Il museo Poldi Pezzoli, Milano

Sandro Botticelli, lamentation sur le Christ Mort_Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

Né de la passion du collectionneur milanais Gian Giacomo Poldi Pezzoli, ouvert au public en 1881, le musée Poldi Pezzoli réunit un remarquable ensemble de toiles parmi lesquels des chefs-d’œuvres de la Renaissance toscane (Botticelli, Piero della Francesca, Pollaiolo, Lippi…), lombarde (Luini, Boltraffio,), vénitienne (Bellini, Mantegna) ou encore parmesane (Bedoli), ainsi qu’un bel ensemble de toiles du XVIIIe (Guardi, Canaletto, Tiepolo, Fra Galgario)….

De l’Ecole toscane, on relève une Pietà de Filippino Lippi de 1435-39 des plus raffinées. Il s’agit d’une œuvre de jeunesse dédiée à la dévotion privée, comme le St Jérôme pénitent d’Altenburg, de même style, de mêmes dimensions et réalisé à la même époque. Le Christ mort, légèrement décalé sur la droite de la composition, semble se lever de son sarcophage, soutenu par la Vierge qui tient sa tête de son bras gauche et st Jean l’Evangéliste qui le soutient à la taille. Le linceul qui enveloppe son corps laisse son torse livide exposé. A l’arrière-plan se dessine une imposante et singulière montagne rocheuse au centre de laquelle s’ouvre une grotte, allusion probable au tombeau.

Le musée Poldi Pozzoli comprend deux chefs-d’œuvres de Botticelli dont la sublime Madonna del libro, œuvre de maturité quoiqu’encore marquée par l’influence de Lippi et présentée dans le cadre de l’exposition monographique du musée Jacquemart-André à Paris (1480-81). Peinte en 1495, probablement pour un petit autel de Santa Maria Maggio de Firenze, la lamentation sur le Christ mort de Milan, tout comme celle conservée à Munich (1490), témoigne du changement stylistique de l’artiste en réaction aux prêches de Savonarole à Florence. Dans les deux toiles, la scène, très proche du regard, incite à l’empathie. Dans le tableau milanais, les personnes endeuillées devant le tombeau sont disposées en forme de croix, dominée par la figure de Joseph d’Arimathie qui regarde douloureusement, au second plan, les cieux, en brandissant les instruments de la Passion. La gestuelle, les visages tendrement rapprochés des différents protagonistes expriment leur abandon à la plus profonde détresse.

Piero della Francesca, san Nicola da Tolentino, 1454 69_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

S. Nicola da Tolentino est l’un des panneaux sauvegardés d’un polyptyque réalisé entre 1454 et 1469 pour l’autel majeur de sant’Agostino de Borgo san Sepolcro par Piero della Francesca et probablement démembré dès le XVIe siècle. Par-delà la remarquable définition des volumes, la solidité sculpturale du corps qui se détache sur un ciel bleu intense –devant une balustrade de marbre qui définit l’espace-, propres à l’artiste, le saint se distingue par l’austérité de ses traits, la rondeur de son visage, sa corpulence, caractéristiques d’un portrait. Il s’agirait du prieur du couvent augustinien représenté sous les traits de ce saint qui vécut au XIIIe siècle, canonisé au XVe et dont l’attribut est l’étoile apparue dans le ciel à sa naissance. Il porte le manteau noir de l’ordre des Augustins.

Piero del Pollaiolo, ritratto di giovane donna, 1470_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

Tout aussi admirable et emblématique de la collection est le portrait de femme de Piero del Pollaiolo, 1470. La jeune femme est dépeinte de profil, dans la tradition antique, se détachant nettement, par une fine ligne de contour noire, sur un ciel bleu clair ponctué de nuages. Le traitement de la lumière, qui se reflète sur les cheveux et les bijoux, le modelé délicat des traits, témoigne toutefois d’une influence flamande. Elle porte un corsage décolleté dont la manche, amovible, est ornée d’une remarquable décoration florale. Ses cheveux sont admirablement coiffés, retenus par un voile orné de perles tandis que sur le front descend un « frenello » composé de fils de perles liées en or. Un court collier de perles blanches alternées de boules d’or auquel est suspendu un pendentif avec un rubis et des perles complète sa parure, signe d’une figure importante de la haute société florentine et symbole conjugal (le blanc incarnant la pureté virginale, le rubis la passion amoureuse) laissant penser que le portrait a été exécuté lors d’une promesse de mariage.

