par le groupe du fils portant son père sur son dos –référence à la figure d’Enée et Anchise pendant l’incendie de Troie- et, sur la droite, par la porteuse d’hydrie. Cette-dernière témoigne d’une nouvelle densité physique : ses formes sont pleines, sculpturales, modelées par une lumière crue, un coloris nouveau, chaud. Raphaël se concentre moins ici sur l’harmonie d’ensemble que sur la variété et la richesse de la composition.

La bataille d’Ostie est l’œuvre de l’atelier, notamment Giulio Romano. Elle représente les armées pontificales aux prises avec les armées sarrasines, miraculeusement déroutées par une tempête. S’inspirant de l’antique, elle adopte une composition en frise avec des corps nus en raccourci dans des attitudes complexes et sur la gauche, Léon IV qui rend grâce. Elle peut être interprétée comme une allusion au projet pontifical de croisade contre les Turcs, de même que le couronnement de Charlemagne renvoie au projet d’alliance politique avec François 1er dont l’empereur adopte les traits. Cette-dernière fresque se singularise toutefois par une perspective des plus novatrices avec un espace vu d’en haut, une composition toute en déséquilibre, des figures coupées au premier plan tels que les porteurs de meubles sur la gauche et dont le mouvement ascendant, prolongé par un homme en armure, nous introduit dans l’espace pictural. D’une exécution plus faible, attribuée à Penni, le serment de Leon III reprend quant à lui une stricte symétrie qui rappelle la messe de Bolsène. 

Perugino, Stanza dell’Incendio di Borgo plafond 1507 08, Roma_29 juillet 2021

Raphaël conserve la voûte ornée par son maître, Pérugin, quatre tondi dépeignant la Trinité et les apôtres, la tentation du Christ, le Christ en gloire, Dieu le père et les anges (1507-1508). Le soubassement, constitué de statues en trompe l’œil, monochromes, aux volumes complexes et animés, est probablement l’œuvre de Giulio Romano et réaffirme la supériorité papale sur les princes.

Giulio Romano, La bataille du Pont Milvius 1520 24_Stanza di Costantino, Roma_29 juillet 2021

Beaucoup plus vaste que les autres stanze, antichambre des appartements pontificaux destinée aux réceptions et cérémonies officielles, la stanza di Constantino a été réalisée essentiellement après la mort de Raphaël (1520-1524) et est l’œuvre de ses élèves sous la coordination de Giulio Romano qui réalise les principales fresques. Elle réaffirme la possession légitime par l’Eglise des terres données par l’empereur Constantin quoique la donation de Constantin se soit avéré un faux. Elle dépeint quatre épisodes de la vie de l’Empereur témoignant de la défaite du paganisme et du triomphe du christianisme : la Vision de la Croix, la Bataille de Constantin contre Maxence en 312 après JC, le Baptême de Constantin –sous les traits de Clément VII, pape de 1523 à 1534- par le pape Sylvestre à st Jean de Latran et la Donation de Rome avec une vue de l’intérieur de l’ancienne basilique paléochrétienne st Pierre. Des statues de papes accompagnés de représentations allégoriques de Vertus complètent la décoration, lesquelles s’inspirent des prophètes, sibylles et ignudi du plafond de la Sixtine de Michel-Ange.La Bataille sur le Pont Milvius est probablement la plus imposante des fresques de cette stanza par son admirable élan épique.

Les références antiques abondent (reliefs de l’arc de Constantin, de la colonne Trajane, reconstructions idéales du baptistère du Latran et de l’ancienne église de st Pierre…) témoignant de l’érudition archéologique du maître. La terribilità et une certaine dispersion dans les compositions s’éloignent toutefois de sa pensée première.

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