Salviati, Ritratto di giovane uomo_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

Dans un tout autre style, le peintre maniériste Salviati a réalisé un superbe portrait de jeune homme qui témoigne de l’influence d’un Bronzino (1543-45). Le jeune homme, au regard détaché, richement vêtu, se singularise par son teint marmoréen, sa figure quelque peu allongée.

On relève enfin un beau tondo de Fra Bartolomeo, l’adoration de l’Enfant, 1502-1507, œuvre de maturité fruit d’une longue étude attestée par la présence de dessins préparatoires et du carton final conservé au cabinet des dessins et estampes des Offices. La Vierge est agenouillée, les bras croisés sur sa poitrine, adorant l’Enfant couché sur son manteau. A ses côtés, Joseph est assis, appuyé sur la selle de l’âne. Les contours des figures sont remarquablement modelés par un trait sûr et subtil. La scène intime, rapprochée, se concentre sur le recueillement des parents et se dessine sur un ciel matinal, lumineux ; ainsi qu’une copie à l’huile de la Cléopâtre dessinée de Michelangelo (1550-60), copie relativement fidèle quoique moins gracieuse et plus maniérée et pathétique que l’œuvre du maître.

Bernardino Luini, sposalizio mistico di santa Caterina d’Alessandria, 1520_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

De l’école lombarde, on note un beau mariage mystique de ste Catherine de Bernardino Luini, vers 1520, métaphore de la promesse spirituelle de la sainte à Dieu dont le traitement témoigne de l’influence de Solario et du sfumato vincesque ainsi que l’impressionnant diptyque constitué de la montée au calvaire constituée d’une Vierge de douleur et du portement de croix. Le saint Sébastien (1520) de Marco d’Oggiono, élève de Vinci, est représenté au moment de son martyre, adossé à un arbre, de trois quarts, dans une posture pleine de grâce, le visage emprunt de mélancolie. Il témoigne également de l’influence de son maître, ne serait-ce que dans le paysage montagneux, quasiment monochrome, qui se dessine à l’arrière-plan, le corps efféminé –quoiqu’à l’anatomie plus sommaire-, le traitement du drapé. L’œuvre se rapproche d’un San Rocco de l’Accademia Carrara de Bergame : les deux saints, invoqués contre la peste, devaient constituer les panneaux latéraux d’un triptyque. L’impact de la peinture de Vinci se ressent enfin dans une reprise de la Vierge à l’Enfant et Sainte Anne du maître (Louvre) sous le pinceau de Cesare da Cesto (1515). La toile de da Cesto, destinée à la dévotion privée, ne reprend toutefois pas –sans doute à la demande du commanditaire- la figure de ste Anne et se caractérise par un paysage nordique.

Bergognone et Foppa_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

De Vincenzo Foppa, est exposée une intéressante Vierge à l’enfant de 1480, dans un intérieur domestique. L’affection entre la Mère et le Fils est exprimée par des gestes délicats tels que la main droite de l’Enfant caressant le visage de sa Mère, mais teintée de mélancolie, d’une tristesse alludant à la future Passion, que rappelle également la fleur de chardon qui orne le tissu lumineux à l’arrière-plan. Sur la gauche, un beau paysage se déploie au-delà d’une fenêtre. La toile, œuvre de maturité, se caractérise par sa sobriété, la recherche d’un langage pictural essentiel : une gamme chromatique dominée par le rouge et le bleu foncé de la robe de la Vierge, une définition simple des plans en profondeur. Elle dialogue avec une Vierge à l’Enfant et deux anges de Bergognone, 1480-85, marquée par une nette influence de Foppa.

Foppa, Ritratto di Giovanni Francesco Brivio_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

Le musée présente, du même artiste, un remarquable portrait de Giovanni Francesco Brivio de profil (1495), dans la tradition des monnaies impériales romaines, l’un des deux portraits autonomes de l’artiste parvenus jusqu’à nous. Le modèle, d’une famille noble milanaise, occupait de hautes fonctions à la cour Sforza. Il se détache avec réalisme d’un fond sombre, signe d’une influence flamande sans doute filtrée par la connaissance de Mantegna : les traits sont marqués et irréguliers, le visage sillonné de quelques rides, l’expression grave, voilée de mélancolie, les cheveux légèrement grisonnants, le modelé ferme, défini par la lumière. Il porte un riche manteau de damas rouge ourlé de fourrure, d’inspiration moyen-orientale et un couvre-chef alors à la mode.

Quoique moins impressionnant que la Pietà de la Brera, l’Imago Pietatis de Giovanni Bellini, 1457 n’en est pas moins une œuvre de jeunesse essentielle de l’artiste, prototype avec la version de l’Accademia Carrara de Bergame d’une série de Pietà dont l’iconographie est originaire de Constantinople et proche stylistiquement de la Pietà du musée Correr de Venise (1460). Le Christ est dépeint à mi-figure, au premier plan, la tête penchée, les mains placées comme celles d’un mort dans son cercueil, son corps, d’une délicate pâleur, surgissant du sépulcre, étrangement dénué de stigmates mais le visage douloureux et mélancolique, se détachant sur un paysage profond et linéaire, dans une lumière crépusculaire qui unifie l’ensemble de la composition, flanqué de part et d’autre d’aplombs rocheux sommés d’une maigre végétation qui symbolise probablement la renaissance du monde et la rédemption après la Crucifixion.

Par-delà une Vierge aux volumes sculpturaux qui tient tendrement l’Enfant endormi dans ses bras, enveloppé d’un drap blanc en préfiguration de la Passion, la composition pyramidale accentuant l’attitude protectrice de la Mère –œuvre  inspirée par les reliefs de Donatello, et, quant au fond noir, par la peinture flamande (fin XVe siècle)-, Andrea Mantegna est présent par un superbe portrait d’homme de 1450 non sans similitude avec le portrait viril de l’artiste conservé à Washington. La toile représente un homme âgé, de profil –dans la tradition antique-, d’une force expressive et d’un réalisme des traits qui témoigne de l’admiration de l’artiste pour van der Weyden. L’effet plastique typique de l’artiste est obtenu par la lumière rasante qui frappe l’arcade sourcilière, la pommette et l’oreille. Le riche vêtement rouge et la coiffure –de même que le recours à des matériaux de grande valeur, comme le lapis lazuli utilisé pour le fond, à l’origine d’un bleu intense-suggère un personnage important, peut-être un magistrat de Venise.

L’œuvre dialogue avec une Vierge lisant attribuée à Antonello da Messina (1460), représentée de trois quarts en demi-buste, un livre ouvert dans les mains. La Vierge, vêtue d’un manteau bleu et couverte d’un voile blanc, a cessé sa lecture et se tourne vers nous, le regard vide, tandis que deux angelots tiennent une couronne d’or ornée de perles, de pierres précieuses, de campanules, de lys blancs et de roses rouges (symboles de deuil, de pureté et de la Passion). Œuvre de dévotion privée, elle s’inspire de modèles flamands dont le polyptyque de l’Agneau mystique de van Eyck (Gand, 1426-32).

Ambito di Giorgione, ritratto di gentiluomo, 1510 20_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

Un admirable portrait de gentilhomme, attribué à Giorgione, 1510-20, peut-être réalisée par le jeune Titien alors dans l’atelier de Giorgione, saisit son modèle sortant de l’ombre et se tournant vers nous, la poignée d’une épée à la main, richement vêtu d’un manteau bordé d’une large fourrure. La monumentalité et la pose, la qualité indubitable du portrait, sa capacité à dépeindre un homme conscient de son charme et de sa fortune, la richesse de la palette qui joue sur toute une gamme de bruns, soutiennent l’attribution à Titien, d’autant que le portrait a été réalisé sur une ancienne toile s’inspirant du Double Portrait de Giorgione (Rome, 1502-05).

Carlo Crivelli, san Francesco raccoglie il sangue di Cristo, 1490 1500 e san Sebastiano_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

Le saint Sébastien de Carlo Crivelli (1490-99) est représenté de plein pied, lié à un tronc d’arbre, le corps à l’anatomie et à la musculature soigneusement traitées, transpercé de flèches, les pieds noueux, le regard vers le ciel, couvert à la taille d’un léger drapé noué avec élégance, se détachant sur un paysage où un sentier serpente entre les collines. La verticalité du tableau et le tronc accentuent l’allongement de la figure dont le bras gauche levé semble se prolonger au-delà de l’espace pictural. Il pourrait s’agir, avec le San Rocco de la Wallace collection, de même taille et proche stylistiquement, des panneaux ou pilastres latéraux d’un polyptyque. De la même période et du même artiste date un petit st François qui recueille le sang du Christ dans une coupe d’or, thème rarement traité, probablement dû à une commande franciscaine. Le Christ, debout sur un riche tissu, élargit la blessure d’où jaillit le sang, tandis que le saint, agenouillé, le regarde. Sur la gauche, au-delà d’un arc en ruine, se déploie un paysage ponctué de références à la mort et à la flagellation (l’arbre nu et la colonne de porphyre).

On retiendra également une belle sainte Catherine d’Alexandrie de Lorenzo Lotto (1550-60), une œuvre du même thème de Bergognone (1510) ainsi qu’une sainte superbe quoique fragmentaire de Cima da Conegliano (1500-1510) et, du côté des sujets profanes, l’imposant portrait de Palma il Vecchio dit à tort La Cortegiana (1520). Ce type de portraits féminins teinté d’érotisme, création de Titien, se réfère en réalité au mariage, d’où les cheveux détachés du modèle. La femme est vêtue d’une ample chemise blanche, symbole de chasteté, qui dénude sa poitrine et d’une pièce de damas rouge, symbole d’Amour. Le sein exposé, porte de l’âme et du cœur, incarne la fécondité et l’amour.

Attribué à Bedoli, riposo durante la fuga in Egitto, 1570_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

Quoique plus modestement représentées, les écoles parmesane ou ferraraise sont présentes. Un repos pendant la fuite en Egypte attribué au parmesan Alessandro Mazzola dit Bedoli (1570), quoique de moindre qualité, attire l’attention par l’usage étudié de la lumière qui accentue les incarnats, les vêtements, les feuilles des arbres. La composition, centrée sur la Vierge assise à terre portant l’Enfant endormi, est animée par l’apparition de deux angelots dans le ciel et une ouverture sur la droite, avec Joseph et un autre ange. Le ferrarais Cosme Tura est l’auteur d’une belle Musa Tersicore (1460) issue de la décoration du studiolo du Palais de Belfiore pour Lionello et Borso d’Este, seigneurs de Ferrare. Sur les neuf Muses du cycle, cinq autres figures sont conservées dans divers musées. La muse de la danse et de la poésie lyrique porte une riche robe de velours ouverte sur le ventre –allusion à la maternité- et un beau drapé bleu sur les jambes, l’artiste faisant ainsi de la muse païenne une sorte de déesse de la fertilité, une célébration des bonifications et canalisations réalisées par les Este dans la campagne ferraraise. Si certains traits, tels les visages très expressifs des anges dansant, le raccourci perspectif des pieds chaussés de rouge de la muse, le paysage désolé qui se déploie en profondeur, relèvent bien de Tura, le visage conventionnel, le buste rigide de Terpsichore indiquent une autre main.

Jusepe Ribera, ritratto di missionario gesuita, 1638_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

Quelques œuvres tout aussi admirables méritent par ailleurs l’attention : on relève, pour le Seicento, l’impressionnant portrait en pied de missionnaire jésuite peint par le napolitain Jusepe Ribera en 1638 -le religieux, âgé, pose la main droite sur la crinière d’un lion symbole du Christ ou de la vocation du modèle. Ribera a traité avec la plus grande attention le visage et les mains du sujet, la lumière dessinant le contour d’une figure solide et imposante tandis que des ombres profondes (sous le menton, sur la gauche du visage), contrastant avec des zones lumineuses plus densément traitées, rendent le portrait incroyablement vivant- ; de la Sainte Cécile du Sassoferrato (1635-50), qui s’éloigne ici de la reprise de chefs d’œuvres de la Renaissance de Raphaël ou Perugino pour une plus grande vivacité narrative, dépeignant la sainte en demi-buste comme les saintes qu’il a réalisées pour le couvent bénédictin de san Pietro à Pérouse, le geste suspendu, à son orgue, ou encore du buste de l’évêque Ulpiano Volpi d’Algardi (1640-50), probablement sculpté d’après son masque mortuaire.

Francesco Guardi, gondole sulla laguna, 1765_ Museo Poldi-Pezzoli, Milano-23 décembre 2021

Pour le Settecento, on peut noter un chef-d’œuvre d’Alessandro Magnasco, Saint Charles Borromée reçoit les oblats (1731), ordre laïc qu’il a institué en 1578. Saint Charles, en habit rouge, reçoit dans un grandiose édifice centré les oblats agenouillés devant lui. La présence d’un cheval agité semble indiquer le départ imminent des oblats, que l’archevêque serait alors en train d’envoyer à leur mission d’évangélisation. La toile est remarquable par sa qualité, le traitement particulièrement dynamique et nerveux des figures, ponctuées de lumière. La collection comprend enfin de belles œuvres de Guardi dont l’extraordinaire Gondole sur la lagune, 1765, qui dépeint une gondole noire, lugubre, animée d’un lent mouvement, au premier plan, tandis que le paysage quasiment monochrome et abstrait de la lagune se désintègre dans une atmosphère nacrée d’une grande intensité émotionnelle, ou Tiepolo.

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